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NATIONS

UNIES

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Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

 

 

 

 

Comment                         Distr.

                        GENERALE

 

                        CCPR/C/SR.1364

                        27 octobre 1994

 

                        Original : FRANCAIS

 

 

 

 

COMITE DES DROITS DE L'HOMME

 

Cinquante-deuxième session

 

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1364ème SEANCE

 

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le jeudi 20 octobre 1994, à 10 heures

 

Président : M. ANDO

 

 

SOMMAIRE

 

Examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

 

          -         Maroc

 

 

 

 

 

 

__________

 

          Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

 

          Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également portées sur un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

 

          Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques de la présente session seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la clôture de la session.

 

 

 

 

GE.94-19542 (F)

La séance est ouverte à 10 h 15.

 

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

 

Troisième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/76/Add.3 et Add.4; HRI/CORE/1/Add.23)

 

1.       M. Majdi, M. Libidi, Mlle Belmir et M. Aboutahir (Maroc) prennent place à la table du Comité.

 

2.       Le PRESIDENT souhaite la bienvenue à la délégation marocaine et l'invite à présenter le troisième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/76/Add.3 et Add.4).

 

3.       M. MAJDI (Maroc) est heureux de présenter le rapport du Gouvernement du Royaume du Maroc au Comité des droits de l'homme, dont il salue les efforts en faveur des droits fondamentaux et l'intérêt soutenu qu'il porte à l'examen des rapports de tous les pays. Le rapport du Maroc est le fruit du travail collectif de plusieurs départements ministériels, qui ont veillé à tenir compte des directives du Comité. Sa présentation illustre la volonté qu'a le Gouvernement marocain de poursuivre le dialogue fructueux engagé avec le Comité et témoigne de son intérêt pour les activités de cet organe.

 

4.       Depuis la rédaction du rapport, certains éléments nouveaux sont survenus, qui consistent en une série de mesures normatives et institutionnelles tendant à accroître le respect des droits de l'homme ainsi qu'en une série d'actions concrètes en faveur de ces droits essentiels de la personne humaine.

 

5.       Pour ce qui est des mesures normatives, des dispositions nouvelles favorisant la mise en liberté provisoire de l'inculpé ont été adoptées par la loi No 1-92-2, du 10 septembre 1993.

 

6.       En juillet 1994, le Parlement a abrogé le dahir du 29 juin 1935 relatif à la répression des manifestations contraires à l'ordre et des atteintes au respect de l'autorité. Par ailleurs, pour renforcer l'indépendance et l'impartialité de la justice, une loi (No 1-93-205) du 10 septembre 1993 a réintroduit le système de la collégialité au sein du tribunal de première instance où siègent désormais trois magistrats. Un dahir adopté le même jour a créé des tribunaux administratifs, ce qui renforce le contrôle de la légalité de l'action administrative.

 

7.       Des améliorations notables ont été apportées à la condition de la femme. La contrainte matrimoniale a été supprimée. De nouvelles garanties concrétisant le consentement de la femme au mariage ont été accordées à la femme avant et lors de la rédaction de l'acte de mariage. La polygamie est désormais soumise à autorisation judiciaire. La répudiation unilatérale par le mari a été rendue plus difficile et son utilisation abusive est désormais sanctionnée par l'octroi d'une indemnisation. La mère majeure a la tutelle légale après le décès ou la déclaration d'incapacité du père.

 

 


8.       Pour ce qui est des droits de l'enfant, il existe désormais une loi concernant les enfants abandonnés qui, notamment, fixe les conditions légales dans lesquelles un couple, un organe ou une organisation à caractère social reconnu d'utilité publique peut recueillir un enfant. D'autre part, le père, qui n'était jamais titulaire de la garde, figure désormais au deuxième rang des personnes auxquelles l'enfant peut être confié.

 

9.       Pour ce qui est des mesures institutionnelles, il faut rappeler que la Constitution de 1992, a créé un conseil constitutionnel, chargé de contrôler la constitutionnalité des lois et la régularité des élections législatives, organe qui est déjà en activité.

 

10.     De même, il faut signaler la création, en novembre 1993, d'un ministère chargé des droits de l'homme. Dirigé par l'ancien président de l'Organisation marocaine des droits de l'homme, il a pour mission essentielle d'assurer la concertation avec les citoyens et les groupements et d'instruire les requêtes, ainsi que, plus généralement, d'inciter les Marocains au respect des droits de l'homme. Il veille en outre à assurer la conformité du droit interne avec les instruments internationaux et à promouvoir la culture des droits de l'homme.

 

11.     De plus, des mesures concrètes ont été prises en faveur de centaines de détenus; en 1994, la grâce royale a commué 196 condamnations à mort en réclusion perpétuelle. De plus, en juillet 1994, le Roi a invité le Conseil consultatif des droits de l'homme à lui soumettre, en vue d'une amnistie, une liste de détenus appartenant à la catégorie qu'on appelle "prisonniers politiques", et c'est ainsi que 424 prisonniers, notamment 11 personnes condamnées pour ce que l'ONU dénomme délits d'opinion, ont immédiatement recouvré la liberté. L'amnistie s'étend également aux exilés, volontaires ou ayant fui des poursuites ou des décisions judiciaires.

 

12.     Différents autres projets aboutiront bientôt, et la délégation marocaine reste à la disposition des membres du Comité pour apporter toute information dont ils peuvent avoir besoin.

 

13.     Le PRESIDENT invite le chef de la délégation marocaine à répondre aux questions de la Liste des points à traiter à l'occasion de l'examen du troisième rapport (M/CCPR/LST/52/MAR/3, document sans cote en anglais) en commençant par la section I, qui se lit comme suit :

 

          "I.       Cadre constitutionnel et juridique de l'application du Pacte; droit à l'autodétermination; état d'urgence; non-discrimination, égalité des sexes et protection de la famille (art. 1, 2, 3, 4, 23, 24 et 26)

 

a)Veuillez commenter des cas précis où le Pacte a été directement invoqué devant les tribunaux pendant la période à l'étude et indiquer comment peuvent être résolus les conflits qui peuvent surgir entre les dispositions du Pacte et celles du droit interne.

 

b)Veuillez décrire les facteurs et difficultés qui affectent la mise en oeuvre du Pacte. En particulier, quelle est l'influence des cultures et traditions marocaines sur la mise en oeuvre des droits énoncés dans cet instrument.

 

c)Veuillez décrire les obstacles à l'exercice du droit à l'autodétermination au Sahara occidental dans le contexte des obligations assumées par le Maroc aux termes du paragraphe 3 de l'article premier du Pacte.

