Distr.

GENERALE

CCPR/C/SR.1964
8 juillet 2002


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1964e séance : Switzerland. 08/07/2002.
CCPR/C/SR.1964. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CCPR
COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante-treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1964e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,
le vendredi 19 octobre 2001, à 10 heures

Président : M. BHAGWATI


SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT
À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Deuxième rapport périodique de la Suisse

La séance est ouverte à 10 heures.
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 5 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la Suisse (CCPR/C/CH/98/2; CCPR/C/73/L/CH) (HRI/CORE/1/Add.29)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation suisse prend place à la table du Comité.

2. Le Président souhaite la bienvenue à la délégation suisse et invite son chef à faire une déclaration liminaire.

3. M. KOLLER (Suisse), présentant le deuxième rapport périodique de la Suisse (CCPR/C/CH/98/2), indique que, celui-ci ayant été remis au Comité en septembre 1998, il a semblé nécessaire d'en faire une mise à jour indiquant les faits marquants, notamment les modifications législatives, intervenus durant les trois dernières années, et que celle-ci a été communiquée au Comité.

4. Le président remercie M. Koller de son introduction et invite la délégation suisse à répondre aux questions de la Liste des points à traiter, qui se lit comme suit:

« I. CADRE CONSTITUTIONNEL ET JURIDIQUE DE L'APPLICATION DU PACTE;
NON-DISCRIMINATION ET ÉGALITÉ ENTRE LES SEXES (art. 2, 3 et 26)


IV. DROITS DE L'ENFANT (art. 24)

V. PROTECTION DES MINORITÉS (art. 27)

VI. DIFFUSION D'INFORMATIONS SUR LE PACTE

5. M. KOLLER (Suisse), répondant à la question n° 1, informe le Comité de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale, de la réforme de la justice, de la révision du code civil suisse et de la loi fédérale sur l'asile. S'agissant des effets de la nouvelle Constitution sur l'application des articles 2,3 et
26 du Pacte, M. Koller signale que l'alinéa 4 du nouvel article 8 demande au législateur d'adopter les mesures nécessaires en vue d'éliminer les inégalités dont sont victimes les handicapés. Un projet de loi à ce sujet est en cours d'examen par le Parlement. L'alinéa 3 du même article prévoit l'égalité en droit de l'homme et de la femme. A cet égard, il faut souligner que la réforme de l'armée donnera aux hommes et aux femmes le même accès à toutes le catégories de personnel et à toutes les fonctions de l'armée. Enfin, l'alinéa 1 du même article dispose que « tous les êtres humains sont égaux devant la loi », ce qui signifie que l'égalité de traitement est applicable non seulement aux citoyens suisses mais à toute personne quelle que soit sa nationalité. Le nouvel article 8 couvre désormais expressément d'autres domaines que l'égalité entre les sexes, tels que l'origine, la race, la situation sociale ou encore le mode de vie.

6. La réforme de la justice opérée en mars 2000 n'a pas d'effet direct sur les articles 2, 3 et 26 du Pacte mais les nouvelles dispositions s'inscrivent pleinement dans le cadre des garanties procédurales prévues à l'article 14 du Pacte. Par ailleurs, la révision du code civil, entrée en vigueur le 1er janvier 2000, se traduit entre autres par une amélioration considérable de la position économique des femmes divorcées, par la possibilité pour les parents divorcés d'exercer conjointement l'autorité parentale ou encore par la suppression de toutes les inégalités de traitement entre hommes et femmes. La seule discrimination formelle qui persiste est celle qui a trait au nom de famille et aux droits de cité communal et cantonal. La loi qui devait réaliser pleinement l'égalité n'a pas été adoptée pour des raisons techniques, le Parlement n'ayant pas trouvé de réglementation satisfaisante en cas de divergence entre les parents sur le choix du nom de famille des enfants. Enfin, la nouvelle loi sur l'asile est entrée en vigueur le 1er octobre 1999.

7. Répondant à la question n° 2, M. Koller souligne que les incidents de violence raciale restent peu fréquents en Suisse, même si leur nombre est en augmentation depuis quelques années. Le Gouvernement suisse a pris plusieurs mesures pour prévenir de tels incidents. Ainsi, le Département fédéral de justice et police a été chargé de poursuivre la mise en œuvre de mesures policières préventives, en collaboration avec les cantons et les autorités d'autres États, de réexaminer la législation en vigueur et de proposer des mesures concrètes. La pénalisation du port d'emblèmes racistes, l'incrimination de propos racistes tenus dans des cercles privés ou encore l'interdiction des partis politiques manifestement racistes sont actuellement à l'examen. En outre, le Conseil fédéral a promulgué une ordonnance sur l'aide aux projets de sensibilisation et de prévention en faveur des droits de l'homme et de la lutte contre l'antisémitisme, le racisme et la xénophobie. Des programmes de formation ont également été mis en place à l'intention des policiers et du personnel pénitentiaire, dans le but de lutter contre les brutalités policières dont pourraient être victimes des personnes d'origine étrangère, et la question de la discrimination raciale fait l'objet d'une attention toute particulière au sein du centre de formation du personnel pénitentiaire. Par ailleurs, le Conseil fédéral a adopté en août 2001 le message relatif à la reconnaissance de la compétence du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale pour recevoir et examiner des communications en vertu de l'article 14 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il faut souligner à cet égard que le nombre de cas d'application de l'article 261 bis du Code pénal sur la discrimination raciale est en forte hausse, puisqu'en 1999 et en 2000 près de cinquante condamnations pénales ont été prononcées pour discrimination raciale, par rapport à une vingtaine pour la période allant de 1995 à 1998. Ces chiffres sont à la fois inquiétants, puisqu'ils révèlent probablement une augmentation des actes racistes, et rassurants en ce qu'ils indiquent que l'article en question est connu des personnes résidant en Suisse et appliqué par la justice. En ce qui concerne la levée de l'immunité des membres du Parlement qui font des remarques racistes ou antisémites dans l'exercice de leurs fonctions, M. Koller indique que la Constitution fédérale prévoit que les membres de l'Assemblée fédérale et ceux du Conseil fédéral n'encourent aucune poursuite pour les propos qu'ils tiennent au sein du Parlement fédéral ou de ses commissions. Il s'agit d'une immunité absolue qui ne peut être levée. En outre, la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires prévoit que les parlementaires ne peuvent être poursuivis pénalement pour les infractions commises en rapport avec leur activité ou situation officielle que sur autorisation du Parlement fédéral. Un régime identique est applicable aux membres du Conseil fédéral et du Tribunal fédéral. Enfin, en juin 1999 puis en septembre 2001, le Parlement fédéral a renoncé à lever l'immunité de parlementaires poursuivis dans le cadre de l'article 261 bis du code pénal. Dans les deux cas, il a estimé que les conditions d'une condamnation pour discrimination raciale n'étaient pas réunies.

