Distr.

GENERALE

E/C.12/1999/SR.19
14 décembre 1999


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 19e séance : Tunisia. 14/12/99.
E/C.12/1999/SR.19. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


Vingtième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 19e SÉANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le vendredi 7 mai 1999, à 10 heures.

Président: Mme BONOAN-DANDAN


SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS:

a) RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (suite)

Deuxième rapport périodique de la Tunisie (suite)




La séance est ouverte à 10 h 5
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EXAMEN DES RAPPORTS:

a) RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 8 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la Tunisie (suite) [E/1999/6/Add.14; liste des points à traiter (E/C.12/Q/TUN/1); réponses écrites du Gouvernement tunisien (document sans cote distribué en salle), Profil de pays (E/C.12/CA/TUN/1)]

1. À l'invitation de la Présidente, la délégation tunisienne reprend place à la table du Comité.

Articles 9 à 12 du Pacte (suite)

2. M. MORJANE (Tunisie), répondant à la question relative à l'impact des révisions de la Constitution sur le Pacte, dit que les cinq révisions constitutionnelles effectuées entre 1976 et 1998 n'ont pas de lien direct avec l'exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Elles portent essentiellement sur l'organisation et le fonctionnement des autorités constitutionnelles ainsi que sur la création d'un conseil constitutionnel.

3. M. CHERIF (Tunisie), répondant à une question sur le travail forcé évoqué dans un rapport de l'OIT datant de 1998, dit qu'en vertu de l'article 60 du décret 88/1876 du 15 novembre 1988 relatif au Règlement spécial des prisons, le détenu peut apprendre un métier manuel en accord avec ses capacités. L'article 61 ajoute que la Direction générale des prisons et de la rééducation a le pouvoir de faire travailler les détenus, à l'exception de ceux qui sont en détention préventive, ceux qui sont âgés, malades ou ont moins de 20 ans. Ce travail est qualifié par l'article 62 de travail de formation, ce qui signifie qu'il s'effectue dans l'intérêt du détenu. Par ailleurs, une loi en cours d'élaboration va instituer une peine moderne de substitution à l'emprisonnement, à savoir une peine de travail dans l'intérêt général. Celle-ci ne peut être prononcée par le juge qu'avec l'accord de l'intéressé. On ne saurait donc parler de travail forcé.

4. Répondant à une question sur le statut juridique des enfants nés hors mariage, M. Cherif rappelle que le droit positif tunisien, à l'instar de toutes les législations arabo-musulmanes, ne reconnaît, comme forme de cohabitation que le mariage légitime et n'admet de relations sexuelles entre l'homme et la femme que dans ce cadre. Le concubinage et les autres formes d'union libre ne sont pas reconnus et ne produisent donc pas d'effets juridiques, ni pour les intéressés ni pour les enfants issus de leur union. Pour logique qu'elle soit, cette disposition peut sembler injuste envers les enfants, qui ne sauraient assumer la faute de leurs parents. C'est pourquoi, une nouvelle loi a été adoptée en 1998. Elle autorise l'enfant à intenter une action en recherche de paternité. Une fois établi le lien de filiation qui unit le père à son enfant, celui-ci a droit au nom patronymique de son père et au versement d'aliments par lui. Quant au droit de cet enfant à hériter de son père, la loi ne le mentionne pas expressément mais ne l'interdit pas non plus, sauf pour les enfants adultérins qui, en vertu de l'article 150 du Code du statut personnel, ne peuvent hériter que de leur mère.

5. Répondant à une question sur la violence familiale, M. Cherif dit que l'article 218 du Code pénal concernant les coups et blessures dont est victime un ascendant ou un conjoint, qui a été amendé en juillet 1993, prévoit le doublement de la peine et la mise en place d'un mécanisme de pardon, selon lequel le désistement de la victime entraîne immédiatement l'arrêt des poursuites, du procès ou de l'exécution de la peine. Par cette démarche, conciliant souplesse et rigueur, le législateur a voulu sauvegarder les bonnes relations au sein de la famille. S'agissant des crimes d'honneur, l'article 207 du Code pénal, qui accordait des circonstances atténuantes au mari auteur d'un crime passionnel, a été abrogé par la loi du 12 juillet 1993. Celle-ci institue une égalité parfaite entre les époux quant à la protection du droit à la vie. En ce qui concerne la similarité du droit tunisien avec certaines dispositions du Pacte, M. Cherif dit que ce n'est pas fortuit: lors de la préparation des projets de loi, il est tenu compte de tous les textes internationaux, de la jurisprudence, de la constitution et des réalités du pays, de manière à élaborer un texte homogène et satisfaisant.

