Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.177
29 avril 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 177ème seance : Switzerland. 29/04/94.
CAT/C/SR.177. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT
COMITE CONTRE LA TORTURE

Douzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 177ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mercredi 20 avril 1994, à 10 heures.

Président : M. DIPANDA MOUELLE


SOMMAIRE


Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention

Deuxième rapport périodique de la Suisse

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l'ordre du jour)

Examen du deuxième rapport périodique de la Suisse (CAT/C.17/Add.12)

1. A l'invitation du Président, la délégation suisse, composée de MM. Mathias Krafft, ambassadeur, chef de la délégation, Peter Mock, Roger Schneeberger, Heinz Sutter, Frank Schürmann et Jürg Lindermann, prennent place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation suisse et l'invite à présenter oralement le deuxième rapport périodique de son pays.

3. M. KRAFFT (Suisse), après avoir rappelé qu'il avait déjà eu l'honneur, le 15 novembre 1989, de présenter oralement au Comité le rapport initial du Gouvernement suisse, souligne que le deuxième rapport périodique couvre la période allant du 1er juillet 1988 au 30 juin 1992. Celui-ci doit être examiné à la lumière du rapport initial présenté le 14 avril 1989, qu'il actualise, ainsi que du document de base constituant la première partie des rapports des Etats parties qui a été publié le 2 juillet 1993 sous la cote HRI/CORE/1/Add.29. Ce document a été rédigé peu après l'entrée en vigueur en Suisse du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 18 septembre 1992.

4. Les autorités suisses s'apprêtent à présenter au Comité des droits de l'homme un volumineux rapport initial qui devrait contenir des informations intéressant le Comité contre la torture, spécialement en ce qui concerne l'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Parlement fédéral a approuvé, le 17 décembre 1993, l'adhésion de la Suisse au Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Le délai référendaire, en fonction duquel les citoyens s'ils sont au nombre de 50 000 peuvent exiger que l'adhésion soit soumise au peuple, étant écoulé au 28 mars 1994 sans qu'il en ait été fait usage, la ratification de ce protocole, annoncée dans le deuxième rapport périodique, sera chose faite au printemps de l'année en cours. En revanche, le peuple suisse sera appelé à se prononcer en dernier ressort sur la ratification de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, approuvée par le Parlement le 18 juin 1993, en raison de l'aboutissement d'un référendum contre la révision de la législation pénale fédérale qu'imposerait l'adhésion à cette convention.

5. Par ailleurs, M. Krafft porte à la connaissance du Comité le fait que la Suisse a accepté les amendements concernant le financement des dépenses mentionnées aux paragraphes 7 de l'article 17 et 5 de l'article 18 de la Convention contre la torture. En outre, elle continue de ne ménager aucun effort pour accélérer l'adoption d'un protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et prévoyant un mécanisme de visite des lieux de détention. Enfin, le Conseil fédéral prévoit d'adresser prochainement au Parlement un message concernant la ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant. Il proposera aussi au Parlement, l'année suivante, de ratifier la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

6. Cette politique de ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme est conforme aux objectifs fixés par le Conseil fédéral dans son récent rapport sur la politique extérieure de la Suisse dans les années 90, où l'engagement en faveur des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit est mentionné en deuxième position parmi les cinq objectifs prioritaires de la politique extérieure du pays.

7. Indépendamment des conventions des Nations Unies, la Suisse est liée par plusieurs instruments régionaux, dont les plus importants, s'agissant de la lutte contre la torture, sont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Aux yeux des autorités suisses, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 2 et 3 de la Convention contre la torture sont des dispositions de portée identique.

8. De 1989 à ce jour, la plupart de la vingtaine de requêtes individuelles déposées contre la Suisse devant la Commission européenne des droits de l'homme pour violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ont été déclarées irrecevables, sans même avoir été transmises au Gouvernement suisse pour observations. De fait, seules neuf d'entre elles lui ont été transmises. Sept de ces requêtes, dans lesquelles des demandeurs d'asile dont la demande avait été rejetée invoquaient une violation du principe du non-refoulement, ont été déclarées irrecevables au stade actuel. Une autre a fait l'objet d'un rapport de la Commission européenne des droits de l'homme, qui a constaté qu'aucune violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme n'était imputable aux autorités suisses. La neuvième affaire est l'une des rares mettant en cause de mauvais traitements infligés par des fonctionnaires suisses; elle est aussi la seule, dans la période considérée, à propos de laquelle la Commission européenne des droits de l'homme a estimé que le requérant avait été soumis à un traitement dégradant au sens de l'article 3. Il s'agissait d'un ressortissant colombien condamné pour trafic de drogue. La Commission a notamment critiqué l'emploi d'une grenade détonante, le délai de 24 heures durant lequel le requérant n'a pas été autorisé à changer ses vêtements souillés et le fait que, dans un premier temps, il a été ausculté seulement par un infirmier. Cette affaire s'est conclue par un règlement amiable.