8. Répondant à la question n° 3, M. Koller indique que la Commission fédérale contre le racisme, commission extraparlementaire indépendante créée en 1995, se compose de 19 membres nommés directement par le Conseil fédéral pour un mandat de quatre ans renouvelable. Il s'agit de personnalités issues des communautés religieuses, de la science, de l'enseignement, de la politique et de l'économie, de représentants des minorités et des autorités cantonales et communales ainsi que de représentants d'ONG. La Commission fédérale est à l'origine du lancement de plusieurs initiatives dans les écoles, auprès des autorités publiques, des médias et du monde du travail. Elle a publié un rapport sur l'antisémitisme, un manifeste sur la discrimination des minorités itinérantes et un catalogue de mesures pour la prévention de l'extrémisme de droite. Elle a également participé activement aux préparatifs des conférences européennes et mondiales contre le racisme. Enfin, elle a procédé à une analyse détaillée de la jurisprudence découlant de l'application de l'article 261 bis du code pénal punissant le crime raciste.

9. Répondant à la question n° 4, M. Koller indique que par sa révision de l'ordonnance limitant le nombre des étrangers, qui est entrée en vigueur le 1er novembre 1998, le Conseil fédéral a modifié sa politique de recrutement des travailleurs étrangers. Comme par le passé, les autorisations pour l'exercice par un étranger d'une première activité, pour un changement de place de travail ou de profession ou encore pour une prolongation du séjour ne peuvent être accordées que si l'employeur ne trouve pas un travailleur local capable et désireux d'occuper le poste aux conditions de travail et de rémunération usuelles de la branche et du lieu. Sont considérés comme travailleurs locaux les étrangers titulaires d'un permis d'établissement, les réfugiés et apatrides et les conjoints étrangers de Suisses et de Suissesses. Cela étant, la politique suisse se fonde désormais sur un système d'admission binaire. Ainsi, l'employeur qui ne trouve pas de personnel adéquat sur le marché du travail suisse peut recruter en priorité des travailleurs des pays de l'Union européenne et de l'AELE. Il peut également, à titre exceptionnel, recruter des personnes originaires d'autres pays, quels qu'ils soient, si elles sont spécialement qualifiées. Les admissions découlant d'obligations de droit international public, de motifs humanitaires importants ou du principe du regroupement familial ne sont pas soumises à ces principes. M. Koller estime que le système binaire est compatible avec les articles 2 et 26 du Pacte. En effet, l'article 2 dispose que les États parties s'engagent à respecter et à garantir dans distinction aucune à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte mais aucune disposition du Pacte ne garantit le droit d'un ressortissant étranger d'être admis sur le territoire d'un État partie. Le Gouvernement suisse considère donc que le système binaire est compatible avec l'article 2 du Pacte. S'agissant de l'article 26 du Pacte, M. Koller rappelle que celui-ci fait l'objet d'une réserve de la Suisse, qui a pour objet et pour effet de ne garantir l'égalité de toutes les personnes devant la loi et leur droit à une égale protection de la loi qu'en liaison avec les droits et libertés énoncés dans le Pacte. À la lumière de cette réserve, le système binaire est également compatible avec l'article 26 du Pacte. La différence principale entre le modèle des trois cercles et le nouveau système binaire réside dans le fait que le système actuel fait totalement abstraction du principal critère d'admission appliqué auparavant, à savoir la capacité d'intégration présumée de l'étranger en raison de son origine nationale. Le grand nombre d'accords que la Suisse a passés avec l'Union européenne et l'AELE dans de nombreux domaines témoigne de l'intensité des échanges qui justifie un traitement préférentiel dans le domaine de l'admission de la main d'œuvre étrangère.

10. Répondant à la question n° 5, M. Koller indique que les politiques mises en place en vue d'accroître la participation des femmes à la vie politique commencent à porter leurs fruits. La proportion de femmes élues au Parlement fédéral est ainsi passée de 20,73 % en 1995 à 22,76 % en 1999. Le nombre de femmes élues au Conseil national est passé de 43 en 1995 à 47 en 1999. Au Conseil des États, 9 femmes ont été élues lors des élection de 1999 contre 8 en 1995. Par ailleurs, une deuxième femme a été élue, le 11 mars 1999, à l'un des sept sièges que compte le Gouvernement. En outre, les postes de Chancelier de la Confédération et de Secrétaire général du Parlement fédéral sont occupés par des femmes.