6. Répondant à une question sur le niveau insuffisant des indemnités à verser en cas d'expulsion forcée, M. Cherif dit que l'ancienne loi protégeait par trop les locataires, qui ne pouvaient faire l'objet d'aucune mesure d'éviction tant que leur loyer était payé. La nouvelle loi est plus juste, car elle protège le locataire tout en préservant les droits du propriétaire. Quant aux handicapés et aux personnes âgées, il existe tout un arsenal législatif protégeant leurs droits. C'est ainsi que l'article 46 du Code du statut personnel énonce clairement que les handicapés incapables de subvenir à leurs besoins ont droit aux aliments, et ce sans limite d'âge. La loi du 29 mai 1981 prévoit les mesures nécessaires pour intégrer les handicapés dans la société, en les rapprochant des services tels que l'éducation et la santé. Plusieurs lois assurent une couverture sociale aux personnes âgées, qui reçoivent des soins dans le milieu familial. Seuls les indigents sans soutien familial sont placés dans des centres d'hébergement. En Tunisie, les grands-parents ont une place de choix dans la cellule familiale et peuvent même réclamer les droits de garde et de visite en ce qui concerne leurs petits-enfants.

7. M. TRABELSI (Tunisie) ajoute que, dans la pratique, les mesures prises en faveur des personnes âgées visent avant tout à combattre toute forme de discrimination et d'exclusion du milieu familial, à favoriser leur participation à la vie sociale et culturelle et à prendre en compte leurs besoins dans le domaine des transports, du logement et des formalités administratives. Les personnes âgées bénéficient de la gratuité des services de santé et l'État accorde des subventions aux ONG qui leur viennent en aide. Elles ne peuvent être placées dans un centre spécialisé qu'avec leur accord, et seulement si une solution de rechange n'est pas possible.

8. S'agissant des mesures prises en faveur des personnes handicapées, on peut citer la création, au niveau national, d'un centre de réadaptation professionnelle des handicapés moteurs et des accidentés de la vie et, dans chaque région, d'une unité régionale de réadaptation. Sur le plan scolaire, les enfants handicapés, notamment les handicapés mentaux et les sourds, sont intégrés soit dans des établissements ordinaires soit dans des classes spécialisées ouvertes dans ces établissements. Pour les handicapés profonds, il existe 167 centres d'éducation spécialisée et de réadaptation, dont 160 dépendent d'ONG.

9. En ce qui concerne l'intégration économique et sociale des handicapés, les entreprises publiques et privées employant 100 salariés sont, depuis 1981, tenues de réserver 1 % des postes à des personnes handicapées. Pour encourager les entreprises à se conformer à cette disposition légale, l'employeur est exonéré du paiement de tout ou partie des charges patronales au titre de l'employé handicapé. Les textes disposent également qu'un employé devenu handicapé à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle doit être reclassé dans son entreprise, une fois la réadaptation terminée. Les personnes handicapées bénéficient de plusieurs autres avantages, notamment d'une aide sociale et financière, de la gratuité des transports publics dans les grandes villes et de l'exonération de TVA sur les véhicules qui leur sont réservés.

10. Répondant aux questions sur la réintégration, sur décision du tribunal, des travailleurs licenciés, M. Trabelsi dit que le contrat de travail est un accord consensuel de droit privé, que chacune des deux parties peut résilier à tout moment. C'est pourquoi le Code du travail prévoit une phase de conciliation obligatoire (devant le Conseil des prud'hommes) avant la phase judiciaire. En tout état de cause, les employés de la fonction publique sont mieux traités que ceux du secteur privé car, en cas d'annulation d'un arrêté de licenciement par le tribunal administratif, le fonctionnaire est réintégré à son poste et rétabli dans ses droits.

