Distr.

GENERALE

E/C.12/1999/SR.17
19 décembre 1999


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 17e seance : Tunisia. 19/12/99.
E/C.12/1999/SR.17. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CESCR
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


Vingtième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 17e SÉANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le jeudi 6 mai 1999, à 10 heures.

Président: Mme BONOAN-DANDAN


SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS:

a) RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (suite)

Deuxième rapport périodique de la Tunisie

EXAMEN DES RAPPORTS:

a) RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE (point 8 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la Tunisie, document de base (HRI/CORE/1/Add.46) [(E/1999/6/Add.14), liste des points à traiter (E/C.12/Q/TUN/1), réponses écrites de la Tunisie (document distribué sans cote); profil de pays (E/C.12/CA/TUN/1)]

1. Sur l'invitation de la Présidente, la délégation tunisienne prend place à la table du Comité.

2. La PRÉSIDENTE donne la parole à la délégation tunisienne.

3. M. MORJANE (Tunisie) présente les grandes lignes de la politique menée par le Gouvernement tunisien en vue de garantir les droits énoncés dans le Pacte. Le Gouvernement tunisien s'emploie à assurer le développement économique et le progrès social dans le respect des droits fondamentaux des Tunisiens dont il favorise l'épanouissement.

4. Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a mené une politique d'ensemble efficace qui a permis notamment d'améliorer l'espérance de vie qui est passée de 54 ans en 1961 à 71 ans en 1996, et d'accroître le revenu par habitant qui a presque triplé entre 1984 et 1997. Cette politique a aussi permis de réduire le nombre des logements rudimentaires de 23,7 % en 1975 à 2,7 % en 1994 et de ramener l'analphabétisme de 54,9 % en 1975 à 31,7 % en 1994.

5. Dans son rapport de 1998 sur la pauvreté, le Programme des Nations Unies pour le développement a constaté que le Gouvernement tunisien a fait reculer durablement la pauvreté grâce à un ensemble de mesures diverses et complémentaires et à un investissement important dans les ressources humaines. Pour cela, la Tunisie a augmenté de 9 % par an les dépenses sociales par habitant pendant la période 1986-1993, tout en appliquant un programme d'ajustement structurel.

6. La politique de développement économique et social du Gouvernement tunisien s'inspire d'une conception globale, soucieuse d'assurer la complémentarité entre les droits civils et politiques des citoyens, d'une part, et les droits économiques et sociaux de ces derniers, d'autre part, conformément aux principes universellement reconnus qui ont été définis à la Conférence mondiale de Vienne sur les droits de l'homme, en 1993. Cette politique subordonne entièrement l'économie aux objectifs de développement social et non le contraire.

7. Convaincu que seul un processus de développement durable permettra d'assurer l'intégration de tous les citoyens tunisiens dans la vie sociale, le Gouvernement a défini une démarche globale qui s'attache à intégrer l'évolution démographique dans le développement économique et social, à développer la protection sanitaire, à sensibiliser la population aux problèmes d'environnement, à améliorer l'efficacité du système éducatif tout en l'ouvrant à tous sans discrimination, et à favoriser l'intégration dans le monde du travail dans des conditions d'égalité.

8. Dès 1959, l'État s'est reconnu l'obligation, dans la Constitution, de garantir à chaque citoyen tunisien l'accès au travail. Il a ensuite promulgué le Code du travail et adhéré à 56 conventions internationales de l'OIT, notamment aux sept conventions fondamentales de cette organisation. Il a développé considérablement les régimes de sécurité sociale, de telle sorte que ces derniers permettent aujourd'hui à 82 % de la population de bénéficier d'une protection sociale couvrant la maladie, la maternité, les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'invalidité, la vieillesse et le décès. Pour cela, le volume des prestations sociales a plus que triplé de 1986 à 1987.

9. La sécurité sociale contribue aussi à l'amélioration des conditions de vie de la population et à la solidarité nationale dans d'autres domaines tels que le logement, l'aide aux personnes handicapées, la prévention des accidents du travail, le renforcement de l'infrastructure de santé, la protection de l'emploi et l'aide aux travailleurs licenciés pour des raisons économiques.

10. Le Gouvernement s'efforce tout particulièrement d'améliorer la protection de la santé qui est un droit fondamental de la personne humaine reconnu dans la loi n° 91-63 du 29 juillet 1991. Il a fait un effort en faveur du budget de la santé qui a augmenté en moyenne de 10,5 % par an entre 1987 et 1997, soit plus rapidement que le budget général de l'État.