11. Répondant à la question n° 6, M. Koller dit qu'entre 1991 et 2000, le nombre de femmes a notablement progressé dans les professions intellectuelles et scientifiques (+57,4 %) et parmi les dirigeants et cadres supérieurs (+56,4 %). La différence entre le salaire moyen des femmes et celui des hommes est passée, entre 1991 et 2000, de 25 à 19,7 % si l'on considère l'ensemble des salariés, et de 26,4 à 21,8 % si l'on tient compte uniquement des personnes exerçant une activité à plein temps. Bien qu'encore insuffisante, l'amélioration est donc significative, et vaut pour la quasi-totalité des groupes de professions. Des statistiques complètes sur ce point pourront être fournies au Comité s'il le souhaite. Par ailleurs, les femmes qui estiment avoir été l'objet d'une discrimination salariale disposent de recours non seulement effectifs, mais surtout efficaces, sur la base de l'article 8 de la nouvelle Constitution fédérale et de la loi sur l'égalité, pour obtenir une pleine compensation de leur salaire. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'égalité en 1996, plusieurs dizaines d'arrêts ont été rendus en Suisse sur cette question, dont 30 ont fait l'objet d'une décision finale du Tribunal fédéral. On peut en outre se réjouir du fait que les femmes suisses ont en grande partie rattrapé leur retard en termes d'accès à l'enseignement supérieur au cours des 20 dernières années. Aujourd'hui, près d'un certificat de fin d'études secondaires sur deux est délivré à une femme et la part des étudiantes universitaires est passée à 40 %. On constate néanmoins que les femmes sont encore sous-représentées dans le corps enseignant des universités et des hautes écoles, même si leur proportion dans le professorat universitaire a doublé ces 10 dernières années. Dans ce contexte, il convient de souligner que, le 1er avril 2000, est entrée en vigueur la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur l'aide aux universités et la coopération dans le domaine des hautes écoles, qui prévoit notamment que la Confédération encourage les mesures propres à réaliser l'égalité entre hommes et femmes à tous les échelons universitaires. À cet effet, le Conseil fédéral a établi, sous la responsabilité de la Conférence universitaire suisse, un programme intitulé « Égalité des chances » dont le but est de doubler d'ici 2006 la proportion de femmes dans le corps professoral des universités et qui s'articule autour de trois axes: premièrement, un système incitatif accordant des primes pour encourager les universités à engager des femmes professeurs ordinaires et extraordinaires; deuxièmement, la mise en place de structures destinées à soutenir les diplômantes et les doctorantes; et, troisièmement, des structures d'encadrement pour les enfants. Les hautes écoles spécialisées doivent également prendre des mesures visant à promouvoir l'égalité de traitement des deux sexes et à augmenter la proportion de femmes. Sur mandat de l'Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, un groupe de travail a préparé un plan d'action. Jusqu'en 2003, un crédit de 10 millions de francs est disponible pour la mise en œuvre de ce plan.

12. Répondant à la question n° 7, M. Koller indique que le plan d'action « Égalité entre femmes et hommes », publié en juin 1999, contient 287 mesures concrètes visant à aider toutes les autorités fédérales, mais aussi les autorités cantonales et communales, les employeurs publics et privés, les universités, les médias ou les organisations non gouvernementales, notamment, dans leurs efforts d'intégration systématique de la thématique d'égalité entre femmes et hommes dans les politiques, programmes et projets. Le Groupe de travail interdépartemental qui a élaboré ce plan d'action en examine aujourd'hui la mise en œuvre par les autorités fédérales et présentera son rapport sur ce point au Parlement en 2002.

13. Répondant à la question n° 8, M. Koller dit que les projets législatifs sur le phénomène de la violence domestique sont toujours en cours d'examen devant le Parlement. Par ailleurs, plusieurs cantons ont d'ores et déjà lancé différents projets pilotes en vue de réduire la violence domestique et de constituer des réseaux, d'une part, de professionnels et, d'autre part, de victimes, sur l'efficacité desquels on ne dispose malheureusement encore que d'éléments approximatifs. En tout état de cause, la volonté politique de lever le tabou est bel et bien là, comme le montrent deux initiatives parlementaires auxquelles le Conseil national a donné suite en 1997 et qui demandent que les actes de violence domestique soient poursuivis d'office. De même, une troisième initiative parlementaire, à laquelle le Conseil national a donné suite en juin 2001, propose, entre autres mesures, la possibilité d'éloigner l'auteur de violences domestiques du foyer et de lui interdire d'y pénétrer pendant une période déterminée. Une commission d'experts a en outre été chargée de réviser la loi sur l'aide aux victimes d'infractions et se penchera notamment sur la problématique de la violence domestique, travaux qui devraient déboucher sur un rapport et des propositions dans le courant de l'année 2002.

14. Pour ce qui est de la traite des femmes, le Parlement a demandé le 15 mars 2000 demande au Conseil fédéral de mettre en place un programme de protection pour les victimes de la traite des femmes. À cet effet, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police de mettre sur pied un groupe de travail interdépartemental ayant pour mandat, au regard notamment des conventions internationales et des législations d'États voisins, d'examiner la nécessité d'adapter le Code pénal, d'étudier les mesures nécessaires pour mieux protéger les victimes de la traite des êtres humains et, en particulier, de voir si les centres de consultation fondés sur la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions sont suffisants. Le rapport de ce groupe de travail sera rendu public au cours de l'automne 2001. À la lumière de l'analyse détaillée dont il disposera ainsi, le Conseil fédéral examinera l'opportunité de la ratification du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Si une trentaine de dénonciations sont recensées chaque année en Suisse pour traite d'êtres humains ou violence domestique, le Gouvernement est conscient que de nombreux cas ne sont pas portés à la connaissance des autorités et c'est pourquoi il étudiera avec le plus grand intérêt les mesures qui seront proposées par le Groupe de travail.