9. M. Krafft se réfère ensuite au rapport d'Amnesty International qui avait été porté à la connaissance des autorités suisses deux jours auparavant et s'intitulait "Les allégations de mauvais traitements en garde à vue : un important sujet de préoccupation". Il peut seulement dire au stade actuel que les autorités suisses prennent ces allégations au sérieux car elles mettent en cause la responsabilité de la Suisse au regard des conventions internationales qu'elle a ratifiées. Le Ministère de la justice avait l'intention d'étudier en détail les divers cas de mauvais traitements allégués et se réservait de prendre position. M. Krafft souligne que la Suisse est l'un des 35 pays ayant reconnu que le Comité contre la torture avait compétence pour recevoir des communications individuelles au titre de l'article 22 de la Convention et note que cette compétence commence à être utilisée, le Comité étant actuellement saisi d'une communication concernant la question du non-refoulement.

10. Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a effectué une visite en Suisse du 21 au 29 juillet 1991; il a, par la suite, transmis son rapport aux autorités fédérales qui l'ont rendu public, accompagné des commentaires du Gouvernement suisse. Des conclusions de son rapport, il ressort que la délégation du CPT n'a entendu aucune allégation de torture dans les établissements visités en Suisse et n'a fait état d'aucune constatation en ce sens. Toutefois, le Comité a estimé que tout risque d'être maltraité pendant la garde à vue ne saurait être écarté et décelé un certain nombre de problèmes relatifs aux conditions de détention qui l'ont amené à formuler des recommandations. Les autorités suisses compétentes ont le plus souvent donné une suite favorable à ces recommandations; un rapport de suivi sera ainsi prochainement transmis au CPT. Si les cantons suisses ont compétence en matière de police, de procédure pénale et d'exécution des peines, les autorités fédérales ont une responsabilité particulière au regard des engagements de droit international public de la Suisse. Elles s'efforceront de documenter et d'informer les autorités cantonales de façon plus complète sur les obligations découlant pour la Suisse du droit international en matière de détention.

11. M. Krafft fait état de deux lois récentes relevant du champ d'application de la Convention contre la torture. Premièrement, le Parlement fédéral a adopté le 18 mars 1994 une loi sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers. Cette loi vise exclusivement à assurer que les étrangers qui ne sont munis d'aucun titre de séjour en Suisse et dont le renvoi est exigible en vertu des règles du droit national et international puissent effectivement être refoulés. Elle prévoit des mesures de détention, limitées dans le temps et soumises à un contrôle judiciaire, permettant d'assurer l'exécution des décisions prises aux termes des procédures légales. Dans un message adressé au Parlement, le Conseil fédéral précise que les mesures éventuellement prises devront être conformes aux principes du droit international public et aux engagements internationaux de la Suisse. Il souligne que si le requérant a la qualité de réfugié et s'il s'avère qu'il court effectivement le risque d'être torturé ou maltraité en cas de renvoi, la protection du principe de non-refoulement ne pourra lui être déniée, eût-il même un comportement asocial ou criminel. La seconde loi qui mérite d'être signalée est la nouvelle loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions, entrée en vigueur le 1er janvier 1993. Cette loi constitue un progrès indéniable en faveur des victimes de torture, et plus largement en faveur de toute personne à l'intégrité physique ou psychique de laquelle il a été porté directement atteinte.