 

d)Veuillez fournir des exemples concrets des différences qui existent toujours entre l'homme et la femme et dictées 'par des considérations ayant trait à la nature de chacun des deux sexes, à leurs responsabilités dans la vie et à ce qui leur convient le mieux, ainsi que par souci de garantir l'intérêt général, le bien de la famille ...' (voir par. 19 et 21 du rapport).

 

e)Veuillez communiquer des renseignements sur les lois et la pratique en ce qui concerne l'emploi de mineurs de plus de 12 ans (voir par. 103 du rapport).

 

f)Le public a-t-il été informé de l'examen du rapport par le Comité des droits de l'homme ?

 

g)Depuis l'examen du deuxième rapport périodique, des mesures ont-elles été prises en vue de la ratification du premier Protocole facultatif ou de l'adhésion à cet instrument ?"

 

14.     M. MAJDI (Maroc), répondant à la question a), fait observer que, comme bien d'autres pays, le Maroc, après avoir ratifié plusieurs instruments internationaux, s'est trouvé devant la difficulté d'avoir à adapter son droit interne. Certaines juridictions marocaines avaient pour habitude de considérer qu'en cas de conflit entre un instrument international et un texte législatif marocain, c'était ce dernier qui l'emportait. Le tribunal de première instance de Rabat ayant rendu en 1986 une ordonnance dans ce sens, un grand débat doctrinal a eu lieu dans le pays à la suite duquel cette même juridiction est complètement revenue sur sa jurisprudence dans le sens de la reconnaissance - à propos de la légalité de la contrainte par corps pour non-exécution d'une obligation civile - de la suprématie de l'instrument international sur la loi interne. La réaffirmation de l'attachement du Royaume du Maroc aux principes des droits de l'homme qui est faite dans le préambule de la Constitution révisée de 1992 confirme solennellement la suprématie des instruments internationaux, dont le Pacte, sur le droit interne. Le Conseil consultatif des droits de l'homme et le Ministre chargé des droits de l'homme ont entrepris d'étudier la question de l'adaptation du droit interne aux divers instruments internationaux ratifiés par le Maroc.

 

15.     En ce qui concerne les facteurs et difficultés qui affectent la mise en oeuvre du Pacte (question b)), il n 'est pas de pays qui puisse affirmer qu'il n'en existe pas. Les difficultés que rencontre le Maroc sont dues en premier lieu à l'inadéquation de certaines dispositions législatives par rapport au Pacte, inadéquation relevée par les membres du Comité lors de l'examen du deuxième rapport périodique ainsi que par plusieurs instances marocaines. Au demeurant, l'une des attributions du Ministère chargé des droits de l'homme est de passer en revue l'ensemble des textes législatifs et réglementaires en vue d'en apprécier la conformité aux principes et aux règles concernant ces droits fondamentaux et de proposer éventuellement les modifications qui s'imposent. Ainsi, certains textes ont déjà été abrogés et d'autres sont en cours de révision.

 

16.     Les difficultés tiennent également au manque de moyens, humains et matériels, qui empêche le Maroc de satisfaire à certaines exigences, ce qui a des répercussions sur les droits de l'homme.

 

17.     Les valeurs et traditions marocaines sont conformes au Pacte et n'en empêchent pas la bonne application. Toutefois, elles sont plutôt favorables à l'homme qu'à la femme; on songe à la polygamie, qui a toutefois été rendue très difficile à pratiquer depuis que le législateur l'a entourée de conditions très difficiles à satisfaire, sans pourtant l'abroger. Des valeurs vieilles de plusieurs siècles ne peuvent être niées par un simple décret. La disparition des différences entre l'homme et la femme est liée à l'évolution de la société, des mentalités et du niveau d'instruction, notamment. Par exemple, il est établi que la polygamie est quasiment inexistante chez les personnes qui ont fait des études supérieures, et qu'elle est très limitée en milieu urbain.

 

18.     Pour ce qui est du droit à l'autodétermination au Sahara occidental, qui fait l'objet de la question c), il faut rappeler l'attachement du Maroc au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, au nom duquel il a lui-même lutté pour sa libération et s'est toujours montré solidaire des peuples, en Afrique notamment, qui combattaient pour leur souveraineté et leur liberté.

 

19.     La présence du Maroc au Sahara occidental repose, d'une part, sur son droit à parachever son intégrité territoriale, et d'autre part sur l'avis de la Cour internationale de Justice, qui a reconnu qu'au moment de l'occupation espagnole, ce territoire n'était pas terra nullius et que des liens d'allégeance avaient toujours existé entre la population sahraouie et le Sultan du Maroc. Un plan de paix mis au point par le Secrétaire général des Nations Unies a été adopté par le Conseil de sécurité et accepté par les parties. Il ne reste plus qu'à mettre au point les dispositions pratiques d'un règlement définitif de la question. Le Maroc, résolu à faire triompher le droit à l'autodétermination des populations du Sahara, a accepté que l'Organisation des Nations Unies organise et contrôle un référendum, ce qui représente une nouveauté absolue dans l'histoire des Nations Unies. Néanmoins, l'autre partie ne cesse de dresser des obstacles à la réussite du plan de paix des Nations Unies, et il se pose actuellement le problème de savoir qui va être habilité à voter. Le Secrétaire général de l'ONU a arrêté des critères qui ont été adoptés par le Conseil de sécurité. Toutefois, le Front Polisario maintient ses réserves sur certaines dispositions clés de la proposition du Secrétaire général concernant l'application et l'interprétation des critères. A la différence du Maroc, il veut limiter le droit de vote aux seuls Sahraouis recensés par l'Espagne en 1974, au détriment des nomades qui n'avaient pas pu être recensés à cette époque, ainsi que de tous ceux qui avaient fui le territoire à la suite des mesures de répression coloniales. Par ailleurs, il faut le souligner, les populations sahraouies jouissent pleinement de leurs droits civils et politiques, qu'elles se trouvent sur le territoire sahraoui ou dans les différentes autres régions du Maroc.

 

20.     Passant à la question d), M. Majdi indique que, si certains textes législatifs imposent une différence entre les hommes et les femmes, c'est en vue de protéger celles-ci. Ainsi, les travaux qualifiés de dangereux ou immoraux leur sont interdits et un grand nombre de dahirs adoptés dans le domaine du travail renferment des dispositions qui déterminent les types de travaux interdits aux femmes en raison de leur caractère dangereux ou excédant les capacités physiques de ces dernières, fixent les charges qui peuvent être portées, traînées ou poussées par les personnes de sexe féminin, prévoient l'obligation d'obtenir une autorisation pour pouvoir employer les femmes dans les débits de boisson, et interdisent le travail de nuit dans tous les cas.