15. Répondant à la question n° 9, M. Koller dit que la procédure d'instruction des plaintes faisant état de harcèlement et d'autres abus de la part de la police relève pour l'essentiel de la compétence des cantons. Il convient donc en premier lieu de signaler que la législation de tous les cantons met à la disposition des victimes différentes voies de droit pour faire valoir le grief d'un harcèlement ou d'un autre abus de la part de la police. En règle générale, il s'agit de moyens de droit relevant du droit pénal, du droit administratif et du droit civil, auxquels s'ajoute la procédure disciplinaire engagée par l'autorité compétente elle-même, comme cela est expliqué dans le rapport. Même si les autorités suisses ne disposent pas de chiffres précis et complets pour l'ensemble des cantons, on peut dire que, parmi les nombreuses activités de la police, l'usage de la contrainte constitue l'exception. De plus, même en cas d'usage de la contrainte, les plaintes contre des policiers représentent un pourcentage minime. C'est ainsi qu'à Genève, en 2000, sur les 736 cas d'usage de la force, seuls 24 ont été suivis d'une plainte pénale. Trois cantons déclarent même n'avoir jamais enregistré de plaintes contre un policier. Si une personne estime avoir été l'objet d'abus de la part de la police, elle a des voies de droit non seulement pour se plaindre, mais également, le cas échéant, pour obtenir réparation.

16. Répondant à la question n° 10, M. Koller souligne qu'il est fait état dans les paragraphes 269 et 270 du rapport des nombreuses mesures prises par le canton de Genève pour prévenir les mauvais traitements par la police. On pourra rappeler que le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe avait, à la suite de sa visite en Suisse en 1996, mis en relief l'utilité et le caractère modèle de ces mesures. Celles-ci n'ont, il est vrai, pas été adoptées par l'ensemble des cantons, même si le Conseil fédéral avait lui-même relevé que cela serait hautement souhaitable. Pour autant, il est important de signaler que la protection du citoyen contre l'abus du pouvoir policier s'est très nettement améliorée dans l'ensemble du pays. Plusieurs cantons soulignent ainsi l'importance d'une formation particulière, notamment des aspirants de police, dans le domaine de la protection des droits de l'homme et de la dignité humaine. Il convient à cet égard de souligner l'apport précieux de l'Institut suisse de police, qui a notamment publié un ouvrage relatif à la police et aux droits de l'homme et mis en place des cours de formation dans ce domaine. De même, l'article 31, alinéa 2, de la nouvelle Constitution fédérale dispose que toute personne privée de sa liberté a le droit d'être aussitôt informée des raisons de cette privation et des droits qui sont les siens et qu'elle doit être mise en état de faire valoir ces droits – lesquels devraient comprendre celui de se faire assister par un défenseur dès les premiers stades de l'interrogatoire par la police lorsque le nouveau code de procédure pénale unifié, actuellement au stade d'avant-projet, sera adopté.

17. Parmi les mesures adoptées par le canton de Genève et s'inspirant du modèle canadien figure la désignation d'un enquêteur neutre en cas de plainte contre la police, le « commissaire à la déontologie policière », totalement indépendant des services de police. D'autres cantons ont eux aussi établi des mécanismes similaires. Ainsi, dans le canton de Bâle-ville, les enquêtes sont confiées au chargé des recours au Département militaire et de la police, complètement indépendant de l'administration de la police puisqu'il dépend directement du secrétaire du Département, et à l'Obudsman. Dans le canton du Valais, l'ordonnance sur la police cantonale donne compétence au juge d'instruction – et non pas au commandant de la police, comme le voudrait la règle – de désigner les personnes chargées d'une enquête lorsque la police est impliquée dans une affaire pénale. Dans le canton de Neuchâtel, une personne souhaitant déposer une plainte pénale contre un policier est spontanément renvoyée au ministère public afin d'éviter que la déposition de cette personne ne soit enregistrée par un policier « collègue » de l'auteur présumé de l'infraction. Dans le canton de Saint-Gall, la décision d'ouvrir une enquête pénale contre un policier incombe non pas aux autorités de poursuites ordinaires, mais à la Chambre d'accusation du tribunal cantonal, là aussi par souci d'assurer l'objectivité requise. Dans le même état d'esprit, dans le canton d'Argovie, une unité de surveillance a été mise en place pour assurer la qualité du service juridique interne de la police, service compétent pour connaître en première instance des dénonciations portées contre la police. Enfin, à l'instar du canton de Genève, le canton de Neuchâtel s'est doté en 1997 d'un Code de déontologie de la police.

18. Le PRÉSIDENT remercie M. Koller de ses réponses et invite les membres du Comité à poser leurs questions supplémentaires concernant les points 1 à 10 de la Liste des points à traiter.

19. Mme CHANET souhaite la bienvenue à la délégation suisse, dont la composition est le signe du sérieux avec lequel l'État partie considère ses obligations au titre du Pacte. Elle regrette toutefois qu'un rapport complémentaire, très complet, ait été soumis en français seulement quelques jours à peine avant la séance. Faute de temps, en effet, ce rapport n'a pas pu être traduit dans les langues de travail du Comité, et de nombreux membres seront donc privés du bénéfice des précieuses informations qu'il contient.

20. Force est de constater que des progrès importants ont été réalisés depuis la présentation du rapport initial de l'État partie. Mme Chanet note en particulier les réformes du Code de procédure pénale et de la Constitution. Un certain nombre de points suscitent cependant toujours des questions. Tout d'abord, certains droits énoncés dans le Pacte ne sont pas consacrés par la Constitution. Tel est par exemple le cas du droit à la liberté d'expression ou des droits visés à l'article 27 du Pacte. D'autres, et c'est peut-être plus problématique encore, sont bien visés par la Constitution, mais de façon plus restrictive que dans le Pacte. Ainsi, la Constitution, en son article 36, instaure une règle générale de proportionnalité pour la restriction des droits, alors que le Pacte, lui, prévoit que certains droits ne souffrent aucune restriction. Dès lors se pose la question de savoir quelles dispositions priment, de celles de la Constitution ou de celles du Pacte.

21. Par ailleurs, il serait bon que la délégation donne des éclaircissements sur les raisons du maintien des réserves aux paragraphes 1 et 3 de l'article 14 et à l'article 26 du Pacte. Mme Chanet croit comprendre que l'État partie attend d'examiner la jurisprudence du Comité pour décider de lever ou non sa réserve à l'article 14. À cet égard, elle ne saisit pas vraiment l'utilité d'un examen de la jurisprudence du Comité et ne comprend pas non plus les hésitations de l'État partie, dans la mesure où celui-ci a d'ores et déjà levé sa réserve à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui correspond en tous points à l'article 14 du Pacte. L'argument quant à la jurisprudence du Comité serait plus valable pour la réserve à l'article 26, même si celle-ci devrait elle aussi en toute logique être levée, dans la mesure où elle porte sur des droits qui ne sont pas garantis par le Pacte.