11. Le Gouvernement met en œuvre des stratégies cohérentes et complémentaires dans les domaines de l'éducation, de la formation professionnelle, de la santé et de l'alphabétisation afin d'assurer l'intégration économique et sociale des catégories les plus démunies. Il poursuit une action d'avant-garde pour la promotion des droits des femmes et l'élimination de toutes les formes de discrimination fondées sur le sexe, en conformité avec le Code du statut personnel, le Code du travail, le Code pénal et le Code de la nationalité, et en utilisant divers mécanismes de protection. Outre ce dispositif législatif national, il a ratifié la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ainsi que les conventions n° 100 (égalité de rémunération) et n° 111 (discrimination en matière d'emploi et de profession) de l'OIT.

12. Grâce à la politique générale qui a été menée en faveur des femmes, aujourd'hui 47,4 % des élèves de l'enseignement de base, 50,6 % de ceux de l'enseignement secondaire et 48,3 % de ceux de l'enseignement supérieur sont de sexe féminin. Parmi les enfants de 6 ans, 99 % des filles sont scolarisées, à égalité avec les garçons. Dans la tranche des 13-19 ans, 62 % des filles sont scolarisées contre 58,5 % des garçons. Néanmoins, en 1998, un nombre presque aussi important de filles (49,1 %) que de garçons (50,1 %) ont été reçues au baccalauréat.

13. La condition des femmes tend à s'améliorer dans les domaines de la santé et de l'emploi et celles-ci représentent maintenant le quart de la population active. Le Gouvernement veille à assurer la promotion de leurs droits en s'attachant à consolider de façon permanente l'équilibre et la stabilité de la famille, dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

14. Le Gouvernement s'emploie à mettre en place les infrastructures nécessaires pour assurer l'exercice du droit de tous à un niveau de vie suffisant, notamment par la mise en œuvre de programmes nationaux qui ont permis d'accroître considérablement le nombre des foyers raccordés à des systèmes de distribution d'eau potable et d'électricité, y compris dans les zones rurales. Il s'efforce particulièrement d'améliorer la situation du logement par le biais d'un système d'aide à l'accès au logement financé par des prêts accordés par la Banque de l'habitat et par les caisses de sécurité sociale. Le Fonds de promotion des logements sociaux et d'autres organismes de financement ont pour but d'aider les catégories défavorisées à améliorer leur habitat. Ce dispositif a contribué à accroître le parc de logements de 3,6 % chaque année.

15. Le Gouvernement s'efforce d'assurer le droit à l'accès à l'éducation dans des conditions d'égalité en appliquant le principe de la gratuité et en faisant respecter le caractère obligatoire de l'éducation. La gratuité est le fondement de la démocratisation de l'enseignement et de l'égalité des chances. Appliquée sans exception dans tous les cycles d'enseignement, elle permet d'assurer la mise en œuvre de l'obligation de scolariser les enfants de 6 ans à 16 ans, conformément à la loi n° 65 relative au système éducatif.

16. Le Gouvernement tunisien est fier de ce qui a été fait dans tous les domaines mais reste conscient du chemin qu'il reste encore à parcourir pour instaurer en Tunisie une société plus juste, solidaire et tolérante.

17. La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à faire des observations ou à poser des questions se rapportant à la Liste des points à traiter (E/C.12/Q/TUN/1).

Cadre général de la mise en œuvre du Pacte et points relatifs aux dispositions générales du Pacte

18. M. PILLAY se félicite de la qualité et du caractère exhaustif du rapport et des réponses écrites. Il constate que la Tunisie a un système juridique moniste, c'est-à-dire que les traités internationaux, une fois ratifiés et publiés au Journal officiel, ont force de loi. Tous les droits économiques, sociaux et culturels sont d'ailleurs consacrés dans la Constitution et tout Tunisien peut former un recours auprès des tribunaux. Cela dit, existe-t-il une jurisprudence qui montre que les droits inscrits dans le Pacte ont été directement invoqués dans une décision de justice? Les personnes qui estiment que leurs droits ont été violés peuvent-elles avoir recours à un système d'aide judiciaire?

19. En ce qui concerne l'indépendance du pouvoir judiciaire, M. Pillay relève, au paragraphe 65 du document de base de la Tunisie (HRI/CORE.1/Add.46), que la Constitution consacre le principe de l'indépendance des magistrats, qui "n'obéissent qu'à la loi dans les affaires de justice". Or, le rapport de 1998 du Département d'État des États-Unis contient des informations préoccupantes, à savoir que l'exécutif a une très forte influence sur le pouvoir judiciaire. Non seulement le pouvoir exécutif a la haute main sur la nomination et la mutation des juges mais, surtout, le Chef de l'État préside le Conseil suprême de la magistrature. De fait, les juges sont susceptibles d'être soumis à des pressions dans le cadre des affaires politiquement sensibles. Quelle est la position de la délégation sur cette question?