12. M. Krafft déclare que les membres du Comité trouveront dans le document de base constituant la première partie des rapports des Etats parties (HRI/CORE/1/Add.29) des indications importantes sur la relation entre le droit international et le droit national suisse. Il rappelle que la Suisse est un Etat à tradition moniste, c'est-à-dire qu'un traité international ratifié par le Conseil fédéral fait partie du droit fédéral dès la date de son entrée en vigueur pour la Suisse sans qu'il soit besoin qu'il soit transposé dans l'ordre juridique interne par l'adoption d'une loi spéciale. En outre, le Tribunal fédéral a consacré dans sa jurisprudence récente la primauté du droit international sur le droit interne; il s'ensuit que si une disposition d'un traité international est directement applicable, toute autorité cantonale ou fédérale devra l'appliquer. M. Krafft conclut en disant que ses collègues et lui-même feront de leur mieux pour répondre aux questions que le Comité souhaitera poser sur la manière dont la Suisse assume les engagements qu'elle a pris en devenant partie à la Convention contre la torture.

13. Le PRESIDENT remercie M. Krafft de son exposé intéressant et précis qui rend compte notamment du dynamisme de la Suisse en matière législative.

14. M. BEN AMMAR, rapporteur pour la Suisse, après avoir remercié le représentant de la Suisse de l'exposé très complet qu'il a présenté, note que le document de base constituant la première partie du rapport des Etats parties (HRI/CORE/1/Add.29) donne une description très complète de l'organisation politique, judiciaire et administrative en Suisse. Il constate avec satisfaction que le deuxième rapport périodique est globalement conforme aux directives établies par le Comité, mais déplore qu'il ne soit parvenu au secrétariat que 15 mois après l'échéance prévue.

15. Les institutions fédérales et cantonales suisses sont régies par les principes d'une démocratie véritable dans laquelle les citoyens ont leur mot à dire. Cela est important au regard de la protection et du respect des droits des individus. D'autres éléments sont révélateurs de la volonté politique des autorités suisses de respecter les droits de l'homme : les déclarations au titre des articles 21 et 22 de la Convention contre la torture, l'abrogation de la peine de mort, l'adhésion au Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, la volonté de soutenir le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, etc. Plus important encore, il y a lieu de signaler que ni les instances européennes comme le Comité pour la prévention de la torture ou la Cour européenne des droits de l'homme, ni un rapporteur spécial, ni aucune organisation non gouvernementale n'ont constaté en Suisse d'actes de torture au sens de l'article premier de la Convention.

16. Cependant, d'après des sources dignes de foi, des problèmes d'une certaine gravité se posent en ce qui concerne la garde à vue et la détention provisoire, les conditions de détention et la législation relative au droit d'asile et son application. L'éventualité que les personnes en état d'arrestation puissent être exposées à de mauvais traitements suscite quelques questions. M. Ben Ammar aimerait savoir à ce sujet si une personne arrêtée est informée de ses droits et comment une autorité indépendante de la police ou de l'administration pénitentiaire peut s'assurer qu'il en est bien ainsi. En outre, la personne appréhendée peut-elle se faire examiner par un médecin avant et après un interrogatoire ? Notant qu'il existe un Institut universitaire de médecine légale à Genève qui tient des permanences dans certains postes de police, M. Ben Ammar voudrait savoir si des structures équivalentes existent dans d'autres cantons. Une personne en état d'arrestation peut-elle communiquer avec un avocat ? Les autorités fédérales et cantonales s'étant montrées réticentes à reconnaître ce droit, peut-on espérer une évolution positive dans ce domaine ?

17. Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture indique la durée maximale de la garde à vue dans trois cantons; M. Ben Ammar aimerait savoir ce qu'il en est dans chacun des cantons. Lors de l'incarcération d'un détenu, les actes auxquels il est procédé sont-ils consignés dans des registres cotés et paraphés ? Quelles autorités de contrôle, parlementaires ou judiciaires, sont-elles habilitées à se rendre sur les lieux de détention ? Sachant qu'il existe une Commission de visiteurs officielle dans le canton de Genève, M. Ben Ammar aimerait en connaître la composition et savoir quels résultats elle a enregistré depuis son entrée en fonction; existe-t-il des institutions similaires dans les autres cantons ? Par ailleurs, il serait intéressant de savoir quelle est l'autorité habilitée à mener l'enquête lorsqu'une bavure se produit; il semblerait qu'à Genève l'enquête soit effectuée par un magistrat en retraite. Il serait aussi utile d'avoir des statistiques sur les suites données aux plaintes dans les différents cantons. Dans le souci, toujours, de limiter les risques de mauvais traitements, M. Ben Ammar pose la question de la formation des agents et des cadres de la police et de l'administration pénitentiaire. Existe-t-il un code fédéral ou des codes cantonaux de déontologie policière ? A propos du paragraphe 31 du rapport, M. Ben Ammar demande des informations supplémentaires sur les modifications apportées au Code de procédure pénale.