22. Il serait également utile d'avoir des détails supplémentaires sur la réforme des procédures pénales à propos de laquelle le Comité dispose de très peu d'informations. Il faudrait par exemple préciser ce que l'État partie entend lorsqu'il indique que le système de procédure pénale est caractérisé par le rôle central du ministère public. Doit-on en conclure qu'il y a déséquilibre dans les procès entre le ministère public et les juges du siège ?

23. En ce qui concerne les plaintes contre les violences commises par des agents de la police, Mme Chanet a l'impression que les autorités cherchent à minimiser le problème. Elle note qu'il est dit dans le rapport complémentaire que le Comité contre la torture a été saisi de 34 plaintes à ce sujet, ce qui semble contredire les propos de la délégation suisse. Des organisations gouvernementales ont également signalé de nombreux cas de plaintes, et Mme Chanet se contentera d'évoquer les cas les plus graves, à savoir celui des étrangers décédés dans le cadre d'une procédure d'expulsion et qui, pour certains, n'avaient commis d'autre faute que celle de se trouver illégalement sur le territoire suisse et qui ne faisaient peser aucune menace sur l'ordre public. Mme Chanet cite le cas de Khaled Abuzarifa, décédé en mars 1999 par suffocation dans le cadre d'une mesure de contrainte appliquée par les policiers chargés de l'escorter. Un supplément d'information concernant l'attitude des policiers avait été demandé, et il conviendrait de savoir où en est la procédure judiciaire aujourd'hui. Par ailleurs, les poursuites engagées à la suite du décès de Samson Chukwu, au début d'une procédure d'expulsion, n'ont apparemment pas encore abouti et Mme Chanet voudrait savoir où en est la procédure actuellement. Les deux affaires sont très graves et mettent en cause les conditions d'expulsion des étrangers en Suisse. Le Gouvernement fédéral a-t-il pris des mesures pour éviter que des situations de ce type se reproduisent?

24. M. KHALIL se félicite, lui aussi, des progrès importants qui ont été réalisés dans l'application du Pacte dans l'État partie, ce qu'attestent les nouvelles dispositions constitutionnelles et les modifications apportées aux codes pénal et civil. Il regrette toutefois que, bien que l'article 8 de la Constitution soit formulé dans des termes très proches de ceux de l'article 26 du Pacte, les autorités fédérales maintiennent leur réserve à l'égard de cet article du Pacte, et il s'associe aux propos de Mme Chanet sur ce point.

25. La population suisse comptant apparemment un cinquième d'étrangers, l'application du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte revêt une importance particulière. Or, il semblerait que les étrangers continuent de se heurter à des difficultés dans l'exercice de leurs droits reconnus dans le Pacte. Quelles dispositions les autorités suisses ont-elles prises ou comptent-elles prendre pour remédier à cette situation, et en particulier la révision de la loi sur les étrangers permettra-t-elle de mettre fin à ce qui est considéré par beaucoup comme une discrimination à l'égard des étrangers, notamment des ressortissants d'États ne faisant pas partie de l'Union européenne ? Il semble en outre que les personnes dites « sans papier » et qui contribuent pourtant à l'économie nationale vivent dans des conditions précaires et soient privées des garanties élémentaires de sécurité. M. Khalil souhaiterait entendre la délégation suisse à ce propos. Il souhaiterait également obtenir des précisions sur le statut de l'époux étranger d'un ressortissant suisse. En particulier, la dissolution du mariage a-t-elle une incidence sur l'octroi ou le renouvellement d'un permis de résidence et est-il exact qu'une femme étrangère qui divorce est menacée d'expulsion du territoire suisse si la dissolution du mariage intervient dans les cinq ans ? Les autorités suisses ne considèrent-elles pas qu'il y a un lien entre cette menace d'expulsion et les taux élevés de traitements cruels et de violences familiales à l'égard des épouses étrangères ? M. Khalil voudrait savoir par ailleurs s'il est exact que certains cantons expulsent des étrangers résidant de longue date sur le territoire national, par exemple des immigrés dits de la « deuxième génération », y compris des personnes au bénéfice d'un permis de résidence, pour des motifs autres que des activités criminelles. Dans l'affirmative, comment les autorités justifient-elles de telles décisions ?

26. M. HENKIN souhaiterait des éclaircissements concernant la répartition des pouvoirs entre les autorités fédérales et cantonales. En particulier, est-il exact que l'application du Pacte relève de la stricte compétence fédérale, et existe-t-il des arrangements de coopération entre le pouvoir fédéral et les cantons pour veiller au plein respect des dispositions du Pacte ?

27. En ce qui concerne le principe de l'égalité, M. Henkin prend acte des progrès réalisés dans ce domaine mais souligne que les mesures visant à l'élimination de la discrimination raciale doivent être prises sur le plan non seulement du droit mais aussi de la culture et de la vie sociale. Il se demande si la politique de la Suisse en matière d'immigration vise à instaurer l'égalité et quels principes l'inspirent, le cas échéant. Il souhaiterait savoir si toutes les mesures ont été prises pour prévenir la discrimination au motif de la race ou du sexe non seulement en matière d'immigration mais aussi dans les domaines de l'asile et de la naturalisation des étrangers.

28. M. YALDEN relève que le deuxième rapport périodique, s'il contient beaucoup d'informations sur la législation suisse, est sensiblement moins éclairant sur les progrès réalisés dans la pratique et les entraves à l'application du Pacte. Il note par ailleurs que la Suisse n'a toujours pas adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte et espère vivement qu'elle le fera dans le cadre de la législature 1999-2003, comme elle l'a annoncé.