 

21.     En ce qui concerne l'emploi des mineurs (question e)), on précisera que le travail des enfants de moins de 12 ans est interdit en vertu d'un dahir de 1947. Il est prévu de relever l'âge d'admission à l'emploi, dans le cadre du projet de code du travail en cours d'élaboration. Les agents de l'inspection du travail sont habilités à réclamer à tout moment une visite médicale pour les mineurs âgés de 12 à 16 ans, afin de vérifier leur capacité d'accomplir le travail qui leur est assigné. Les travailleurs de moins de 18 ans doivent du reste passer tous les semestres une visite médicale. L'emploi des enfants à des travaux dangereux et au travail de nuit est également interdit, et la loi fixe également la charge maximale que les enfants peuvent porter, traîner ou pousser. La durée du congé annuel est de deux jours par mois de service pour les mineurs, au lieu d'une journée et demie pour les travailleurs majeurs. L'application de cette disposition est contrôlée par les agents de l'inspection du travail, qui sont habilités à effectuer des visites dans tous les secteurs de l'emploi et à recevoir des plaintes et des requêtes.

 

22.     Toujours pour protéger les enfants mineurs, l'Etat a créé des centres d'initiation professionnelle destinés à assurer une formation aux enfants en situation d'échec scolaire, de façon à retarder leur arrivée sur le marché du travail et à leur donner une formation plus complète.

 

23.     Bien entendu, des infractions sont commises à la législation du travail, lesquelles sont portées devant les juridictions compétentes, qui imposent des peines ou des amendes. Il faut bien voir toutefois que le Maroc est caractérisé par un dualisme économique et social : parallèlement au secteur moderne, il existe un secteur traditionnel ou informel dans lequel la loi est difficile à appliquer, car le travail y est souvent clandestin ou semi-clandestin. C'est dans ce secteur que les infractions sont commises. Cette difficulté est aggravée par l'absence de personnel et de moyens matériels en quantité suffisante pour assurer une parfaite inspection. Il suffira de dire que le pays compte environ 200 inspecteurs du travail pour environ 80 000 établissements industriels, auxquels il faut ajouter les établissements commerciaux et autres. Le gouvernement s'efforce néanmoins d'améliorer la situation et a pris des mesures pour renforcer le système de l'inspection du travail.

 

24.     En réponse à la question f), on peut dire qu'une large diffusion a été assurée au Pacte. Sa ratification en 1979 a été approuvée successivement par le Conseil de gouvernement, le Conseil des ministres et la Chambre des représentants. Le texte intégral a été publié dans le Bulletin officiel et la presse marque toutes les commémorations de la création de l'Organisation des Nations Unies en reproduisant le texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme et celui du Pacte. Les principes essentiels du Pacte sont souvent commentés dans la presse, laquelle a publié dans leur intégralité les comptes rendus analytiques du Comité portant sur l'examen du deuxième rapport périodique du Maroc. Lors d'une conférence de presse tenue le 13 octobre 1994, le Président de l'Organisation marocaine des droits de l'homme a fait connaître les observations formulées par son organisation au sujet du troisième rapport périodique. Celui-ci, ainsi que les observations qu'il a suscitées, sont publiés dans la presse marocaine.

 

25.     Enfin, la réponse à la question g) est négative : le Maroc n'envisage pas pour le moment d'adhérer au premier protocole facultatif.

 

26.     M. EL SHAFEI a lu avec grand intérêt le troisième rapport périodique du Maroc, qui comporte des données concrètes et suit les directives du Comité. Il y est également tenu compte des recommandations formulées par le Comité lors de l'examen du précédent rapport.

 

27.     Des faits nouveaux positifs sont intervenus au Maroc depuis la présentation du dernier rapport, notamment l'abrogation de la loi de 1935 relative à la répression des manifestations et, surtout, l'amnistie générale accordée par Décret royal aux prisonniers politiques. Bien que certains organes aient estimé qu'il restait des personnes détenues pour délit d'opinion dans les prisons marocaines, c'est là une mesure particulièrement bienvenue. Les résultats des élections législatives organisées en 1993 attestent également la nouvelle orientation politique du Maroc. Il faut également relever avec satisfaction les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement, désormais habilité à créer des commissions d'enquête et à fixer au gouvernement un délai pour obtenir des réponses aux questions des députés.

 

28.     La création du Conseil constitutionnel, les amendements importants apportés au Code pénal et au statut de la personne sont autant d'éléments positifs. Dans le rapport on note aussi des explications claires sur la position de l'Islam à l'égard des femmes, ce qui est rarement le cas dans les rapports soumis par les Etats musulmans. Il faut bien voir, en effet, que les atteintes aux droits de l'homme ne sont jamais le fait de la religion islamique mais relèvent de l'interprétation que les pays en donnent.

 

29.     Certaines dispositions de la Constitution suscitent des interrogations chez M. El Shafei. Ainsi l'article 47, qui stipule que les textes adoptés en forme législative peuvent être modifiés par décret lorsqu'ils concernent un domaine dévolu à l'exercice du pouvoir réglementaire, appelle des précisions. Faut-il en conclure que le pouvoir exécutif est habilité à modifier une loi dûment adoptée par le Parlement ?

 

30.     De même l'article 50 de la Constitution, qui concerne le budget, appelle des éclaircissements, car il semble en ressortir que les députés ne peuvent pas présenter de modifications à la loi de finances. M. El Shafei avait cru comprendre que des pouvoirs accrus avaient été accordés au Parlement et il semblerait donc que le domaine des finances échappe à cet élargissement des pouvoirs.

 

31.     Il est indiqué dans le rapport que le Code du statut personnel a été modifié. La délégation marocaine ayant déclaré que les traités internationaux primaient le droit interne, M. El Shafei souhaiterait savoir sur quelles bases le Conseil législatif s'est fondé pour modifier ce code.

 

32.     Enfin, en ce qui concerne la proclamation de l'état d'urgence, il est stipulé dans la Constitution que le pouvoir législatif peut prendre toutes les mesures requises pour assurer la sécurité nationale, mais rien n'est dit des droits qui peuvent être suspendus; il faudrait savoir si l'intangibilité des droits expressément énoncés à l'article 4 du Pacte est respectée au Maroc.