20. À propos de l'article 2.2 du Pacte (non-discrimination), M. Pillay croit savoir qu'en matière sociale les régions du nord-est du pays ont fait davantage de progrès que celles du nord-ouest, et les villes beaucoup plus que les zones rurales. En outre, alors que le taux d'analphabétisme a sensiblement diminué pour l'ensemble de la population, on compte deux fois plus de femmes que d'hommes parmi les analphabètes. Quelles mesures le Gouvernement tunisien a-t-il prises face à ces très importants problèmes?

21. M. KOUZNETSOV dit que, dans les années 80, la Tunisie a modifié sa législation, en particulier sa Constitution. Quelles sont, parmi ces modifications, celles qui portent directement sur les droits économiques, sociaux et culturels? En ce qui concerne la non-discrimination, M. Kouznetsov rappelle que le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a estimé, dans un rapport de mai 1995 (A/50/38, par. 222), que la Tunisie "offrait un exemple resplendissant aux autres pays ... parce qu'elle avait su interpréter l'islam de façon progressiste et constructive". Concrètement, quelles en sont les conséquences sur la situation des femmes? Dans sa déclaration liminaire, le chef de la délégation soutient que la discrimination contre les femmes n'existe pas en Tunisie. Comment est-on parvenu à un tel résultat?

22. M. HUNT dit que, parmi les nombreuses mesures d'ordre politique, administratif ou judiciaire pouvant être prises pour assurer le respect des droits économiques, sociaux et culturels, figure en bonne place la création d'institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme. C'est pourquoi, en 1991, l'ONU a adopté les Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales, qui régissent le financement, les attributions et les pouvoirs de ces organes. En Tunisie, le Gouvernement a mis en place plusieurs organismes chargés de veiller au respect des droits de l'homme (Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, médiateur administratif auprès du Président de la République, bureaux des relations avec les citoyens, etc.). Or, la plupart de ces organes n'ont qu'un rôle consultatif et ne sont pas habilités à donner suite aux plaintes qu'ils reçoivent. Certes, on ne peut nier leur importance, mais force est de reconnaître qu'ils ne sauraient être qualifiés d'institutions nationales pour la protection des droits de l'homme, au sens où on l'entend dans les Principes de Paris. Dans le monde entier, on s'accorde à reconnaître que si les tribunaux jouent un rôle fondamental dans la protection des droits de l'homme, les institutions nationales visées par les Principes de Paris ont un rôle complémentaire important à jouer. Le Gouvernement tunisien est-il prêt à considérer favorablement la création d'institutions nationales pour la protection des droits de l'homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels?

23. M. THAPALIA dit que le Comité des droits de l'homme, dans ses observations concernant la Tunisie (CCPR/C/79/Add.43), "regrette qu'en dépit des progrès importants accomplis vers l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, il subsiste dans les lois un certain nombre de dispositions dépassées ... se rapportant au statut de la femme mariée et à l'égalité de ses droits en matière de garde des enfants, de transmission de la nationalité et de consentement parental pour le mariage des enfants mineurs". Le Gouvernement tunisien a-t-il fini par abroger ces dispositions dépassées? Quelles sont les nouvelles lois et pratiques adoptées pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes?

24. M. CEAUSU constate que les étrangers sont autorisés à exercer un travail salarié en Tunisie, tout en bénéficiant des mêmes droits que les travailleurs tunisiens. Il souhaiterait savoir quel est le nombre de travailleurs étrangers et si ceux-ci peuvent choisir leur lieu de travail et leur métier. Sont-ils autorisés à adhérer à un syndicat et peuvent-ils être élus aux instances dirigeantes de celui-ci? Étant donné que la Tunisie a conclu avec certains pays des conventions bilatérales de sécurité sociale, qui régissent notamment le libre transfert des prestations en cas de retour du travailleur dans son pays d'origine, qu'a-t-on prévu pour les ressortissants des pays avec lesquels de telles conventions n'existent pas?