11. En ce qui concerne le transfert des prestations de sécurité sociale par les travailleurs étrangers, M. Trabelsi dit que par la loi 64/34 de juillet 1964, la Tunisie a ratifié la Convention 118 de l'OIT concernant l'égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux. Par conséquent, les travailleurs migrants ont le droit de transférer leurs prestations de sécurité sociale en cas de retour dans leur pays d'origine. En tout, la Tunisie a ratifié 56 conventions internationales, dont 7 portent sur les droits fondamentaux de l'homme au travail. Son principal souci est d'aligner sa législation sur les normes internationales, et, à cet égard, le BIT a accompli plusieurs missions d'assistance technique pour l'aider dans cette entreprise.

12. Répondant aux questions relatives aux indemnités de licenciement, M. Trabelsi dit qu'en 1982 a été institué un régime de retraite anticipée pour les travailleurs de 50 ans et plus, licenciés pour raisons économiques ou technologiques. Une loi a été promulguée en 1996, en vertu de laquelle la Caisse nationale de sécurité sociale assure une couverture aux personnes licenciées âgées de plus de 50 ans n'ayant pas pu percevoir les indemnités qui leur étaient dues en raison de l'insolvabilité de leur employeur. Ainsi, la Caisse garantit le paiement des indemnités de licenciement dont le montant a été fixé soit sur la base d'un accord à l'amiable soit par le tribunal. De même, les droits aux allocations familiales sont maintenus pendant les quatre trimestres qui suivent le licenciement.

13. M. LESSIR (Tunisie) dit que la Tunisie accorde une importance primordiale à la promotion et à la protection d'un environnement sain. La Tunisie a ratifié la quasi-totalité des conventions et protocoles internationaux relatifs à la protection de l'environnement. Elle s'est dotée d'institutions appropriées en matière d'assainissement et de protection de l'environnement et a créé notamment un Ministère de l'environnement et de la l'aménagement du territoire. Des législations spécifiques et des programmes nationaux ont également été mis en place dans de nombreux domaines liés à l'environnement: gestion du domaine public maritime, lutte contre la pollution maritime, gestion des déchets, assainissement rural, etc. La politique de l'environnement est aussi appuyée par des instruments d'incitation et des mécanismes de financement et certains avantages fiscaux sont octroyés dans le cadre du nouveau Code d'incitation aux investissements. Sur le plan législatif, un véritable droit pénal de l'environnement est actuellement mis en place.

14. Le huitième plan de la Tunisie en matière de promotion et de protection de l'environnement a atteint ses objectifs aussi bien pour ce qui concerne les dimensions institutionnelles que juridiques, législatives ou matérielles. Dans le cadre du neuvième plan (1997-2001), la Tunisie entend poursuivre la stratégie établie dans les principaux domaines d'action, stratégie qui est assortie de nombreux objectifs généraux à la réalisation desquels la Tunisie a consenti un volume d'investissement substantiel, de l'ordre de 1 808 millions de dinars (environ 1 800 millions de dollars) alors que ce chiffre n'était que de 1 080 millions de dinars en 1996 pour le huitième plan, soit une augmentation de 67,3 %. Sur ce montant, environ un tiers est consacré à la politique d'assainissement (le budget de ce poste augmentant de près de 35 %), un autre tiers va à la protection de l'environnement, le tiers restant est réparti entre la mise en place d'un réseau national de surveillance de la qualité de l'air en prévision des situations critiques, l'équipement des ports en dispositifs antipollution, et le financement d'un observatoire tunisien de l'environnement et du développement. Les investissements prévus dans le cadre du neuvième plan sont financés pour 63,3 % par l'État, pour 11,3 % par les entreprises publiques, et pour 25,6 % par le secteur privé, cette participation accrue du secteur privé constituant une véritable nouveauté.