 

33.     M. BÁN souligne tout d'abord les aspects positifs qui ressortent du rapport et des renseignements complémentaires apportés par la délégation marocaine : la Constitution a été amplement révisée, un conseil constitutionnel et un conseil économique et social ont été mis en place, et le Conseil consultatif des droits de l'homme a vu ses compétences sensiblement élargies. Le Pacte ainsi que la plupart des autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels le Maroc est partie sont intégrés aux programmes d'enseignement destinés aux membres du corps judiciaire, de la police et de la gendarmerie. Par ailleurs, le Maroc a adhéré, il y a quelques mois, à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le rapport (CCPR/C/76/Add.3) montre aussi que les autorités ont pris un ensemble de mesures, concernant notamment la famille, la santé, l'éducation et l'alphabétisation, qui vont dans le sens d'une meilleure application de l'article 23 du Pacte. La délégation marocaine a aussi indiqué que de nouvelles mesures avaient été adoptées tout récemment pour améliorer encore la situation des femmes. En outre, il convient de se féliciter de l'amnistie de juillet dernier, ainsi que d'autres éléments positifs concernant, en particulier, la question des délits d'opinion et la liberté de réunion.

 

34.     Cela étant dit, plusieurs points préoccupent M. Bán. En premier lieu, il s'interroge sur le statut réel du Pacte au Maroc. Cette question est d'autant plus importante que certains droits, qui sont garantis par les dispositions du Pacte, en particulier par les articles 6, 7, 8, 10 et 11, ne le sont pas par la Constitution marocaine. Pour quelles raisons la nouvelle Constitution révisée ne protège-t-elle pas ces droits ? En outre, certains articles de la Constitution, comme l'article 9, ne semblent garantir des droits qu'aux citoyens marocains. Pour quelle raison ces droits ne sont-ils pas ceux de l'ensemble de la population ?

 

35.     Par ailleurs, M. Bán aimerait savoir ce qui se passe dans le cas d'une violation de droits qui sont prévus par le Pacte mais qui ne sont pas inscrits dans la Constitution, par exemple le droit à l'égalité des sexes. Concrètement, si une femme estime que ses droits ne sont pas pleinement respectés au titre de la législation en vigueur, de quels recours dispose-t-elle ? Enfin, M. Bán note que la situation des femmes au Maroc s'est améliorée à plusieurs égards, en particulier pour ce qui concerne la polygamie et la répudiation des épouses. Toutefois, certaines affirmations contenues dans le rapport (CCPR/C/76/Add.3) ne lui paraissent pas claires. En particulier, la teneur du paragraphe 91 ne lui paraît guère correspondre aux principes consacrés par diverses dispositions du Pacte, en particulier les articles 3, 24 et 26. Si le Code du statut personnel dont il est question dans ledit paragraphe est toujours en vigueur, M. Bán voit mal comment la pleine égalité des sexes est garantie au Maroc. De même, ce qui est dit dans les paragraphes 19 et 21 du rapport appelle des éclaircissements : que recouvrent exactement les termes utilisés ? Et en quoi les principes affirmés sont-ils compatibles avec celui de l'égalité des sexes ?

 

36.     Enfin, M. Bán se déclare déçu de ce que, malgré une amélioration sensible de la situation des droits de l'homme au Maroc, les autorités de ce pays n'envisagent pas d'adhérer au Premier Protocole facultatif.

 

37.     Mme EVATT note que le rapport (CCPR/C/76/Add.3) fait apparaître la volonté des autorités marocaines de lever certaines restrictions à la jouissance des droits de l'homme consacrés par le Pacte. Il convient de saluer l'adoption de plusieurs mesures législatives, en particulier celles qui concernent la mise en place de recours administratifs et la création de tribunaux administratifs. Il serait utile de savoir toutefois, si ces mécanismes sont pleinement opérationnels, si la population a accès, dans la pratique, à ces tribunaux et si elle peut bénéficier d'une assistance judiciaire dans le cadre de ce type de juridiction.

 

38.     En ce qui concerne le Pacte, la place qu'il occupe par rapport à la législation nationale n'est pas claire, et la Constitution ne renferme apparemment pas de dispositions spécifiques prévoyant la primauté de cet instrument sur les lois marocaines. Mme Evatt souhaiterait de plus amples informations à ce sujet.

 

39.     En ce qui concerne les articles 3, 23 et 26 du Pacte, le rapport (CCPR/C/76/Add.3) laisse entendre que les autorités marocaines mènent une politique qui s'appuie sur les aspects de l'Islam qui sont favorables à l'égalité des sexes. Toutefois, les explications fournies par la délégation marocaine sur le Code du statut personnel laissent subsister certains doutes sur la façon dont est réalisée cette égalité au Maroc. D'après les informations dont elle dispose, Mme Evatt note qu'il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation des femmes dans ce pays : 68 % d'entre elles sont analphabètes, les filles sont trois fois moins nombreuses que les garçons à être scolarisées, le salaire minimum des femmes dans l'agriculture correspond à 80 % de celui des hommes, ce qui est d'ailleurs contraire au Code du travail marocain. Certes, des femmes sont aujourd'hui membres du Parlement, mais il n'y en a que deux, et, d'une façon générale, les femmes sont peu nombreuses à occuper des postes à responsabilités, même si la situation à cet égard s'améliore, en particulier dans la magistrature.

 

40.     Mme Evatt constate que la Constitution ne garantit l'égalité des sexes qu'en ce qui concerne les droits politiques, et non les droits civils. En particulier, le Code commercial prévoit que, pour entreprendre une activité salariée, la femme doit avoir l'accord de son mari. Au pénal, un mari qui tue sa femme bénéficie a priori de circonstances atténuantes, ce qui n'est pas le cas lorsqu'une femme tue son mari. En outre, une femme ne peut obtenir un passeport que si son mari ne s'y oppose pas. Si le mari refuse de donner son accord, il incombe aux tribunaux de statuer sur la question. Tous ces exemples montrent que l'exercice des droits garantis par le Pacte se heurte à des obstacles. Mme Evatt a toutefois pris note d'une réforme des dispositions relatives au mariage et à la famille, et aimerait en savoir davantage à ce sujet; en particulier, les nouvelles dispositions traitent-elles de la question des violences faites aux femmes ? Malgré la volonté de réforme des autorités marocaines, une série de dispositions incompatibles avec le principe de l'égalité des sexes n'ont pas été abolies : plus précisément, en cas de divorce, la mère n'a la garde de ses enfants que si son mari vient à décéder, l'épouse est soumise au devoir d'obéissance, la polygamie est encore autorisée et le mari a le droit de répudier sa femme.