25. En ce qui concerne la protection de l'enfance, M. Ceausu demande des précisions sur le sens à donner au nouvel article 210 du Code pénal, qui stipule: "est puni d'emprisonnement à vie le père qui commet un homicide volontaire sur la personne de son enfant". Qu'en est-il de la mère? De même, on a du mal à comprendre pourquoi, dans des affaires d'abandon d'enfants, la peine est différente selon que l'enfant est délaissé dans un lieu peuplé ou non peuplé. En matière de tutelle des enfants, l'article 67 du Code du statut personnel signifie-t-il qu'une femme divorcée, qui a pourtant la garde des enfants, ne peut assumer la fonction de "tuteur" qu'en cas d'incapacité prouvée du père?

26. Abordant l'article 3 (Égalité entre hommes et femmes), M. Ceausu demande quelles sont, en cas de divorce, les principales règles régissant le partage des biens entre des époux ayant opté pour le régime de la communauté des biens. En ce qui concerne la présence croissante des femmes dans le service public, il semble que la loi admette des distinctions entre les deux sexes, justifiées par des raisons inhérentes à la nature des fonctions ou à des considérations de service. Quelles sont ces raisons et qu'entend-on par "considérations de service"?

27. M. AHMED dit qu'à la question de savoir quels sont les obstacles rencontrés dans les efforts visant à donner pleinement effet aux droits reconnus dans le Pacte, le Gouvernement tunisien répond que les seules difficultés éprouvées "ne peuvent être que de nature exogène". Il est permis d'en douter et il semble bien que le Gouvernement se soit également heurté à des obstacles de nature interne, notamment le chômage, qui frappe 15,6 % de la population active, soit 390 000 personnes, dont la moitié sont âgées de moins de 25 ans. Un autre problème interne a trait aux coûts de la main-d'œuvre tunisienne, égaux, voire supérieurs à ceux des pays concurrents. La hausse récente de ces coûts amène à se demander si la Tunisie n'est pas victime des succès obtenus dans l'amélioration du niveau de vie de la population.

28. Cela dit, M. Ahmed salue les avancées en matière de protection sociale et dit son admiration pour la façon dont la Tunisie a su concilier les principes de l'islam et les exigences du monde moderne, notamment en ce qui concerne la situation de la femme. La délégation peut-elle donner des précisions sur les progrès accomplis dans ce domaine, qui représente un défi majeur dans beaucoup de sociétés musulmanes? Pour finir, M. Ahmed demande pourquoi la Tunisie n'a pas incorporé le Pacte dans son droit interne, d'autant plus que tous les droits qui y sont consacrés peuvent être invoqués devant les tribunaux.

29. M. WIMER se félicite de la bonne image dont jouit la Tunisie en ce qui concerne l'application des droits économiques, sociaux et culturels, et salue les importants efforts consentis par le Gouvernement pour assurer la reconnaissance des droits de la femme. Cela dit, le Comité des droits de l'homme a, en 1994, exprimé sa préoccupation au sujet de la discrimination dont sont victimes en droit les non-musulmans sur le plan de l'éligibilité aux charges publiques. Quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion et quels sont les succès obtenus?

30. Mme JIMENEZ BUTRAGUEÑO déplore que des dispositions discriminatoires à l'égard des femmes subsistent dans la législation, notamment en ce qui concerne le droit de la famille. Quels sont les droits de la femme en matière d'héritage? Les femmes ont-elles facilement accès au crédit ou doivent-elles obtenir l'accord préalable de leur mari?

31. M. CHERIF (Tunisie) dit, à propos de la question de l'intégration des dispositions des instruments internationaux dans le droit interne tunisien, que l'article 32 de la Constitution confère aux instruments qui ont été dûment ratifiés valeur de loi. Dans la hiérarchie des normes, ceux-ci ne priment pas la Constitution et l'emportent sur la législation interne. Leurs dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux qui doivent alors normalement les appliquer conformément à l'article 32 de la Constitution. La jurisprudence n'est cependant pas riche dans ce domaine et peu de décisions de justice font référence à ces instruments du fait que les avocats et les parties préfèrent de par leur formation se référer plutôt au droit interne tunisien. C'est pourquoi des efforts particuliers sont faits en Tunisie dans le domaine de l'enseignement des droits de l'homme, notamment en ce qui concerne les magistrats. Des matières relatives aux instruments internationaux sont enseignées à l'Institut supérieur de la magistrature, aux avocats et aux autres auxiliaires de la justice. La Tunisie compte que cet effort contribuera à enrichir dans l'avenir la jurisprudence basée sur les règles du droit international. De fait, depuis quelques années, des décisions de justice se réfèrent aux conventions relatives aux droits des femmes, à la Convention relative aux droits de l'enfant, ou au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En outre, le législateur est pleinement conscient de cette réalité et n'hésite pas à modifier les codes et les législations en vigueur de façon à intégrer les normes de droit international dans le droit interne.