18. M. Ben Ammar souhaite également poser quelques questions en relation avec l'article 2 de la Convention. Se référant à l'article 89 bis de la Constitution suisse, en vertu duquel, un arrêté fédéral peut, en cas de nécessité, suspendre l'exercice des droits fondamentaux, et ce pour une durée illimitée, il demande dans quelle mesure les dérogations envisagées peuvent-elles compromettre le respect de l'intégrité physique. La même question se pose à propos des pouvoirs généraux de police en vertu desquels la police peut faire abstraction des ordonnances et prendre des décisions sans base légale. Ce principe est difficile à concilier avec l'état de droit, observe M. Ben Ammar, qui voudrait savoir comment le Tribunal fédéral exerce un contrôle sur ces pouvoirs généraux de la police. Par ailleurs, il s'inquiète des possibilités de mise au secret qui, semble-t-il, ne sont pas réglementées de manière très rigoureuse.

19. En ce qui concerne le droit d'asile, M. Ben Ammar se dit préoccupé par les réformes successives intervenues, qui semblent mettre en cause certains droits fondamentaux de l'homme. Il mentionne notamment la possibilité d'extrader un individu vers un pays où l'on risque de le torturer, sur la foi d'un simple engagement de l'Etat concerné de respecter les droits de l'intéressé. Il semble que cette possibilité porte atteinte à l'esprit même de l'article 3 de la Convention. Par ailleurs, en vertu de la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers, l'Office fédéral de la police est habilité à décider soit d'octroyer le droit de séjour, soit de procéder à l'internement du demandeur, et ce pour une période pouvant aller jusqu'à deux ans. M. Ben Ammar s'étonne de cette disposition. Enfin, il demande des précisions sur l'accueil réservé aux demandeurs d'asile et les délais de recours dont disposent ceux-ci. A cet égard, un délai de 24 heures lui semble bien court. Pour conclure et sans vouloir minimiser les problèmes réels auxquels sont confrontées les autorités suisses, M. Ben Ammar pense qu'il ne serait pas inutile que l'on mène dans les pays pourvoyeurs de demandeurs d'asile une campagne d'information qui ferait prendre conscience à ceux qui aspirent à fuir leur patrie pour aller chercher leur salut en Suisse que ce pays n'est pas nécessairement la terre de rêve qu'ils s'imaginent.

20. Le PRESIDENT fait observer que la Suisse n'a jamais prétendu être la terre promise.

21. M. LORENZO (Corapporteur) rend un vibrant hommage à la Suisse, qu'il qualifie de terre de paix, de liberté et de démocratie. Il tient à associer personnellement à cet hommage deux hommes qui ont énergiquement combattu la torture : Jean-Jacques Gautier et Joseph Voyame, qui fut le premier président du Comité contre la torture dont il a su animer avec flamme les travaux.

22. M. Lorenzo signale que dans la version espagnole du rapport périodique de la Suisse, il est question, à propos de l'article 5, de deux communications déclarées irrecevables qui seraient actuellement examinées par le Comité; il s'agit manifestement de communications recevables. M. Lorenzo donne ensuite lecture de l'article 3 de la Convention et, à propos du paragraphe 9 du rapport, se demande si un arrêté fédéral peut effectivement modifier une loi fédérale et, dans l'affirmative, dans quel sens intervient la modification : s'agit-il d'un élargissement en faveur des demandeurs d'asile ou, au contraire, d'une disposition plus stricte à leur encontre. M. Lorenzo aimerait avoir plus de précisions sur les mécanismes d'octroi de l'asile et notamment connaître les procédures ou mécanismes mis en jeu pour décider de refouler ou d'expulser un étranger et, plus encore, pour vérifier si cet étranger risque ou non d'être torturé s'il est renvoyé dans son pays. Il importe, en effet, de savoir si les autorités qui étudient chaque cas d'espèce prennent en considération les rapports émanant d'organes de défense des droits de l'homme - par exemple les rapports du Comité contre la torture ou les rapports d'organisations non gouvernementales (Amnesty International, et les diverses Organisations contre la torture), ou encore les rapports d'institutions régionales telles que le Conseil de l'Europe ou la Commission intéraméricaine des droits de l'homme, voire les rapports rédigés par certains Etats, par exemple les rapports élaborés par le Département d'Etat des Etats-Unis. M. Lorenzo relève dans le rapport de la Suisse que les autorités ont à leur disposition des listes d'Etats où des problèmes de droits de l'homme se posent et vers lesquels elles se refuseraient à refouler un étranger. Il demande que ces listes soient communiquées au Comité. Toujours à propos de l'article 3, il est dit au paragraphe 16 du rapport, qu'aucun renvoi dans le pays d'origine n'interviendra s'il est établi que l'intéressé encourt personnellement et concrètement un risque. M. Lorenzo voudrait savoir ce qu'il en serait dans le cas d'un pays dans lequel on constaterait des violations flagrantes et persistantes des droits de l'homme.