 

41.     Mme Evatt relève que le Maroc a adhéré l'an dernier à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Cette mesure doit être saluée, d'autant plus que le Maroc est l'un des rares pays islamiques qui soient parties à cet instrument. Mme Evatt déplore toutefois les réserves très précises dont le Maroc a assorti son adhésion, notamment en ce qui concerne le droit, pour la femme, de choisir sa résidence et son domicile ou celui de transmettre sa nationalité à ses enfants, ainsi que l'égalité de l'homme et de la femme en ce qui concerne les droits et responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution, au motif que ce genre d'égalité serait contraire à la charia. Le paragraphe 91 du rapport (CCPR/C/76/Add.3) énonce une série d'autres points sur lesquels le Maroc a aussi émis des réserves lors de son adhésion à la Convention. Mme Evatt comprend mal comment toutes ces réserves sont compatibles avec la politique des autorités marocaines visant à favoriser l'accès des femmes à l'éducation et à l'emploi, et à améliorer leur situation en général.

 

42.     En ce qui concerne le Pacte, le Maroc a pris des engagements précis en y adhérant, en particulier pour ce qui concerne l'égalité des femmes dans le mariage et après sa dissolution, l'égalité des sexes devant la loi et leur protection égale par la loi. Le Maroc n'a pas assorti ces engagements de réserves particulières, et il importe donc que les autorités de ce pays identifient clairement tous les domaines dans lesquels, encore aujourd'hui, la loi s'applique différemment aux hommes et aux femmes, afin de supprimer les aspects discriminatoires qui subsistent et d'assurer le plein respect des dispositions du Pacte.

 

43.     M. AGUILAR URBINA souscrit pleinement aux remarques et questions de Mme Evatt et de M. Bán quant au statut de la femme au Maroc. Par ailleurs, si le rapport (CCPR/C/76/Add.3) fait apparaître des progrès notables dans le domaine des droits de l'homme depuis la présentation du deuxième rapport périodique (CCPR/C/42/Add.10), plusieurs questions continuent de se poser, notamment quant à l'interprétation donnée par les autorités marocaines de l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la question du Sahara occidental.

 

44.     Mme HIGGINS relève, elle aussi, les progrès réalisés depuis la présentation du dernier rapport périodique (CCPR/C/42/Add.10). Un certain nombre de questions appellent toutefois encore de plus amples informations, notamment la situation en ce qui concerne la répudiation des épouses par leur mari et l'extension des droits des enfants.

 

45.     En ce qui concerne les réponses données par la délégation marocaine à la question posée dans l'alinéa f), Mme Higgins croit comprendre qu'un résumé du dialogue qui avait eu lieu à l'occasion de l'examen du deuxième rapport périodique (CCPR/C/42/Add.10) a été publié au Maroc. Elle salue cette initiative et demande si le Comité pourrait recevoir une copie dudit résumé. En outre, la délégation marocaine peut-elle donner aux membres du Comité l'assurance que les observations finales qu'ils formuleront à propos du troisième rapport périodique (CCPR/C/76/Add.3) seront publiées au Maroc ?

 

46.     Au sujet de la question du Sahara occidental, Mme Higgins revient sur l'avis rendu à ce sujet par la Cour internationale de Justice, dont la teneur diffère, à son sens, de ce qu'en a dit la délégation marocaine. La Cour internationale de Justice a déclaré que le concept de "terra nullius" ne s'appliquait pas au territoire en question; par ailleurs, rien ne permet, selon la Cour, d'établir l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental et le Royaume du Maroc. Enfin, le droit d'autodétermination s'applique au Sahara occidental, et la population devrait pouvoir exprimer librement sa volonté. Force est de constater, hélas, que cet avis de la Cour a été suivi de l'occupation militaire du Sahara occidental par le Maroc. Depuis plusieurs années, l'Organisation des Nations Unies déploie des efforts pour favoriser la réalisation du droit d'autodétermination de la population sahraouie. Cela étant dit, Mme Higgins est consciente des difficultés auxquelles donne lieu la question du vote qui devrait intervenir au sujet de ce territoire. En particulier, il conviendra de déterminer si les ressortissants marocains qui se sont établis au Sahara occidental après la date à laquelle la Cour internationale de Justice a rendu son avis pourront participer au scrutin. D'une façon générale, Mme Higgins souhaiterait obtenir de plus amples informations sur la question concernant ce vote et la position des autorités marocaines à ce sujet. En particulier, de quelle façon ces autorités entendent-elles faire en sorte que la population autochtone puisse librement décider de son avenir ?

 

47.     Enfin, Mme Higgins s'associe aux préoccupations de Mme Evatt concernant les aspects discriminatoires qui subsistent encore dans la législation marocaine et pense, elle aussi, que le Maroc devrait réexaminer de façon systématique l'ensemble des dispositions législatives à la lumière de celles du Pacte afin de mettre fin aux inégalités.

 

48.     M. BRUNI CELLI salue tout d'abord l'évolution positive de la situation des droits de l'homme, et en particulier l'adhésion du Maroc à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Un autre aspect positif est l'adoption, en 1992, d'une constitution révisée. En outre, M. Bruni Celli se réjouit de ce que, depuis quelques années, plusieurs personnes qui étaient portées disparues ont été retrouvées, en particulier la femme et les enfants du général Oufkir, qui ont recouvré la liberté en 1991 après 19 ans de détention au secret. Le monde entier s'était ému de la situation de ces derniers et avait été choqué par le fait qu'une peine à laquelle avait été condamné un individu était purgée par sa femme et ses enfants. Heureusement, cette situation a pris fin et il faut s'en féliciter.

 

49.     Par ailleurs, la délégation marocaine a dit que lorsque son pays adhérait à un instrument international, celui-ci était intégré à la loi interne. Cette volonté s'est-elle traduite dans les faits ? En particulier, des articles du Pacte ont-il été invoqués devant les tribunaux ? M. Bruni Celli souhaiterait des précisions sur la situation dans la pratique à cet égard.

 

50.     En ce qui concerne la question du Sahara occidental, la guerre qui oppose depuis 1975 le Front Polisario et les autorités marocaines a, comme n'importe quel conflit armé, considérablement entravé la jouissance des droits de l'homme dans cette région. Amnesty International a d'ailleurs fourni une longue liste de dirigeants du Front Polisario qui seraient portés disparus ou auraient été arrêtés. Selon cette organisation, un millier de personnes seraient dans ce cas. Or M. Bruni Celli constate que le rapport du Maroc ne fournit aucune information sur ce point. La délégation marocaine a déclaré que la question du Sahara occidental serait réglée par la voie d'un référendum. Dans ce cas, qui aura le droit d'y prendre part ? Est-il possible, au Maroc, de mener librement campagne en faveur de l'indépendance du Sahara occidental, ou cela constitue-t-il un délit ? Selon Amnesty International, des militants oeuvrant en faveur de l'indépendance de ce territoire auraient subi des mesures de répression.