15. Mme BEN ROMDHANE (Tunisie), dit à propos du traitement de la délinquance juvénile avant l'intervention des tribunaux, que depuis 1997, un corps de délégués à l'enfance intervient à titre préventif, conformément à l'article 30 du Code de protection de l'enfant, dans tous les cas où la santé de l'enfant ou son intégrité physique ou morale sont menacées. Selon le rapport national sur l'enfance pour l'année 1998, plus de 2 000 cas d'enfants en danger ont été pris en charge en 1997 et en 1998 par les délégués à l'enfance, qui ont effectué en outre pendant cette période plus de 300 médiations dans des affaires de délinquance juvénile.

16. À la question de savoir en quoi les réformes du Code du statut personnel de juillet 1993 ont contribué à accroître le respect des droits de l'enfant, Mme Ben Romdhane répond que la démocratisation de la famille et l'institution d'une relation plus équilibrée sur la base de l'égalité entre les époux, sont certainement de nature à favoriser une socialisation et une éducation des enfants plus conformes aux droits de la personne humaine. En plus de l'article 23, qui institue une relation de partenariat et de coresponsabilité entre les conjoints, les articles 6 et 67 nouveaux du Code du statut personnel ont accru le rôle de la mère, notamment en lui permettant de donner son avis en cas de mariage de son enfant mineur et en lui conférant le droit d'intervenir dans les décisions concernant les affaires de son enfant. En cas de défaillance du père, la mère peut exercer le droit de tutelle, ce qui va dans le sens de l'intérêt de l'enfant. Les nouveaux articles de ce Code renforcent également le droit de l'enfant aux aliments. Ainsi, en vertu de l'article 46 nouveau, bénéficient du droit aux aliments jusqu'à la majorité (20 ans) les enfants des deux sexes, jusqu'à 25 ans ceux qui poursuivent des études, au-delà de cet âge ceux qui sont de sexe féminin et sans revenus, et indéfiniment ceux qui sont handicapés. Autre innovation importante, en cas de divorce et lorsqu'il y a des enfants mineurs, le juge de la famille doit mener non plus une seule tentative de conciliation entre les époux comme c'était le cas auparavant, mais trois tentatives espacées d'au moins un mois chacune. Cette mesure tend à protéger les droits de l'enfant à une vie équilibrée en donnant à la famille une autre chance de préserver sa cohésion.

17. Enfin, le Fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce est chargé de servir les pensions alimentaires ou les rentes de divorce en cas de défaillance du père. Depuis sa création en 1993 et jusqu'à la fin de 1998, en ont bénéficié plus de 5 000 enfants au titre de la pension alimentaire et plus de 1 000 enfants au titre de la rente de divorce. Les principaux bénéficiaires de ces prestations sont le plus souvent des familles pauvres dont la mère est analphabète et ne travaille pas.

18. En ce qui concerne la violence conjugale, on ne dispose pas de données fiables qui permettent de tirer des conclusions claires, mais il est vrai que les femmes battues se taisent le plus souvent et ne portent que rarement plainte. Il faut aussi souligner le rôle de la famille élargie qui tente de préserver la cohésion familiale. La violence n'est pas pour autant un sujet tabou en Tunisie. Plusieurs ONG féminines très actives proposent aux femmes battues des services d'accueil et des services d'écoute, de prise en charge psychologique et d'orientation juridique. La législation a aussi joué un grand rôle pour faire du droit de la femme à l'intégrité physique et à la vie un droit inaliénable. En particulier, depuis l'abrogation de l'article 207 qui concerne le crime passionnel, le mari ne dispose plus du droit de vie ou de mort sur son épouse, et cette réforme fondamentale confirme l'émergence de la femme en tant que personne humaine qui a des droits, abstraction faite de son statut matrimonial. Ces mesures législatives contribuent à renforcer les droits de la femme et à améliorer son image, et par conséquent à limiter la violence d'une façon générale. Enfin, il convient de relever qu'il n'y aucune contradiction entre le Code du statut personnel et le Code de protection de l'enfant qui tous deux prohibent la violence.