23. M. Lorenzo souhaiterait également avoir des éclaircissements sur les autorités compétentes pour décider des questions d'extradition, de non-admission ou d'expulsion, y compris l'expulsion de personnes dont le permis de résidence est arrivé à expiration. Plus précisément, il voudrait savoir de quels recours disposent éventuellement les intéressés face à la décision d'une de ces autorités et si les recours auprès d'organes judiciaires indépendants ont toujours un effet suspensif en cas de décision de refoulement ou de non-admission. Au paragraphe 8 du rapport il est fait état d'un pays requérant une extradition qui n'a pas respecté ses engagements. M. Lorenzo aimerait savoir de quel pays il s'agit. Au paragraphe 15 du rapport, il est dit que l'on procède au refoulement d'un demandeur débouté de sa demande d'asile après une période de seulement 24 heures. M. Lorenzo juge ce délai extrêmement court et aimerait quelques éclaircissements à ce sujet. Il estime, pour sa part, que ce délai devrait être porté à 30 jours.

24. A propos de l'article 4 de la Convention dont il est question aux paragraphes 18 à 28 du rapport, M. Lorenzo se félicite des changements intervenus dans la législation pénale et militaire, tout en constatant un certain nombre de carences. En effet, le rapport ne précise pas comment la législation modifiée permet de mieux respecter l'article 4. Il y a consensus au sein du Comité à propos de l'utilité d'inclure un délit de torture dans la législation nationale. Si cela n'est pas absolument indispensable, cela s'avère néanmoins extrêmement utile - et un tel délit a d'ailleurs été incorporé dans le droit interne d'un certain nombre de pays. Cette définition permet en effet d'exclure toute échappatoire pour les cas de torture psychique, mais aussi d'assortir ce délit grave de peines correspondantes et, du point de vue de l'information de la population et plus encore, de la police, de faire savoir ce qu'est la torture et surtout qu'elle constitue un délit punissable de peines lourdes.

25. En ce qui concerne l'article 11 de la Convention dont traitent les paragraphes 42 à 45 du rapport, M. Lorenzo, à l'instar de M. Ben Ammar, voudrait connaître le délai maximum d'une éventuelle mise au secret. Il demande également que l'on précise la durée de détention au terme de laquelle, l'intéressé peut communiquer avec sa famille et les moyens mis à sa disposition pour ce faire; ainsi que le moment auquel la personne incarcérée peut être examinée par un médecin et s'entretenir avec un avocat. Il importerait aussi de savoir si l'avocat est l'avocat du détenu ou un avocat commis d'office.

26. A propos des articles 12 et 13 de la Convention, M. Lorenzo fait état d'un communiqué d'Amnesty International selon lequel des détenus, sur le point de dénoncer des sévices dont ils prétendaient avoir été victimes, ont fait l'objet d'une accusation en diffamation. Il souhaiterait avoir des précisions à ce sujet. D'autre part, il estime que les informations données au sujet de l'article 15 ne permettent pas de conclure au respect de cet article. Il voudrait plus de précisions quant aux aveux obtenus sous la contrainte et à l'usage qui est fait de ces preuves devant un tribunal. Il aimerait aussi connaître les dispositions des codes de procédure pénale des cantons concernant les preuves obtenues de manière illicite. Enfin, à propos de l'article 16, il se réfère au Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui fait état de périodes de détention prolongée et de périodes d'isolement. Qu'en est-il de la durée maximum de l'isolement, celui-ci peut-il se répéter ? Par ailleurs, l'intéressé peut-il recourir à un tribunal judiciaire indépendant ? M. Krafft a évoqué un rapport d'Amnesty International qui fait état de mauvais traitements infligés par la police à Genève. Il s'agit là d'un incident particulièrement inquiétant, car la justice n'aurait pas assuré le suivi de cette affaire et, si des sanctions administratives ont été prises, rien n'a été fait sur le plan pénal. M. Lorenzo s'interroge sur cette absence de sanctions pénales. Enfin, d'après une association pour la prévention de la torture, les zones de transit de l'aéroport de Genève ne pourraient être visitées que par des parlementaires. Aucun magistrat, notamment, ne pourrait s'y rendre. M. Lorenzo s'étonne de cette disposition et aimerait qu'on lui précise la réalité de la situation.