32. Pour ce qui est de l'indépendance de la justice, le principe est reconnu par la Constitution tunisienne aux articles 64, 65 et 66. Le Conseil supérieur de la magistrature est chargé en principe de gérer la carrière des magistrats: recrutement, nomination et discipline. Il n'y a donc pas de rapport direct entre ce rôle et les jugements que rendent les tribunaux. Le fait que le Conseil supérieur de la magistrature soit composé uniquement de magistrats le préserve des influences extérieures et politiques, notamment. Quant à la fonction du Président de la République, c'est en tant que chef d'un État républicain où le pouvoir judiciaire est l'un des pouvoirs constitutionnels qu'il préside le Conseil supérieur de la magistrature, et il n'y a en principe aucune immixtion des autres pouvoirs dans le travail quotidien des magistrats. De l'avis de M. Cherif, le fait que le chef de l'État préside le Conseil supérieur de la magistrature constitue une garantie supplémentaire dans la mesure où sa présence influe positivement sur les autres pouvoirs pour éviter toute immixtion.

33. Pour ce qui est du système d'aide judiciaire, il y a en Tunisie une législation qui fixe les procédures d'octroi de cette aide – par une commission spéciale établie auprès de chaque tribunal de première instance – aux justiciables nécessiteux. Le recours à cette aide est de plus en plus encouragé pour certains cas: demandes de pension alimentaire ou affaires relatives aux enfants, par exemple. Ce système fonctionne bien et il contribue à assurer davantage la gratuité de la justice et à rendre celle-ci accessible à tous les justiciables.

34. Pour ce qui est des éclaircissements demandés par M. Ceausu au sujet du sens à donner à l'article 210 du Code pénal, il convient de faire observer qu'en raison d'une erreur de traduction survenue dans la version française de ce texte le mot arabe signifiant "ascendant" a été rendu à tort par le mot "père", donnant ainsi l'impression qu'il y a une discrimination entre le père et la mère en cas d'infanticide. Or, l'article 211 de ce même code, qui punit la mère infanticide de son nouveau-né d'une peine de 10 ans d'emprisonnement montre bien que la loi sanctionne "l'ascendant" au sens large (père, mère, grand-père, grand-mère, sans discrimination) et non seulement le "père" comme il est dit dans le texte français. Il n'y a donc pas de discrimination à cet égard entre les hommes et les femmes.

35. Pour ce qui est de la question de la garde des enfants, celle-ci était confiée en priorité à la mère. Depuis cette date, seul est pris en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, principe que consacre la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire que la garde est toujours attribuée en fonction de l'intérêt de l'enfant. À cet égard, le devoir de coopération entre époux s'applique en droit tunisien et de ce fait la garde est confiée conjointement au père et à la mère. En cas de dissolution du mariage, si la justice octroie la garde à la mère, celle-ci détient alors automatiquement les prérogatives en ce qui concerne les biens de l'enfant, l'éducation et les voyages. En cas de défaillance du père, la mère peut intenter une action en justice pour obtenir toutes les prérogatives: celles de la garde et celles de la tutelle.

36. Pour ce qui est de l'autorisation du mari dans les actes concernant l'enfant, le devoir de coopération entre époux prévaut et implique la concertation entre les parents en ce qui concerne les affaires de l'enfant. Vis-à-vis de l'administration, n'importe lequel des deux parents peut accomplir tous actes et prendre toutes mesures au nom de l'enfant mineur.

37. Pour ce qui est du droit successoral, il est vrai que s'applique encore en Tunisie le principe du droit musulman qui octroie à la personne de sexe masculin une part deux fois plus élevée qu'à la personne de sexe féminin. Toutefois, le législateur tunisien, dans le cadre d'une interprétation éclairée du texte saint, a apporté certains assouplissements à ce principe général. Ainsi, le principe du "rad" veut que si quelqu'un décède en ne laissant qu'une fille – qui ne peut hériter en principe que de la moitié de la succession, l'autre moitié revenant aux parents du défunt – celle-ci pourra toutefois recevoir toute la succession, la moitié en tant qu'héritière de droit et l'autre moitié au titre du "rad". Dans ce cas, il n'y a donc pas de discrimination entre fils et fille uniques.