19. À propos de la question sur l'incidence du VIH/sida en Tunisie, Mme Ben Romdhane précise que le Ministère de la santé publique dénombrait, au terme de l'année 1997, 786 cas de contamination par le virus du sida, dont 442 cas avérés parmi lesquels 265 décès. Un programme national contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) et le sida – prévention, lutte et prise en charge des cas – est réalisé en partenariat par les structures de la santé publique et les ONG. Des artistes de premier plan participent à la campagne de sensibilisation menée en collaboration avec le Programme ONUSIDA.

20. Sur la question de l'analphabétisme dans la population féminine, Mme Ben Romdhane dit qu'un programme national d'action est mise en œuvre depuis 1996 en vue de réduire de 30 % à 17 % la proportion d'analphabètes dans la tranche d'âge des 15-29 ans. Des cours d'alphabétisation sont assurés dans les centres de formation professionnelle, notamment dans les centres de formation de la jeune fille rurale et dans les usines.

21. M. EL AYEB (Tunisie) explique, à propos du financement de la santé, que les dépenses publiques consacrées à ce secteur ont connu, entre 1987 et 1997, une augmentation en volume de l'ordre de 270 %, selon un taux d'accroissement annuel moyen de 10,5 %, alors que le budget général de l'État n'a progressé que de 9 %. Les dépenses globales de santé ont augmenté plus rapidement que le PIB (13,3 % contre 9,5 % à prix courants). Parallèlement à cet effort de l'État, la part des caisses de sécurité sociale dans le financement de la santé a progressé pendant cette période de 15,6 % en moyenne par an, le taux de couverture du régime de sécurité sociale étant passé de 52 % en 1986 à environ 82 % actuellement. Dans l'ensemble, on peut dire que l'État a recentré son effort sur la prise en charge des indigents, le financement des activités de prévention et de formation, et la mise à contribution accrue des caisses de sécurité sociale. On note par ailleurs une nette tendance du consommateur tunisien à se montrer

plus exigeant vis-à-vis de sa santé, puisque les dépenses d'hygiène et de soins ont atteint en 1995 9,6 % des dépenses des ménages contre 5,4 % en 1975. Comme conséquence de la politique sanitaire mise en place, la quasi-totalité des indicateurs se rapportant aux conditions de vie et aux conditions sanitaires ont connu une évolution importante, qu'il s'agisse de l'espérance de vie qui atteint aujourd'hui 72 ans, du taux de mortalité infantile ou du taux de vaccination. En matière de prestations familiales, l'option prise à partir de la fin des années 80 a consisté à favoriser la préservation du pouvoir d'achat et l'accroissement des revenus dans leur ensemble. Les revenus de transfert ont pratiquement triplé en 10 ans pour atteindre près de 20 % du PIB et plus de la moitié des dépenses de l'État à caractère social. Le montant des transferts pour chaque famille est supérieur au salaire minimum.

22. Pour M. SADI, s'il faut se réjouir qu'une législation ait été adoptée en 1998 en faveur des enfants nés hors mariage, il est regrettable que ceux-ci soient toujours qualifiés "d'illégitimes". La Tunisie ne pourrait-elle pas envisager d'abandonner ce qualificatif pour parler simplement d'"enfants nés hors mariage"?

23. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO partage l'avis de M. Sadi. Elle estime qu'aucune distinction ne devrait être faite dans l'état civil entre enfants légitimes et enfants naturels. Si un enfant ne peut pas prouver l'identité de son père, c'est celle de sa mère qui devrait figurer dans le registre.

24. M. HUNT souhaite savoir quelle est la nature du Haut Comité pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Ses travaux sont-ils plutôt axés sur les droits civils et politiques ou sur les droits économiques, sociaux et culturels?

25. M. MORJANE (Tunisie) répond à M. Sadi et à Mme Jimenez Butragueño que les autorités sont très attentives à sauvegarder l'intérêt de l'enfant. C'est pourquoi la loi de 1998 ne parle pas d'enfants illégitimes, mais d'enfants abandonnés ou de filiation inconnue. L'enfant de père inconnu est inscrit au registre de l'état civil sous le nom de sa mère, mais a la possibilité d'intenter une action en justice pour recherche de paternité, recherche facilitée par les nouvelles techniques scientifiques. En réponse à la question de M. Hunt, M. Morjane précise que le Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'occupe de tous les droits de l'homme.