27. M. SORENSEN dit que la plupart des questions qu'il souhaitait poser l'ont déjà été par d'autres membres du Comité. Il conçoit la difficulté qu'il y a à assurer une transparence parfaite en matière de droits de l'homme dans tout le pays, étant donné la structure fédérale de la Suisse. M. Sorensen se dit préoccupé par l'absence d'une définition de la torture en droit suisse, et ce d'autant plus que la révision du droit pénal effectuée en 1990 aurait pu fournir l'occasion d'intégrer dans la législation nationale l'article premier de la Convention. Certes, les traités internationaux priment le droit national mais tous les agents de la force publique en Suisse ont-ils une connaissance suffisante de ces traités ? M. Sorensen voudrait savoir comment les autorités suisses veillent à ce que les principes de la Convention soient respectés à tous les niveaux et dans tous les cantons.

28. En ce qui concerne l'application de l'article 3 de la Convention, M. Sorensen demande si le renvoi dans leur pays d'origine des demandeurs d'asile est toujours systématiquement précédé d'une consultation avec le HCR (par. 12 du rapport). Pour ce qui est de l'application de l'article 15 il demande où sont provisoirement détenues les personnes ayant fait l'objet d'une décision d'expulsion et quels droits et libertés leur sont effectivement reconnus ?

29. A propos de l'article 10 de la Convention, les paragraphes 35 à 41 du rapport font état des mesures prises en matière de formation du personnel pénitentiaire mais il n'y est pas question de la formation du personnel médical. M. Sorensen rappelle que cet article de la Convention prévoit que tout Etat partie veille à ce que l'enseignement et l'information concernant l'interdiction de la torture fassent aussi partie intégrante de la formation du personnel médical.

30. En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, M. Sorensen se félicite de l'entrée en vigueur, en janvier 1993, d'une nouvelle loi fédérale sur l'aide aux victimes (par. 52 du rapport). Il demande si les ressortissants d'un canton peuvent faire appel à un centre de consultation situé dans un autre canton. Enfin, à propos de la requête déposée par un ressortissant colombien devant la Commission enruopéenne des droits de l'homme, il précise que, selon le Comité, les détenus peuvent d'abord être examinés par un infirmier puis, le cas échéant, par un médecin et qu'en l'occurrence, il n'y a pas eu manquement aux règlements.

31. M. GIL LAVEDRA rappelle que la Suisse a été l'un des premiers pays à ratifier la Convention et qu'elle a reconnu la compétence du Comité en vertu des articles 21 et 22. En ce qui concerne l'application de l'article 3 de la Convention, il aimerait savoir qui est responsable de fournir la preuve de l'existence ou de l'absence de motifs sérieux de croire qu'une personne risque d'être soumise à la torture. Par ailleurs, il s'associe aux observations de M. Lorenzo concernant le délai de 24 heures accordé au requérant débouté avant son refoulement (par. 15 du rapport) et à celles de MM. Lorenzo et Sorensen concernant l'absence de définition de la torture en droit suisse. Il se dit par ailleurs préoccupé par les informations communiquées par Amnesty International en ce qui concerne la recrudescence des violences policières dans le pays, en particulier dans le canton de Genève, et par l'impunité dont jouissent les auteurs de ces actes. En ce qui concerne les mauvais traitements infligés pendant la période de détention provisoire, généralement considérée comme période "à haut risque", le Comité préconise un certain nombre de mesures préventives, comme l'établissement d'un rapport médical officiel dans tous les cas, la possibilité de contacts avec la famille et avec un avocat et l'interdiction à la police de procéder à un interrogatoire. Beaucoup de ces recommandations ont été formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui a remis le rapport de sa visite en Suisse aux autorités du pays en mars 1992. A cet égard, M. Gil Lavedra aimerait savoir pourquoi le Conseil fédéral a rejeté certaines de ses recommandations. Par ailleurs, il souhaiterait savoir quelle est l'importance accordée aux aveux faits par les détenus.