29. En ce qui concerne la réserve formulée par la Suisse à l'égard de l'article 26 du Pacte, M. Yalden constate que les dispositions constitutionnelles et législatives relatives à l'égalité ne sont pas strictement conformes à celles de l'article 26 du Pacte, et il estime important que la Suisse retire sa réserve s'agissant d'une exigence aussi fondamentale que celle prévue par ledit article.

30. Pour ce qui est de la mise en œuvre de la législation relative aux droits de l'homme, M. Yalden note qu'il a été créé un certain nombre d'organismes s'occupant des droits des femmes, des étrangers, etc., mais que ceux-ci n'ont qu'un rôle consultatif. Il demande à cet égard si le Gouvernement envisage de mettre en place une institution nationale des droits de l'homme qui serait conforme aux Principes de Paris ?

31. En ce qui concerne l'intégration des étrangers en Suisse, M. Yalden souligne que dans un pays comme la Suisse, qui compte 20 % d'étrangers résidant sur son territoire, le respect des droits de l'homme de cette catégorie de la population revêt une importance toute particulière. Des mesures ont certes été prises en vue d'assurer l'intégration des étrangers, mais il semble que des obstacles demeurent, ne serait-ce que du fait des conditions très strictes d'acquisition de la nationalité suisse. En outre, l'accès à certaines professions ou formations, notamment au stage d'avocat, serait refusé à certaines catégories d'étrangers, et le principe de la liberté de mouvement et de la liberté de résidence ne s'appliquerait pas pleinement aux étrangers, en particulier à ceux qui ne sont pas au bénéfice d'un permis d'établissement. En ce qui concerne les demandeurs d'asile, M. Yalden constate que, dans certains cas, les autorités ne prennent pas en considération la situation très particulière des réfugiés et demandent à ces derniers de présenter des titres d'identité que, de toute évidence, ils ne pouvaient pas emporter avec eux lorsqu'ils ont quitté leur pays d'origine. Il existerait donc une discrimination non seulement entre les Suisses et les étrangers, mais aussi entre les étrangers au bénéfice d'un permis d'établissement et les autres. Aussi M. Yalden souhaiterait connaître le nombre d'étrangers en Suisse qui relèvent de chaque catégorie de permis de résidence, et le nombre d'années de résidence requis pour obtenir un permis autre qu'annuel. Combien d'années une personne peut-elle vivre, travailler et avoir une vie de famille sans avoir le droit à la nationalité suisse ou à un permis de résidence permanente ? En effet, la différence de traitement entre plusieurs catégories de la population pourrait constituer une discrimination incompatible avec les engagements internationaux auxquels la Suisse a souscrit.

32. En ce qui concerne la question de l'égalité entre hommes et femmes, M. Yalden a noté qu'un certain nombre de mesures avaient été prises et qu'un groupe de travail avait formulé près de 300 recommandations dans ce domaine. Toutefois, des organisations non gouvernementales déplorent la lenteur du processus et, d'un autre côté, on constate que le nombre de femmes exerçant de hautes fonctions, dans les secteurs privé et public, demeure faible. À cet égard, M. Yalden remercie la délégation suisse d'avoir fourni oralement des statistiques sur les progrès enregistrés en matière d'égalité, mais regrette qu'elles n'aient pas été incorporées dans le rapport. Enfin, l'égalité entre hommes et femmes ne paraît toujours pas acquise en matière de rémunération ni d'asile, et M. Yalden souhaiterait entendre la délégation suisse à ce sujet.

33. M. LALLAH partage les préoccupations des autres membres du Comité concernant l'application de l'article 26 du Pacte. Le Comité avait déjà regretté le maintien de cette réserve dans le texte des observations finales qu'il avait adoptées à l'issue de l'examen du rapport initial de la Suisse, considérant que l'article 26 devait être appliqué dans l'esprit du Pacte comme un droit autonome. Cet article constitue une sorte de code de conduite prévoyant que les États parties doivent garantir à toutes les personnes une protection égale contre toutes les formes de discrimination. Les explications qui ont été données par écrit et oralement par la délégation suisse concernant le maintien de la réserve sont quelque peu décevantes. M. Lallah est d'avis que cette réserve ouvre la voie non seulement à des conflits entre la législation suisse et les dispositions du Pacte mais aussi à un conflit interne entre les lois suisses. En ce qui concerne le premier type de conflit, il fait observer que le texte du paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte, à l'égard duquel la Suisse n'a pas formulé de réserve, prévoit l'obligation, pour l'État partie, de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, sans distinction aucune. En outre, l'Observation générale n° 24 du Comité sur les questions touchant les réserves prévoit très clairement dans son paragraphe 9 (HRI/GEN/1/Rev.5) qu'une réserve touchant l'obligation de respecter et de garantir les droits reconnus dans le Pacte, sans distinction aucune, ne serait pas acceptable.

34. Pour ce qui est du risque de conflit interne dans la législation suisse, M. Lallah note que les juges suisses peuvent se référer au Pacte. Il voudrait cependant savoir si, lorsqu'ils invoquent le Pacte, les juges se considèrent liés par les réserves formulées par les autorités à l'égard du Pacte. De plus, l'article 8 de la Constitution prévoit que tous les être humains sont égaux devant la loi, mais compte tenu du fait que certaines catégories d'étrangers sont manifestement favorisées par rapport à d'autres, on peut se demander comment la justice applique ce principe. M. Lallah souhaiterait des éclaircissements sur ce point. Enfin, il rappelle que le Comité considère que, lorsqu'un État partie consacre un droit dans sa législation, il doit veiller à le faire d'une façon non discriminatoire. Le Pacte indique expressément pour chaque droit s'il est susceptible de restrictions, et prévoit en outre que certains d'entre eux ne souffrent aucune dérogation. Force est de constater que l'article 36 de la Constitution suisse est loin d'être aussi précis que le Pacte.