Articles 13 à 15 du Pacte

26. M. AHMED se félicite que le Gouvernement tunisien consacre 20 % de son budget au développement de l'éducation et salue la qualité du système éducatif tunisien. Il regrette toutefois que l'enseignement supérieur soit privilégié et que de nouvelles universités soient en construction ou en projet alors que de nombreux diplômés se retrouvent au chômage. Dans le même temps, bien que le taux d'analphabétisme ait fortement baissé, il est deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Le taux d'abandon scolaire est également plus élevé chez les filles. Dans l'enseignement supérieur, les femmes se cantonnent dans des domaines d'étude qui offrent peu de débouchés professionnels alors qu'il y a un nombre insuffisant de diplômés hautement qualifiés dans les domaines de l'économie et de la gestion. M. Ahmed demande si les autorités tunisiennes n'auraient pas trop investi dans les bâtiments et dans le matériel au détriment de la qualité des programmes d'enseignement et du corps enseignant. Il se félicite toutefois que le Gouvernement se soit récemment concentré sur l'enseignement professionnel et sur l'apprentissage par le biais des stages d'initiation à la vie professionnelle. En conclusion, il souligne la nécessité de prendre des mesures afin de combler toutes ces lacunes.

27. M. ANTANOVICH, se référant aux réponses écrites du Gouvernement tunisien à la question 39 de la liste des points à traiter, se félicite que le taux d'abandon scolaire soit passé de 7 % en 1990 à 3 % en 1998 et que cette baisse soit plus sensible chez les filles que chez les garçons. Il souhaiterait avoir de plus amples renseignements sur le sort qui est réservé aux élèves qui ont abandonné leurs études à la fin du premier cycle de l'enseignement de base, statistiques à l'appui. Il demande des explications sur la corrélation qui est établie entre l'expérience professionnelle des enseignants et le taux d'abandon scolaire. Les qualifications de ces derniers sont-elles en cause? Que compte faire le Gouvernement tunisien pour remédier à ce problème? Au sujet du programme de mise à niveau de la formation professionnelle et de l'emploi (MANFORME), M. Antanovich aimerait savoir comment les jeunes formés sont utilisés sur le marché du travail et si un organisme les aide dans leurs démarches.

28. En ce qui concerne les réponses écrites du Gouvernement tunisien à la question 41 de la liste des points à traiter, M. Antanovich demande si des cours spécifiques sont consacrés à l'enseignement des droits de l'homme. Il souhaite avoir un complément d'information sur les cours dispensés aux enseignants, aux militaires, aux juges et aux fonctionnaires.

29. Sur l'application de l'article 15 du Pacte, M. Antanovich demande si un organisme gouvernemental spécialisé s'occupe de préserver la culture et le patrimoine tunisiens. Existe-t-il une coopération avec l'UNESCO ou avec d'autres organisations internationales? Quels sont les problèmes qui peuvent se poser? Se référant aux réponses écrites du Gouvernement tunisien à la question 46 de la liste des points à traiter, M. Antanovich demande de plus amples renseignements sur les conditions d'octroi du visa d'exploitation des films, notamment sur les retards et refus éventuels. La Commission d'orientation théâtrale fonctionne-t-elle comme un organe de contrôle? Qu'en est-il des œuvres littéraires, artistiques et culturelles en général?

30. M. HUNT, appuyé par M. THAPALIA, voudrait en savoir plus sur les restrictions qui seraient imposées dans la pratique à la liberté académique du fait de l'autocensure des enseignants, de l'application de la circulaire du Ministère de l'éducation exigeant la notification préalable et l'approbation des conférences publiques et de la présence de la police dans les campus universitaires.

31. M. THAPALIA souhaite savoir si le Gouvernement envisage de prendre des mesures spécifiques pour réduire l'analphabétisme chez les filles et le taux d'abandon scolaire, notamment chez ces dernières. Le Gouvernement compte-t-il inverser la tendance au surinvestissement dans l'enseignement supérieur ainsi que dans les bâtiments et équipements?