38. En ce qui concerne le partage des biens entre les époux en cas de divorce, il a été institué récemment en Tunisie un régime de la communauté des biens, mais celui-ci est facultatif. Le plus courant est celui de la séparation de biens. Lorsque les époux sont mariés sous ce régime, les articles du Code du statut personnel qui régissent le partage des biens entre eux sont les articles 26 et 27. L'article 26 énonce qu'en cas de contestation entre les époux au sujet de la propriété des biens et en l'absence de preuves, la femme prend les biens appartenant habituellement aux femmes, l'homme ceux appartenant habituellement aux hommes. Lorsque les deux époux sont mariés sous le régime de la communauté des biens, chacun prend la moitié des biens ou de la valeur des biens se trouvant dans la communauté. Bien que facultative, la communauté des biens est un régime que l'État incite les conjoints à choisir en raison de son influence très forte sur la stabilité de la famille et de l'intérêt qu'il présente pour les enfants.

39. M. AYED (Tunisie) dit, à propos de l'interprétation éclairée de l'islam en Tunisie, en ce qui concerne en particulier le problème de la polygamie, que cette question relève du Coran. Cela signifie que la polygamie entre dans le cadre général de ce qu'on appelle en islam l'"ijtihad", c'est-à-dire l'effort personnel fait pour lire le texte religieux. Il n'y a en effet en Islam aucune autorité unique qui donne une seule lecture du texte coranique. Ainsi, la liberté est laissée aux musulmans d'interpréter le texte en fonction des situations. Une sourate du texte coranique dit, à ce sujet, que l'homme peut prendre deux, trois ou quatre épouses à condition d'être juste avec chacune d'elles mais s'il craint de ne pouvoir l'être, il ne doit en prendre qu'une. Un autre verset de la même sourate dit d'ailleurs ceci: Jamais vous ne pourrez être juste avec vos épouses. Ce "jamais" est interprété dans la lecture tunisienne presque comme une injonction divine de ne prendre qu'une seule épouse. Cette lecture est tout à fait dans les limites du texte du Coran, conforme à la lettre et à l'esprit de ce texte et à la dignité de la femme. S'ajoute à cela que même avant l'adoption du Code du statut personnel, la femme tunisienne était jalouse de son intégrité et admettait mal que son mari prenne une autre femme. La société tunisienne était donc mûre pour cette interprétation. Il y avait aussi dans le droit musulman ancien une disposition dite la disposition kairouanaise autorisant la femme, au moment de l'écriture du contrat, à introduire une clause prévoyant que si son mari décide de prendre femme, elle peut le quitter et s'en aller. Ce contexte religieux et culturel a fait qu'une lecture éclairée favorable à la condition de la femme a pu s'instaurer sans heurts et avec l'aval des hommes de religion. Ce texte a d'ailleurs été voté par l'assemblée, il a été le premier texte de la Tunisie indépendante. Il portait toutes les promesses de cette indépendance et de l'émancipation des Tunisiens.

40. M. TRABELSI (Tunisie) dit, à propos de la question de l'application du droit au travail et du droit à la sécurité sociale des travailleurs étrangers en Tunisie, que le Code du travail consacre la liberté d'accès au marché du travail de cette catégorie de travailleurs. Les travailleurs étrangers peuvent être recrutés par tout employeur étranger ou tunisien en Tunisie en vertu d'un contrat de travail et sans aucune restriction. En ce qui concerne les formalités administratives, la règle générale veut que le contrat soit déposé et qu'une autorisation soit donc demandée au Ministère de l'emploi et de la formation professionnelle. Des dérogations sont néanmoins prévues par le code d'incitation aux investissements, qui permet aux entreprises exportatrices de recruter jusqu'à quatre salariés étrangers sans avoir à accomplir au préalable ces formalités. Il n'y a pas non plus de restriction pour les travailleurs étrangers en ce qui concerne le changement de contrat de travail. La règle consacrée par le Code du travail est que le travailleur étranger peut conclure un nouveau contrat après avoir justifié que son contrat précédent a été résilié à l'amiable ou par voie judiciaire. Ce principe est d'ailleurs en voie d'être intégré dans toutes les conventions collectives du fait que certains employeurs demandent qu'un travailleur qui n'est pas encore libre de ses engagements avec son précédent employeur ne puisse pas être recruté.

41. En matière de classification, de rémunération et de conditions de travail, les travailleurs étrangers ont les mêmes droits mais aussi les mêmes obligations que les travailleurs tunisiens. Ce principe est consacré à l'article 263 du Code du travail. En matière de sécurité sociale, ils sont soumis à la même législation – c'est le principe de la territorialité des lois. En matière d'accidents du travail, les cotisations sont à la charge de l'employeur et non du travailleur et ces travailleurs étrangers restent donc soumis à la législation tunisienne. La Tunisie a conclu, en matière de sécurité sociale, des conventions bilatérales avec 10 pays et d'autres conventions de cette nature sont en cours de négociation pour régler la situation aussi bien des Tunisiens à l'étranger que des étrangers en Tunisie. Sur la question ayant trait au droit des étrangers d'être élus aux instances dirigeantes des syndicats, le Code du travail prévoit qu'ils peuvent être désignés ou élus à un poste d'administration ou de direction d'un syndicat avec l'agrément du Secrétariat d'État aux affaires sociales.