35. Revenant sur une question qu'il avait abordée lors de l'examen du rapport initial de la Suisse, à savoir l'absence de garanties, pour les personnes arrêtées par la police, de pouvoir contacter leur famille, un avocat et un médecin (voir CCPR/C/SR.1538, par. 21), M. Lallah constate que des progrès ont été réalisés mais pas en ce qui concerne l'accès à un avocat. À l'époque, la délégation suisse avait indiqué que les personnes en détention provisoire pouvaient bénéficier des services d'un avocat commis d'office, si nécessaire dès l'ouverture de l'enquête préliminaire. Il conviendrait de savoir quelle autorité décide si cela est nécessaire. En outre, la délégation suisse avait fait valoir que des contacts immédiats entre le suspect et son défenseur pourraient nuire à l'enquête. M. Lallah fait observer que ce point de vue, courant chez les agents de la police des régimes totalitaires, est plutôt surprenant de la part des autorités suisses. Le deuxième rapport périodique ne fournissant pas de renseignements sur les droits des suspects placés en garde à vue, M. Lallah serait reconnaissant à la délégation de l'État partie de bien vouloir préciser quelle est la situation actuelle.

36. En ce qui concerne les plaintes contre les agents de la police, la délégation suisse a fourni des statistiques qui laissent apparaître que le nombre des plaintes déposées est sensiblement plus élevé que celui des plaintes traitées par les tribunaux. En outre, la délégation suisse a indiqué que la situation variait selon les cantons, et M. Lallah se demande s'il ne devrait pas y avoir une règle générale selon laquelle les plaintes à l'égard de la police devraient être traitées par un organisme indépendant. Certes, tel est déjà le cas dans certains cantons, mais il conviendrait de généraliser cette pratique.

37. M. KRETZMER, revenant sur la question de la structure fédérale de l'État suisse, constate qu'elle a une incidence très importante sur l'application du Pacte, en particulier en ce qui concerne les procédures et pratiques de la police et les mesures d'expulsion notamment. Il rappelle toutefois que les dispositions de l'article 50 du Pacte prévoient que l'instrument s'applique, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs. À ce sujet, un certain nombre de préoccupations demeurent. Par exemple, le droit de toute personne privée de liberté de faire informer ses proches de son arrestation est prévu au paragraphe 2 de l'article 31 de la Constitution suisse, mais l'exercice de ce droit dépend apparemment d'une procédure cantonale, et tous les cantons ne le garantissent pas. Il conviendrait de savoir quelles mesures ont été prises par les autorités fédérales pour assurer que l'ensemble des cantons appliquent dûment les dispositions du Pacte. Enfin, il est très important de disposer d'un organisme indépendant chargé d'enquêter sur les plaintes à l'égard de la police, et M. Kretzmer demande quelles mesures les autorités fédérales ont prises ou entendent prendre pour assurer qu'un organisme de ce type existe dans chaque canton.

38. M. ANDO constate, comme d'autres membres du Comité, que l'article 8 de la nouvelle Constitution fédérale suisse est quasiment identique à l'article 26 du Pacte. Il se demande dès lors pourquoi la Suisse ne retire pas la réserve qu'elle a formulée au sujet de cet article. Par ailleurs, le système qui consiste à énumérer un ensemble de droits fondamentaux dans la Constitution puis à prévoir globalement la possibilité de restreindre l'exercice de l'ensemble de ces droits fondamentaux ne correspond pas à ce que prévoit le Pacte. En effet, celui-ci prévoit que certains droits peuvent faire l'objet de restrictions précises alors qu'en revanche, d'autres droits ne peuvent faire l'objet d'aucune restriction et que d'autres encore ne sont pas susceptibles de dérogation.

39. Dans le domaine de la non-discrimination, M. Ando note qu'en vertu de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers, le conjoint étranger d'un ressortissant suisse a droit à une autorisation de séjour aussi longtemps que les époux vivent ensemble. On peut craindre que cette disposition ne mette des femmes étrangères dans l'obligation de continuer à vivre avec leur conjoint suisse par peur de perdre leur autorisation de séjour, alors qu'elles pourraient souhaiter s'en séparer, en cas de violence conjugale par exemple. S'agissant toujours de non-discrimination, M. Ando relève que, comme dans d'autres pays, le sérieux des motifs invoqués par les témoins de Jéhovah pour échapper au service militaire ne fait pas l'objet d'un examen aussi systématique que pour les autres personnes concernées.

40. Enfin, selon des renseignements transmis au Comité par une ONG, il semblerait qu'en juin 2001 une réunion de responsables de la police suisse ait recommandé aux autorités cantonales l'utilisation de balles dum-dum par les forces de police. Cette information est-elle exacte et quelle est la position du Gouvernement suisse à cet égard ?

41. M. SHEARER demande quelles sont les conséquences de l'existence d'un système fédéral en ce qui concerne le respect des obligations internationales de la Suisse dans les cantons. Par ailleurs, il note que le Tribunal fédéral a rendu de nombreux arrêts portant sur les droits et garanties protégés par le Pacte mais aimerait savoir dans quelle mesure les juridictions inférieures et les exécutifs locaux et cantonaux sont également sensibles à la nécessité de mettre en œuvre les dispositions du Pacte.

42. Comme d'autres membres du Comité, M. Shearer est frappé par le grand nombre d'organismes distincts chargés du respect et de la promotion des droits de l'homme dans l'État partie. Il serait peut-être nécessaire d'envisager la mise en place d'une commission des droits de l'homme qui coordonnerait les travaux de l'ensemble de ces organismes et qui serait en outre à même de combler les éventuelles lacunes dans ce domaine.