 

51.     On peut lire dans le paragraphe 16 du rapport actuel (CCPR/C/76/Add.3) que certains passages du deuxième rapport périodique du Maroc ont été publiés dans la presse nationale. M. Bruni Celli aimerait savoir si des ONG ont été consultées pour l'élaboration des rapports et, plus généralement, de quelle façon ils sont établis. Le public marocain sait-il que le troisième rapport périodique est aujourd'hui présenté devant le Comité ? Ce document a-t-il bénéficié d'une publicité ? Enfin, des ONG ont-elles participé à son élaboration, et le Front Polisario ainsi que les mouvements d'opposition marocains ont-ils eu connaissance de son contenu et du fait qu'il est actuellement soumis à l'examen du Comité ? M. Bruni Celli serait reconnaissant à la délégation marocaine de bien vouloir apporter des réponses à toutes ces questions.

 

52.     M. PRADO VALLEJO remercie le Gouvernement marocain de son rapport (CCPR/C/76/Add.3), qui permet au Comité de mieux comprendre la situation des droits de l'homme dans le pays et d'évaluer les mesures prises pour améliorer la mise en oeuvre des dispositions du Pacte. Il note néanmoins que le rapport ne fait pratiquement pas état des difficultés entravant encore l'application du Pacte et, à cet égard, il souhaite être éclairé sur plusieurs points.

 

53.     M. Prado Vallejo demande en premier lieu si le Pacte fait effectivement partie de la législation interne marocaine et, dans l'affirmative, si ses dispositions peuvent être invoquées devant les tribunaux marocains. Il demande également des précisions sur la position du Maroc à l'égard de la question du Sahara occidental et sur le référendum qui doit avoir lieu prochainement pour l'autodétermination de la population sahraouie; en effet, cette question revêt une importance particulière au regard de l'article premier du Pacte. A propos de l'égalité des sexes, M. Prado Vallejo constate qu'au Maroc une femme étrangère mariée à un Marocain peut acquérir la nationalité marocaine après deux ans de mariage, alors qu'un étranger marié à une Marocaine ne peut obtenir la nationalité qu'après cinq ans. Il s'interroge sur la raison pour laquelle des critères différents sont appliqués dans des situations apparemment analogues. En outre, il demande pour quelle raison la femme mariée doit nécessairement obtenir l'autorisation de son mari pour obtenir un passeport, et de quel recours la femme dispose en cas de refus du mari; que signifie précisément, dans le contexte de l'égalité des droits des hommes et des femmes, le "souci de garantir l'intérêt général" mentionné dans le paragraphe 19 du rapport et s'il y a discrimination à l'égard de la femme en matière de droit à l'héritage et dans les domaines du salaire, de l'emploi et de la profession. De plus, il serait utile de savoir pourquoi l'autorité parentale est accordée automatiquement au père et non à la mère.

 

54.     Se référant au paragraphe 31 de la version espagnole du rapport, M. Prado Vallejo demande des précisions sur ce que les autorités marocaines entendent par crimes graves pouvant entraîner la peine de mort. Enfin, il semble que les autorités marocaines n'aient pris aucune mesure pour se renseigner sur le sort des personnes disparues, même lorsque les membres des familles ont tenté de faire procéder à des recherches, et M. Prado Vallejo se demande à cet égard si le Gouvernement marocain s'acquitte des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte pour lutter contre les violations des droits de l'homme que constituent les disparitions de personnes.

 

55.     M. WENNERGREN remercie la délégation marocaine de la présentation qu'elle a faite du troisième rapport périodique du Maroc, et se félicite des mesures prises depuis l'examen du deuxième rapport pour assurer une meilleure mise en oeuvre du Pacte dans le pays, en particulier de l'adoption de la Constitution révisée de 1992. A propos précisément de cette Constitution, il souhaiterait obtenir des éclaircissements sur la séparation effective, dans le système marocain, entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. En effet, selon la législation marocaine, le Roi nomme le gouvernement et, conformément à l'article 66 de la Constitution, il peut "demander à la Chambre des représentants qu'il soit procédé à une nouvelle lecture de tout projet ou proposition de loi", ce qui signifie que le pouvoir exécutif exerce une influence sur le pouvoir législatif. En outre, si l'article 80 de la Constitution stipule bien que l'autorité judiciaire "est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif", rien n'indique qu'elle soit indépendante par rapport au Roi lui-même. M. Wennergren souhaiterait être éclairé sur ce système apparemment particulier de séparation des pouvoirs.

 

56.     La délégation marocaine a déclaré qu'il n'y avait pas au Maroc de véritables difficultés pour la mise en oeuvre du Pacte, ce dont il convient de se féliciter. Il reste toutefois qu'Amnesty International a signalé qu'il y avait au Maroc plus de 450 prisonniers politiques et prisonniers d'opinion, ce qui tendrait à prouver qu'il existe au moins dans le domaine de l'opposition politique un problème qui est loin d'être négligeable. La délégation marocaine pourra peut-être exposer les mesures prises pour surmonter cette difficulté et veiller à ce que la liberté d'expression soit pleinement garantie dans le pays.

 

57.     M. POCAR se joint aux autres membres du Comité pour souhaiter la bienvenue à la délégation marocaine et constate, lui aussi, avec satisfaction que des progrès certains ont été accomplis au Maroc dans divers domaines touchant le respect des droits de l'homme.

 

58.     M. Pocar souhaite obtenir davantage de renseignements sur les nouvelles conditions, apparemment plus strictes, fixées dans la législation marocaine au sujet de la polygamie et de la répudiation des épouses. Il constate de façon générale que la Constitution révisée ne garantit pas clairement l'égalité des hommes et des femmes, sauf pour ce qui est des droits politiques (art. 8), et il relève en particulier qu'aucune disposition de la Constitution ne garantit l'égalité des droits civils des hommes et des femmes. Par ailleurs, si le Maroc a ratifié récemment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, il reste que le gouvernement a émis au sujet de cette Convention toute une série de réserves fondées sur le statut de la femme en droit marocain, ce qui appelle des éclaircissements, même si l'application de la Convention en question ne relève pas directement de la responsabilité du Comité lui-même. A ce propos, M. Pocar s'interroge sur la façon dont les autorités marocaines pourront mettre en oeuvre simultanément les dispositions de deux instruments internationaux alors que le gouvernement aura émis des réserves à l'égard de l'un d'entre eux et non pas de l'autre.