42. Selon Mme BEN ROMDHANE (Tunisie), l'expérience menée par la Tunisie est exemplaire parce qu'elle prouve que l'islam n'est pas contraire aux droits de la femme. L'islam est une religion progressiste qui n'interdit pas d'accorder des droits à la femme, bien au contraire. Mme Ben Romdhane rappelle que la polygamie a été abolie dans son pays en 1956 et que l'égalité entre les femmes et les hommes a été inscrite dans le Code du statut personnel, dont le texte a été amendé en 1993. À cette occasion, la disposition de l'article 23 selon laquelle la femme devait obéissance au mari a été remplacée par le devoir de respect mutuel des époux et de coopération dans la gestion du foyer et des affaires des enfants. La loi de 1998 réformant la Constitution tunisienne a introduit le principe de non-discrimination pour motif de sexe, en particulier dans l'article 8 relatif à l'organisation des partis politiques et dans l'article 21 sur les conditions à remplir pour être candidat à la députation. Il n'existe donc aucune discrimination à l'égard des femmes, tant sur le plan des droits civils et politiques que sur celui des droits économiques et sociaux.

43. En ce qui concerne l'éducation, Mme Ben Romdhane dit que, grâce aux dispositifs mis en place, le taux de scolarisation des filles a augmenté plus rapidement que celui des garçons, ce qui a permis de résorber les écarts qui existaient dans le primaire et le secondaire. À tel point que, dans la tranche des 13-19 ans, le taux de scolarisation des filles est désormais supérieur à celui des garçons. Depuis deux ans, le taux de réussite au baccalauréat est pratiquement identique pour les unes et les autres. En 1999, les lycées pilotes, qui forment les futures élites, ont même admis nettement plus de filles que de garçons. Les chiffres montrent que non seulement il n'existe pas de discrimination entre les filles et les garçons, mais aussi que celles-ci réussissent mieux que ceux-là sur le plan scolaire.

44. Depuis 1956, l'âge pour contracter mariage est de 17 ans pour la femme et de 20 ans pour l'homme. Suite aux réformes législatives de 1993, les mineures (l'âge légal de la majorité est fixé à 20 ans) mariées acquièrent la majorité civile. Toutefois, les statistiques révèlent une réalité différente. En effet, les jeunes filles se marient à 27 ans en moyenne contre 29 ans pour les jeunes hommes. Dans le monde rural, l'âge moyen est de 24 ans. La liberté de

déplacement des femmes n'a jamais été remise en cause. Même avant la refonte de l'article 23 du Code du statut personnel, la femme n'avait pas besoin de l'autorisation de son mari pour pouvoir voyager.

45. En matière d'emploi, Mme Ben Romdhane estime qu'il n'y a pas non plus de discrimination à l'égard des femmes. Depuis les réformes législatives de 1993, le Code du travail interdit toute discrimination fondée sur le sexe, de même que le Statut général de la fonction publique. Les filles bénéficient tout autant que les garçons des programmes de promotion de l'emploi mis en œuvre par l'État. Les rares distinctions admises pour l'accès à certains emplois concernent les travaux interdits par des conventions internationales.

46. Il n'existe pas non plus de discrimination à l'égard des femmes pour l'accès au crédit. Il est vrai que celles-ci ont plus de problèmes que les hommes pour y accéder car elles ne remplissent pas toutes les conditions requises. Les femmes sont, toutefois, les premières bénéficiaires de toute une série de dispositifs mis en place pour favoriser l'accès au microcrédit, notamment dans le cadre de programmes de développement rural intégré.

47. M. WIMER demande des explications sur le faible pourcentage de femmes siégeant à la Chambre des députés et sur leur sous-représentation dans la vie politique.