43. Sir Nigel RODLEY estime qu'un certain nombre d'éléments sont très positifs, parmi lesquels l'article 35.3 de la nouvelle Constitution fédérale, qui donne un effet constitutionnel à l'article 3 du Pacte, et l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans la Constitution. Cela étant, des préoccupations demeurent, notamment dans le domaine de l'examen des plaintes déposées contre les forces de l'ordre. À cet égard, on peut se demander si les autorités suisses ne font pas preuve d'une certaine autosatisfaction, comme en atteste la teneur du paragraphe 272 du rapport. En effet, un certain nombre d'autres pays qui disposent pourtant eux aussi de voies de droit suffisantes ont estimé utile de juxtaposer à l'appareil judiciaire pénal et civil un mécanisme indépendant d'examen des plaintes contre la police. Il semble que, comme dans beaucoup de pays, le problème des mauvais traitements commis par la police se pose plus particulièrement pour les étrangers. Ceux-ci, particulièrement lorsqu'ils sont en attente d'expulsion, éprouvent souvent des difficultés à exercer les recours disponibles. À cet égard, Sir Nigel Rodley partage les préoccupations exprimées par Mme Chanet en ce qui concerne les cas de personnes décédées lors de leur expulsion. Les cas récents de M. Nwankwo, de nationalité nigériane, et du jeune adolescent angolais connu sous le prénom de Didier, qui ont été relatés par la presse, montrent également qu'un des problèmes qui se pose, outre les brutalités qui peuvent être commises lors de l'arrestation de personnes étrangères, réside dans la difficulté pour les personnes arrêtées de communiquer avec le monde extérieur. À cet égard, le projet de nouveau code de procédure pénale est prometteur puisqu'il semble qu'il prévoie l'accès à un avocat dès le début de la garde à vue. Toutefois, Sir Nigel Rodley aimerait savoir s'il est prévu de prendre des mesures provisoires dans le même sens en attendant l'adoption de ce nouveau code. Enfin, il note que l'article 31.3 de la nouvelle Constitution prévoit que toute personne qui est mise en détention préventive a le droit d'être aussitôt traduite devant un juge. Cet article est conforme au principe de l'habeas corpus mais n'est pas tout à fait équivalent à l'article 9.3 du Pacte. Celui-ci va en effet plus loin puisque la présentation à un juge n'est pas seulement un droit pour la personne arrêtée mais surtout une obligation pour l'État partie.

44. Mme MEDINA QUIROGA demande quels sont les différents aspects des droits de l'homme qui relèvent de la compétence des cantons. À cet égard, elle demande quelles sont les possibilités d'action du Gouvernement fédéral lorsqu'il constate une différence dans la façon dont est garantie la jouissance de certains droits d'un canton à l'autre. Par ailleurs, elle se joint aux autres membres du Comité pour demander à la délégation suisse pourquoi il n'a pas été possible, à la suite de l'adoption de la nouvelle Constitution, de lever la réserve concernant l'article 26 du Pacte. Cette démarche sera-t-elle envisageable lorsque la Suisse ratifiera le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l'homme ? Par ailleurs, il serait utile de savoir si le nouveau code de procédure pénale actuellement en cours d'examen comportera des améliorations en matière de détention préventive. Celle-ci semble en effet pouvoir être très longue et il apparaît que les conditions de détention des prévenus sont plus dures que celles des personnes condamnées. Enfin, Mme Medina Quiroga fait siennes les préoccupations de MM. Khalil et Ando en ce qui concerne l'impossibilité pour une étrangère mariée à un ressortissant suisse de se séparer de son conjoint si elle veut pouvoir conserver son titre de séjour dans l'État partie

45. M. SCHEININ rappelle, en ce qui concerne l'article 4 du Pacte, que le Comité a adopté une observation générale sur les états d'urgence (CCPR/C/21/Rev.1/Add.11) dans laquelle il a indiqué que « lorsqu'ils proclament un état d'urgence susceptible d'entraîner une dérogation à l'une quelconque des dispositions du Pacte, les États doivent agir dans le cadre de leur constitution et des dispositions législatives qui régissent l'exercice des pouvoirs exceptionnels » et qu'« il appartient au Comité de vérifier que les lois en question permettent et garantissent le respect de l'article 4 ». Il apparaît, à la lecture de l'article 163 3) de la nouvelle Constitution suisse, que « lorsqu'une loi fédérale déclarée urgente est dépourvue de base constitutionnelle, elle cesse de produire effet un an après son adoption par l'Assemblée fédérale si elle n'a pas été acceptée dans ce délai par le peuple et les cantons. Sa validité doit être limitée dans le temps ». M. Scheinin interprète cette disposition comme une autorisation de promulguer, en cas d'urgence, une législation dépourvue de base constitutionnelle, susceptible de comporter une dérogation à toutes les dispositions de la Constitution. À cet égard, il convient de signaler que le rapport initial de l'État partie évoque une doctrine de nécessité qui est encore plus alarmante en ce qui concerne le respect de l'article 4 puisqu'il est indiqué, au paragraphe 62 de ce rapport initial (CCPR/C/81/Add.8), que « la doctrine reconnaît très largement que ... les plus hauts organes politiques de l'État ont à la fois le pouvoir et le devoir de prendre les mesures qui s'imposent, l'existence de l'État ne pouvant être sacrifiée ... au respect de la Constitution ». Cette déclaration est très problématique et n'est pas acceptable sous l'angle des droits de l'homme. Il convient d'ailleurs de signaler que le paragraphe 64 du même rapport initial indique que « les droits mentionnés à l'article 4 du Pacte ... ne souffrent en Suisse aucune atteinte à leur contenu essentiel, même en cas de danger exceptionnel menaçant l'existence de la nation ». Compte tenu de tous ces éléments, M. Scheinin demande pourquoi il n'a pas été possible, au moment de la réforme de la Constitution fédérale, de prévoir une disposition destinée à établir clairement qu'une dérogation à la Constitution ne doit pas constituer une possibilité d'enfreindre les obligations internationales de la Suisse.

46. Le PRÉSIDENT dit que le Comité poursuivra l'examen du deuxième rapport périodique de l'État partie à la prochaine séance.


La séance est levée à 13 h 05.

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