32. M. MARCHAN ROMERO, appuyé par M. CEAUSU, demande en quoi consistent les procédures du dépôt légal. Restreignent-elles la liberté d'expression? Quel est le montant des fonds affectés au développement de la vie culturelle? Quel est le budget des établissements de recherche? M. Marchan Romero souhaite également savoir si le type de protection juridique et administrative dont bénéficient les chercheurs de la fonction publique serait accordée aux particuliers qui font des recherches dans les mêmes domaines. Comment ces garanties s'appliquent-elles dans la pratique, notamment dans le contexte des restrictions imposées à la liberté d'expression dans les universités?

33. M. CEAUSU demande si le Ministère de la culture peut refuser le dépôt légal et quel est le régime d'importation des livres et des journaux. Il voudrait également savoir s'il est possible de voir les émissions de télévisions étrangères en Tunisie grâce au satellite ou au câble. Les livres, magazines et journaux sont-ils soumis à la censure?

34. M. TEXIER demande s'il est vrai que la police est installée dans les bâtiments universitaires et qu'elle aurait arrêté des étudiants membres de l'Union générale des étudiants de Tunisie à l'occasion de meetings ou d'assemblées générales. Dans l'affirmative, quels étaient les motifs invoqués? Est-ce exact que des livres sont saisis à l'impression ou que des pages sont supprimées avant la publication des ouvrages? Les livres importés sont-ils librement commercialisés? le Gouvernement compte-t-il assouplir ses pratiques dans ce domaine?

35. M. MORJANE (Tunisie) répond à M. Ahmed et à M. Thapalia que l'effort financier consenti sur le plan de l'infrastructure, dont le coût était élevé mais qui était nécessaire dans un pays sous-équipé comme la Tunisie, se résorbera de lui-même. Le Gouvernement tunisien n'a pas investi dans l'infrastructure au détriment de l'enseignement et n'a pas décidé de privilégier l'enseignement supérieur par rapport à l'enseignement primaire et secondaire. L'implantation de nouvelles universités tient compte de l'activité économique de la région qui les accueillera et de la nécessité de décentraliser l'enseignement dans l'intérêt des étudiants et de leur famille.

36. En ce qui concerne la liberté de la presse, M. Morjane explique que le dépôt légal ne constitue en aucune manière une atteinte à la liberté de la presse, laquelle est garantie par l'article 8 de la Constitution et par le Code de la presse. Toutefois, l'article 2 du Code dispose que "les imprimés, écrits de toute nature mis publiquement en vente, en distribution ou en location sont soumis à l'obligation de dépôt légal". En conséquence, selon une procédure que la Tunisie a en commun avec la France, un exemplaire de toute publication destinée à la vente doit être remis respectivement au Ministère de la culture, au Ministère de l'intérieur, au Procureur de la République et à la Bibliothèque nationale. Cette procédure ne constitue pas une demande d'autorisation mais une simple formalité car la vente peut commencer dès que le dépôt légal a été effectué. Les périodiques provenant de l'étranger ne sont pas soumis à cette obligation, contrairement aux livres étrangers. Des problèmes se posent lorsqu'un libraire ou un distributeur local n'effectue pas le dépôt légal pour des livres importés.

37. M. AYED (Tunisie) dit que la Tunisie a quasiment atteint ses objectifs quantitatifs concernant l'éducation universelle puisque 99,1 % des enfants de 6 ans sont aujourd'hui scolarisés. Par ailleurs, l'égalité dans l'accès à l'éducation est une réalité aussi bien pour les filles que pour les garçons et pour les habitants des zones rurales que pour ceux des zones urbaines.

38. Le Gouvernement a fait de la lutte contre l'abandon scolaire (3,3 %) et de l'échec scolaire dans l'enseignement primaire sa priorité absolue dans le domaine de l'éducation. Depuis quelques années, il applique, avec l'aide de l'UNICEF, un "programme de compétences de base" mettant en œuvre une pédagogie novatrice ayant pour but d'amener 95 % des élèves, y compris ceux qui sont en difficulté, à la neuvième année de l'enseignement de base. Il veille ainsi à ce que chaque Tunisien reçoive l'éducation minimale indispensable pour être ensuite en mesure de jouer pleinement son rôle de citoyen. Le programme sera appliqué tout d'abord dans le primaire, à partir de 2000, puis étendu progressivement à tous les niveaux de l'enseignement de base.