48. Mme BEN ROMDHANE (Tunisie) reconnaît qu'à peine plus de 7 % des députés élus en 1994 étaient des femmes, ce qui correspond à la norme des pays méditerranéens, mais rappelle qu'elles n'étaient que 3 % aux élections de 1989. Elle affirme qu'il existe une forte volonté politique d'augmenter la participation des femmes, volonté qui se manifeste notamment dans le parti politique majoritaire, où le nombre de femmes représentées au Comité central a été multiplié par deux. De plus, une femme vient d'être nommée Ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Toutefois, pour que des progrès soient réalisés dans ce domaine, les femmes doivent elles-mêmes se mobiliser. On assiste ainsi à l'émergence de nouvelles organisations non gouvernementales féminines qui les encadrent et les sensibilisent. Selon Mme Ben Romdhane, les conditions sont créées pour que la proportion de femmes députés augmente nettement aux élections législatives qui auront lieu en 1999.

49. M. EL AYEB (Tunisie) dit que le taux de chômage de 13 % enregistré en 1994 s'explique par le programme de réformes structurelles engagé en 1986, par une conjoncture économique souvent défavorable et par une production agricole capricieuse. De l'avis même des experts de la Banque mondiale, ce chiffre aurait été surévalué en raison de la méthodologie utilisée. Il est vrai que des tensions existent sur le marché du travail compte tenu de la croissance démographique. Toutefois, le rythme de création d'emplois s'est accéléré depuis quelques années. Un grand nombre d'instruments ont été mis en place afin de promouvoir l'emploi: Code d'incitation aux investissements, Fonds de promotion et de décentralisation industrielle, Fonds de promotion des petits métiers et de l'artisanat, Fonds de solidarité nationale, Banque tunisienne de solidarité, etc. Des efforts importants ont également été consentis pour réduire les charges sociales des employeurs. Enfin, des mécanismes facilitant la requalification et la réinsertion de travailleurs menacés par la restructuration économique ont été créés.

50. En ce qui concerne les disparités régionales, M. El Ayeb dit que celles-ci tendent à se réduire. En effet, on constate que les dépenses des ménages augmentent plus rapidement dans les régions de l'intérieur que dans celles du littoral. De plus, le taux de pauvreté a été, en 1995, plus faible en milieu rural qu'en milieu urbain alors que c'était l'inverse en 1980. Toute une panoplie de programmes a été mise en place pour favoriser le développement des régions de l'intérieur, grâce notamment au Fonds de solidarité nationale. Des offices de développement ont également été créés. L'objectif principal du neuvième Plan (1997-2001) est de renforcer la part des régions de l'ouest dans les investissements publics affectés à l'infrastructure de base et aux équipements collectifs.

Articles 6 à 8 du Pacte

51. M. TEXIER, se référant à l'article 6 du Pacte, demande des renseignements sur la répartition du chômage. Les chômeurs sont-ils plutôt jeunes ou plus âgés? Y a-t-il un chômage de longue durée et des mesures spécifiques sont-elles prises pour le combattre? Est-il vrai que les diplômés de l'enseignement supérieur sont particulièrement touchés? Y a-t-il un risque de surqualification? En ce qui concerne l'âge minimum d'admission à l'emploi, M. Texier souhaite savoir s'il est bien de 15 ans dans le secteur agricole et dans quelle mesure cela est compatible avec l'obligation de scolarisation jusqu'à 16 ans. Il interroge également la délégation sur la suite donnée aux recommandations de la Commission d'experts de l'OIT concernant l'abolition du travail forcé.

52. Au sujet de l'application de l'article 7 du Pacte, M. Texier demande si le salaire minimum permet aux travailleurs d'assurer à leur famille une vie digne et quel est son pouvoir d'achat en fonction du prix moyen des denrées de base. Il s'étonne que dans une de ses observations, la Commission d'experts de l'OIT relève que la charge minimum transportée par un travailleur tunisien est de 100 kg alors que la Convention n° 127 l'établit à 55 kg.

53. S'exprimant sur l'article 8 du Pacte, M. Texier aimerait savoir pourquoi une seule centrale de travailleurs existe alors que rien dans la Constitution ou la législation n'interdit le pluralisme syndical. Dans quel cas une grève est-elle déclarée illégale? Quelles sont les limitations au droit de grève? Citant un rapport de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, M. Texier interroge la délégation sur l'effectivité des droits syndicaux, c'est-à-dire sur le décalage qui existerait entre la législation et la réalité. Que se passe-t-il en cas de licenciement d'un syndicaliste? Quels sont les recours? Y a-t-il une jurisprudence? Enfin, M. Texier demande des éclaircissements sur une observation de la Commission d'experts de l'OIT selon laquelle la légalité de la grève dépend de l'aval de la centrale syndicale. Comment est-ce compatible avec la liberté totale du droit de grève?

54. La délégation tunisienne se retire.


La séance est levée à 13 heures.

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