32. En ce qui concerne l'application de l'article 12 de la Convention, M. Gil Lavedra se réfère au paragraphe 47 du rapport où il est indiqué que les autorités judiciaires de quelques cantons ont traité plusieurs plaintes concernant des violations alléguées de la Convention européenne des droits de l'homme et il demande s'il serait possible de connaître le nombre de plaintes déposées, dans le canton de Genève, pour mauvais traitements infligés par des agents des forces de l'ordre. Ce chiffre n'aurait toutefois qu'une valeur indicative puisqu'il est notoire qu'un grand nombre de victimes ne portent pas plainte. M. Gil Lavedra souhaiterait par ailleurs obtenir des informations quant au rôle joué par le ministère public dans le déroulement de l'enquête. Il ajoute qu'il fait siennes les questions posées par les autres membres du Comité.

33. M. BURNS dit qu'il reprend lui aussi à son compte les observations formulées par ses collègues. Il se réfère ensuite à un article publié il y a quelques semaines dans le journal Herald Tribune et qui mentionne l'adoption d'une nouvelle loi fédérale devant entrer en vigueur le 1er juillet 1994. Cette loi renforce les pouvoirs de la police en lui donnant le droit d'arrêter les étrangers qui ne sont pas en possession d'un document d'identité valable et de les emprisonner pendant une période pouvant atteindre trois mois. M. Burns souhaiterait savoir si le principe d'habeas corpus s'applique à cette période et si une partie de la détention se passe au secret. Les autorités suisses pourraient-elles fournir des détails sur cette nouvelle loi, sur les conséquences qu'elle aura pour les réfugiés et les demandeurs d'asile dans le pays et sur le nombre de personnes qu'elle risque d'affecter. Toujours à propos de l'article 3 de la Convention, M. Burns souhaiterait savoir quand entrera en vigueur l'accord de réadmission conclu entre la Suisse et Sri Lanka (dont le Comité a pris connaissance par un communiqué de presse daté du 13 janvier 1994), quelle est la raison d'être de cet accord et comment les autorités suisses comptent veiller à en assurer la compatibilité avec le paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention. Des accords de même nature ont-ils été conclus avec d'autres pays ? M. Burns se réfère ensuite au paragraphe 14 du rapport où il est fait état d'une liste des pays présumés libres de persécutions; il souhaiterait savoir quels critères président à l'insertion de pays dans cette liste et quelle est la procédure à suivre pour ajouter tel pays à la liste ou en retirer tel autre.

34. En ce qui concerne l'article 12 de la Convention, M. Burns s'étonne de ce que les cantons ne tiennent pas de statistiques concernant les plaintes relatives à des violations alléguées de la Convention européenne des droits de l'homme dont ont à connaître les autorités judiciaires de certains cantons. Les autorités suisses auraient-elles de bonnes raisons de ne pas vouloir tenir de telles statistiques ? Se référant ensuite au paragraphe 56 du rapport qui traite de l'article 14 de la Convention, M. Burns demande si les autorités suisses ont reçu beaucoup de demandes d'indemnisation des victimes par l'Etat. Par ailleurs, M. Burns dit avoir été frappé, à la lecture du rapport d'Amnesty International, de constater qu'à maintes reprises, la police était parvenue à se disculper des plaintes déposées contre elle pour mauvais traitements en invoquant le délit de diffamation. Cela signifie-t-il qu'il est diffamatoire, dans certains cantons, de critiquer la police ? Dans l'affirmative, quelle est la raison d'être d'un tel délit ?

35. M. EL IBRASHI dit qu'il s'associe aux questions posées par ses collègues sur l'absence de définition de la torture en droit suisse et le manque de statistiques concernant les plaintes déposées pour violations alléguées de la Convention européenne des droits de l'homme. En ce qui concerne le paragraphe 56 du rapport et la loi qui prévoit une indemnisation des victimes d'infractions, il demande si l'indemnisation par l'Etat est exclue pour les victimes déjà couvertes par une police d'assurance.

36. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS demande si les conventions internationales priment la Constitution fédérale en Suisse.

37. M. KRAFFT (Suisse) remercie les membres du Comité de l'attention qu'ils ont portée au rapport de son pays et dit que sa délégation s'efforcera de répondre aux questions posées du mieux possible.

38. La délégation suisse se retire.

La séance est levée à 12 h 20.
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