39. L'échec scolaire est sûrement lié en partie à la formation des enseignants. Il est donc apparu nécessaire d'améliorer la formation de base des instituteurs – le baccalauréat suivi de deux années d'études supérieures – en leur dispensant, dans le cadre du Programme des compétences de bases, une formation complémentaire fondée sur une pédagogie mettant en œuvre un ensemble de techniques propres à améliorer l'efficacité de leur enseignement. Les enseignants du primaire reçoivent aussi une formation continue.

40. L'accent est-il mis de façon déséquilibrée sur la construction d'infrastructures dans l'enseignement supérieur au détriment de la qualité de l'enseignement ? M. Ayed répond que, pour élever le niveau d'instruction général, les autorités scolaires doivent former toujours plus d'étudiants, ce qui exige la construction de nouveaux locaux. Le Gouvernement s'efforce de répondre aux besoins d'infrastructures en mettant en œuvre une politique de décentralisation, sur la base d'une carte universitaire, visant à permettre aux étudiants d'accéder à l'enseignement supérieur dans leur propre région. Par ailleurs, les autorités n'ont jamais cherché à orienter systématiquement les étudiantes vers les disciplines littéraires ou les sciences humaines. Traditionnellement, l'ensemble des étudiants, filles et garçons, optaient à une forte majorité – 60 à 75 % – pour les études non scientifiques. La tendance s'est maintenant inversée: ils ne sont plus que 28 % à choisir une formation littéraire.

41. Le Gouvernement tunisien assure la protection du patrimoine culturel de la Tunisie, notamment par l'intermédiaire de l'Institut national du patrimoine et de l'Agence nationale pour le patrimoine qui s'attachent à préserver les sites archéologiques et historiques du pays, mais aussi par les musées dont certains sont construits sur des sites particulièrement intéressants.

42. Le Gouvernement respecte strictement les libertés universitaires et n'entrave pas de quelque manière que ce soit la liberté d'enseigner. La circulaire sur les conférences évoquée par un membre du Comité n'avait pas pour but d'obtenir que la teneur des exposés des conférenciers étrangers invités en Tunisie soit communiquée à l'avance aux autorités. Celles-ci voulaient seulement connaître la liste de ces conférenciers pour des raisons de sécurité. Il s'agissait donc non pas d'une mesure de censure mais d'une simple formalité administrative.

43. De même, la police universitaire a été créée pour ramener la paix sur les campus universitaires et permettre le bon fonctionnement des universités que perturbaient quotidiennement les agissements violents de groupes minoritaires extrémistes. Placé sous les ordres des autorités universitaires, ce corps de police a strictement pour mission d'assurer la protection des personnes et des biens ainsi que le maintien de l'ordre dans les universités. Il n'est fait appel à ses services que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la sécurité dans les universités l'exige.

44. M. MORJANE (Tunisie) remercie chaleureusement les membres du Comité du vif intérêt qu'ils apportent à l'application du Pacte en Tunisie comme en témoignent la précision et la pertinence de leurs questions. Le débat fructueux qui s'est instauré entre le Comité et la délégation tunisienne sera utile au Gouvernement tunisien pour continuer dans la voie qu'il s'est tracé: assurer le développement social et économique du pays dans un esprit de dialogue entre les cultures, d'ouverture et de tolérance, en mettant toujours l'accent sur l'épanouissement de la personne humaine.

45. La PRÉSIDENTE remercie vivement la délégation tunisienne du remarquable esprit de coopération dans lequel elle a répondu aux nombreuses questions des membres du Comité. Elle déclare que le Comité a ainsi terminé l'examen du deuxième rapport périodique de la Tunisie.

46. La délégation tunisienne se retire.


La séance est levée à 13 h 5.


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