 

59.     Le PRESIDENT invite la délégation marocaine à répondre aux questions supplémentaires posées par les membres du Comité à propos de la section I de la Liste des points à traiter à l'occasion de l'examen du troisième rapport périodique du Maroc (M/CCPR/LST/52/MAR/3).

 

60.     M. MAJDI (Maroc) rappelle, pour répondre à la question de M. Wennergren concernant les prisonniers politiques et prisonniers d'opinion, que le Roi du Maroc a amnistié 424 d'entre ces personnes en juillet 1994 et que le Ministre chargé des droits de l'homme a déclaré que la mesure d'amnistie restait encore applicable à d'autres. A propos des personnes disparues, le même Ministre, donnant suite aux allégations émanant d'organisations non gouvernementales, a déclaré au Parlement le 15 juin 1994 que les enquêtes effectuées par le CICR et l'organisation locale avaient permis de déterminer que 40 personnes identifiées officiellement étaient décédées sur le terrain des événements qui s'étaient produits, que deux personnes étaient décédées de mort naturelle, que 53 autres se trouvaient sous le contrôle de l'armée à Agadir et que deux étaient totalement libres. De plus, en 1991 déjà, 280 détenus avaient recouvré la liberté et avaient bénéficié de mesures d'insertion leur permettant de reprendre une vie normale.

 

61.     Pour ce qui est de la question du Sahara occidental, M. Majdi rappelle qu'un accord a été conclu avec l'Espagne, et il indique que le référendum sera organisé par l'intermédiaire de l'ONU, la question posée aux votants étant de savoir s'ils sont pour ou contre l'indépendance du Sahara occidental. A l'heure actuelle, une commission d'identification a entrepris de relever l'identité des Sahraouis, qui seront les seuls à pouvoir se prononcer lors du référendum, lequel sera suivi de près par des observateurs internationaux.

 

62.     M. LIDIDI (Maroc) précise quelle est la place du Pacte au regard du droit interne marocain et quelle est la position qu'adoptent les tribunaux marocains sur la question de savoir si une convention internationale doit avoir la primauté sur la loi interne lorsque les dispositions de cette dernière ne sont pas conformes aux dispositions de ladite Convention. On trouve mention, dans le deuxième rapport périodique du Maroc, d'une décision judiciaire allant dans le sens de la primauté des conventions internationales. D'ailleurs, plusieurs lois marocaines énoncent clairement ce principe : la loi sur la nationalité, le code sur l'extradition des criminels et le code des avocats. A cela s'ajoute le principe de droit international "pacta sunt servanda" respecté par le Maroc, lequel a adhéré à la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui affirme que la convention internationale doit prévaloir sur la loi interne. Du reste, si ce n'était pas le cas, quelle serait l'utilité des traités ?

 

63.     Se référant à la pratique, M. Lididi signale que, dans une affaire judiciaire impliquant une personne qui n'avait pas honoré une dette contractuelle, le tribunal saisi a affirmé que la convention internationale l'emportait sur la loi interne et que les mesures de contrainte physique que l'on voulait imposer au plaignant n'étaient pas justes. Enfin, cette thèse est soutenue dans de nombreux ouvrages de commentaires sur la question.

 

64.     Mme BELMIR (Maroc), avant de répondre aux questions sur l'égalité des sexes, se dit étonnée de la lecture qui a été faite de la Constitution marocaine sur ce point. Certains membres du Comité, en effet, ont souligné que les articles de la Constitution comportaient des formules différentes, telles que "l'homme et la femme jouissent de droits politiques égaux" (art. 8) et "La Constitution garantit à tous les citoyens..." (art. 9), pour en conclure que certains articles, mais pas tous, énonçaient des garanties applicables aux femmes. Or, il va de soi que les formules comme "tous les citoyens" s'entendent des hommes et des femmes. Par conséquent, la Constitution marocaine garantit l'égalité entre l'homme et la femme, mais en termes généraux.

 

65.     En revanche, la Constitution ne comporte pas tout l'arsenal des garanties, qui sont énoncées dans les lois et règlements expressément adoptés sur tel ou tel sujet. A cet égard, la législation marocaine ne diffère en rien des autres législations. Mais il est vrai qu'il existe des différences de traitement entre les femmes et les hommes, ne serait-ce qu'en raison des différences biologiques entre les deux sexes. C'est ainsi que la maternité assigne à la mère un rôle de gardienne de ses enfants. D'ailleurs, les Conventions de l'OIT prévoient que les femmes ne peuvent travailler à certaines heures ou en certains lieux. Parmi les autres différences faites entre l'homme et la femme, à l'avantage de cette dernière, on peut citer la pension alimentaire que doit payer le mari. Enfin, mérite d'être signalé le fait qu'en droit musulman, la femme a la totale jouissance de ses biens, et qu'elle conserve son nom.

 

66.     A propos du paragraphe 25 du troisième rapport périodique (CCPR/C/76/Add.3), ou l'on reconnaît l'existence d'une certaine discrimination en matière de statut personnel, Mme Belmir déclare qu'elle a fait partie du groupe de femmes qui ont été reçues par le Roi du Maroc afin de lui soumettre par écrit des propositions sur les modifications qu'il conviendrait d'apporter au Code du statut personnel. La procédure qui a été suivie ensuite est exposée dans le rapport. Il ne s'agit certes que d'une étape, mais elle est importante, car la société civile a été consultée dans ce processus. Par ailleurs, toutes les composantes de la société civile ont été conviées à participer aux préparatifs de la Conférence mondiale sur les femmes, prévue pour 1995 et à formuler leurs propositions à cet effet.

 

67.     Avant de présenter le contenu de la réforme du Code du statut personnel, Mme Belmir précise que celle-ci a pour objet de modifier certaines dispositions du Code qui sont applicables aux Marocains musulmans et que la loi marocaine distingue trois catégories de Marocains : les Marocains musulmans, les Marocains israélites et les autres Marocains. Il a été proposé de modifier certaines dispositions de ce code qui constituent une sorte de discrimination à l'égard des femmes. Premièrement, en ce qui concerne la célébration du mariage, le consentement de la femme doit être matérialisé par une signature au bas de l'acte. Deuxièmement, le mariage de la femme majeure peut être célébré sans recours à un tuteur. Troisièmement, en ce qui concerne l'autorité parentale, c'est la femme qui l'exercera en cas d'aliénation mentale ou de décès du mari. Quatrièmement, au sujet de la polygamie, la réforme indique que le droit d'information appartient aux épouses, l'ancienne et la future, et que le juge, après avoir examiné la situation, peut ne pas autoriser la polygamie s'il estime que celle-ci aboutirait à une injustice. Cinquièmement, en matière de répudiation, la nouvelle procédure exige la présence de l'épouse devant le juge pour qu'elle puisse défendre ses intérêts et répondre aux allégations du mari. C'est seulement après une tentative de conciliation devant le juge, qui sera consignée dans un procès-verbal, que le juge pourra autoriser la répudiation. Si celle-ci est abusive, la femme aura le droit de demander une indemnisation. S'il n'y a pas de répudiation et si l'épouse veut le divorce, elle pourra le demander pour l'une des causes prévues dans le Code du statut personnel musulman (Mandawana).

 

68.     L'article 6 du Code du commerce a un caractère discriminatoire puisqu'il exige que la femme ait l'autorisation de son mari pour exercer l'activité de commerçante. Il s'agit d'ailleurs d'une disposition empruntée à un code étranger, qui a été supprimée dans le projet actuel de code du commerce en faveur d'un régime qui donne à la femme la liberté d'exercer un commerce. Ce projet de loi attend d'être examiné par le Parlement, mais, dans la pratique, beaucoup de femmes sont négociantes sans que le mari fasse jouer le droit que lui donne l'article 6 actuel, et elles sont de plus en plus nombreuses, de même que les femmes chefs d'entreprise.

 

69.     Enfin, Mme Belmir signale une mesure discriminatoire que le Roi lui-même a dénoncée, à savoir la restriction apportée à la liberté de circuler de la femme par l'obligation qui lui est faite d'avoir l'autorisation de son mari pour obtenir un passeport. Cette obligation n'était même pas inscrite dans une loi, mais dans une circulaire administrative, qui a été modifiée : la femme peut maintenant obtenir un passeport sauf si le mari s'y oppose, auquel cas elle peut recourir au tribunal de première instance et demander un jugement en référé pour qu'on lui délivre le document voulu. Mme Belmir sait personnellement que les décisions ainsi rendues sont souvent favorables aux femmes.

 

70.     M. LIDIDI (Maroc) poursuit en décrivant les mécanismes auxquels peut recourir une personne dont les droits ont été lésés, notamment les droits de l'homme. A côté des procédures administratives, il existe les procédures judiciaires qui sont le mécanisme naturel. Une question a été posée au sujet des tribunaux administratifs, de leur nombre et des conditions d'accès pour le justiciable. Le Maroc est divisé en sept régions judiciaires comptant chacune un tribunal administratif. Ceux-ci ont commencé à siéger et la première affaire soumise à un tribunal de ce genre était une plainte dirigée contre le Ministre de la justice, qui avait licencié un fonctionnaire de son ministère. Le tribunal a annulé la décision du ministre.

 

71.     Le but visé par la création des tribunaux administratifs était de renforcer l'état de droit, de rapprocher le droit et la justice des citoyens et d'apporter ainsi des garanties importantes aux justiciables. Le législateur voulait notamment offrir les garanties suivantes aux citoyens : premièrement, gratuité de la justice dans le domaine des recours contre les décisions administratives, deuxièmement, possibilité de fournir une aide ou une assistance juridique au plaignant, troisièmement, permettre au plaignant de disposer des services d'un avocat.

 

72.     Au sujet du travail des enfants, on rappellera que la loi marocaine fixe à 12 ans l'âge minimum du travail. Cependant, un projet de loi visant à relever cet âge minimum est en préparation. Le Conseil consultatif des droits de l'homme est en train de retoucher ce projet pour le rendre compatible avec les conventions internationales.

 

73.     Il a été demandé si les rapports présentés par le Maroc au Comité étaient portés à l'attention du public. Des extraits du dernier rapport ont été publiés dans les organes de presse de l'opposition, et le troisième rapport, examiné actuellement, va être publié dans toute la presse marocaine, y compris celle de l'opposition. Il a déjà fait l'objet de nombreux commentaires.

 

74.     L'indépendance de la justice étant un élément essentiel de son efficacité, elle a été renforcée par des garanties constitutionnelles supplémentaires. Les mesures d'ordre disciplinaire ainsi que les mutations et promotions des juges, sont du ressort spécifique d'un organe constitué par le Président du Conseil supérieur de la magistrature, le Procureur de l'Etat et le Président de la première Chambre, auxquels s'ajoutent six juges élus par les tribunaux. Par conséquent, la carrière des juges est entre les mains des magistrats eux-mêmes, qui bénéficient ainsi de garanties contre toute pression ou influence extérieure sur le déroulement de leur carrière.

 

75.     Mme BELMIR (Maroc) apporte un complément de précision sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et la notion de séparation des pouvoirs telle qu'elle est prévue dans la constitution marocaine. Les constitutions successives du Maroc (1962, 1970, 1972 et 1992) ont été élaborées compte tenu d'un certain nombre de principes que l'on trouve aussi dans plusieurs constitutions occidentales. La répartition des pouvoirs qui est définie dans la constitution marocaine emprunte certaines notions à ces constitutions occidentales dont les dispositions varient selon qu'il s'agit d'un régime présidentiel ou d'un régime parlementaire. Il n'y a rien d'inhabituel dans la constitution marocaine en ce qui concerne les pouvoirs du chef de l'Etat, car ses dispositions sont le reflet de celles que l'on trouve dans les constitutions occidentales au sujet du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.

 

76.     M. ABOUTAHIR (Maroc) répond à la question posée sur la classification des emplois et la recommandation adressée par le BIT aux autorités marocaines afin que l'égalité de rémunération pour un emploi égal devienne une réalité. Le législateur marocain n'a établi aucune différence dans la rémunération du travail, conformément à la Constitution, au dahir de 1975 relatif à l'égalité entre les sexes, au dahir de 1973 sur les conditions d'embauche des ouvriers agricoles et au dahir portant ratification de la Convention No 100 de l'OIT sur l'égalité entre les sexes en matière de salaire. L'OIT a constaté récemment que le Maroc n'avait pas de classification des emplois, condition nécessaire pour appliquer le principe d'une rémunération égale pour un travail égal, et elle a donc fait une recommandation aux autorités marocaines. Le ministre de l'emploi et le ministre chargé des affaires administratives étudient sérieusement cette question, qui est complexe, et dont l'examen nécessite beaucoup de temps et une assistance technique de la part du BIT. Le Maroc est donc en contact permanent avec le BIT pour une coopération visant à établir le classification voulue des emplois et à améliorer la protection des hommes et des femmes dans le domaine de l'emploi. Le projet de code du travail mentionné dans le rapport (par. 24) envisage de renforcer l'égalité entre les travailleurs en interdisant explicitement toute discrimination dans le domaine du travail fondée sur le sexe ou toute autre considération.

 

La séance est levée à 12 h 55.

 

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