Distr.

GENERALE

CAT/C/SR.202
21 novembre 1994


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la premiere partie (publique) de la 202ème seance : Libyan Arab Jamahiriya. 21/11/94.
CAT/C/SR.202. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CAT

COMITE CONTRE LA TORTURE

Treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIERE PARTIE (PUBLIQUE)* DE LA 202ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le mardi 15 novembre 1994, à 15 heures


Président: M. DIPANDA MOUELLE

SOMMAIRE

Examen des rapports présentés par les Etats parties en application de l'article 19 de la Convention
(suite)

- Deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (suite)



* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.202/Add.1 et le compte rendu analytique de la troisième partie (publique) de la séance, sous la cote CATIC/SR.202/Add.2.


La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CAT/C/25/Add.3) (suite)

1. Sur l'invitation du Président, M. Hafyana, M. Mahdi et Mme Hajjaji (Jamahiriya arabe libyenne) prennent place à la table du Comité.

2. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne), président de la Cour d'appel de Tripoli, dit qu'il va répondre de façon groupée aux questions posées à la 201ème séance sauf pour un certain nombre d'entre elles qui sont d'une autre nature et qu'il faut traiter à part.

3. Il a été demandé s'il pouvait y avoir conflit entre la Convention contre la torture et la législation nationale libyenne, et laquelle des deux l'emportait en cas de conflit. Un tel conflit est impossible car la Convention a force de loi en Jamahiriya arabe libyenne. La Convention impose aux Etats d'ériger en infraction les actes de torture, mais elle ne fixe pas les sanctions auxquelles de tels actes exposent leurs auteurs. Il appartient donc aux Etats de rendre ces infractions passibles des peines appropriées, ou de modifier leur législation nationale si ses dispositions sont insuffisantes en ce qui concerne la sanction des coupables ou l'indemnisation des victimes.

4. La torture est considérée comme une infraction dans la législation libyenne. Le texte important à cet égard est l'article 435 du Code pénal complété par l'article 431. Ces deux textes répriment l'abus de pouvoir commis par tout agent de l'Etat contre toute personne, et sanctionnent non seulement la torture, qui peut être physique ou mentale, mais aussi les traitements dégradants ou déshonorants. L'article 17 de la loi relative à la promotion des libertés et l'article 17 du projet de constitution interdisent aussi la torture. Celle-ci n'est pas définie dans la législation libyenne : elle relève de la pratique judiciaire, et découle donc de la jurisprudence.

5. L'extradition, qu'elle concerne un Libyen ou un étranger, est une question diplomatique et politique très complexe relevant des plus hautes instances de l'Etat. Elle est régie par les articles 8 et 9 du Code pénal (CAT/C/25/Add.3, par. 49 et 50) que les forces de police sont tenues de connaître et d'appliquer. Un ressortissant libyen ne peut pas être extradé sauf quand un traité conclu par la Libye prévoit une telle extradition. La Convention contre la torture peut toutefois constituer la base juridique de l'extradition, ainsi que le prévoit son article 8. M. Hafyana enverra par écrit au Comité un complément d'informations sur ce point. Il tient à dire qu'aucun combattant de la liberté palestinien résidant en Jamahiriya arabe libyenne n'a jamais fait l'objet d'une demande d'extradition.

6. Des questions ont été posées concernant la durée maximale de la garde à vue et les droits du suspect gardé à vue. Ces questions ont été longuement traitées dans le rapport complémentaire de la Jamahiriya arabe libyenne (CAT/C/9/Add.12/Rev.1, par. 83 à 85), dans les réponses que M. Hafyana a lui-même données lors de l'examen de ce rapport par le Comité à sa neuvième session, en novembre 1992 (CAT/C/SR.135, par. 12 et 13) et elles le sont à nouveau dans le deuxième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CAT/C/25/Add.3, par. 56 à 65). Les textes pertinents à cet égard sont les articles 24, 26, 30, 31, 32 et 33 du Code de procédure pénale, l'article 14 de la loi relative à la promotion des libertés et l'article 22 du projet de constitution qui est sur le point d'être adopté. Il ressort de ces textes que nul ne peut être arrêté sauf à être soupçonné d'actes délictueux graves (art. 24 du Code de procédure pénale), que l'officier de police judiciaire doit entendre sans délai le suspect et, si ce dernier est incapable de se disculper, déférer l'affaire au parquet dans les 24 heures (art. 26 du Code de procédure pénale), que nul ne peut être arrêté ou emprisonné si ce n'est sur ordre de l'autorité judiciaire compétente (art. 30 du Code de procédure pénale et art. 22 du projet de constitution), que seules les prisons conçues à cet effet servent de lieux de détention et que le mandat d'arrêt doit être signé par l'autorité compétente (art. 31 du Code de procédure pénale); le suspect est placé en détention provisoire pour une durée limitée au strict minimum, à concurrence de 24 heures au maximum (art. 14 de la loi relative à la promotion des libertés). Les proches doivent être informés de l'arrestation et du lieu de détention dans les 24 heures, sauf dans les cas où le secret est jugé nécessaire. Le suspect en détention provisoire a le droit de se faire assister par un avocat. S'il n'en a pas choisi un, l'Etat en désigne un d'office.
Il a également le droit de voir un médecin.

7. Le droit, pour la victime d'un acte de torture, d'obtenir réparation et indemnisation, qui est énoncé à l'article 14 de la Convention, est garanti, dans la législation nationale libyenne, par les articles 166 et 167 du Code civil qui visent toute personne coupable d'avoir causé un préjudice, qu'il s'agisse d'un agent de la fonction publique ou d'un particulier. Si la demande de la victime est jugée fondée, c'est l'Etat qui l'indemnisera quand l'auteur du préjudice est un agent de la fonction publique.

8. Pour assurer la réadaptation des victimes de la torture, il existe en Jamahiriya arabe libyenne un institut de niveau international, l'Institut de rééducation des handicapés, où toute victime d'actes de torture imputables à un agent de la fonction publique souffrant d'un handicap ou d'invalidité, partielle ou totale, a le droit de suivre un traitement médical de rééducation. Elle peut obtenir à cet effet une décision du juge que l'Etat qui est alors responsable sera tenu d'exécuter.

9. M. Hafyana rappelle que dès son rapport complémentaire (CAT/C/9/Add.12/Rev.1), la Jamahiriya arabe libyenne a tenu à présenter des informations concernant des cas de torture (Ibid., par. 62). Elle ne cherche donc pas à dissimuler les faits. Mais elle fait à l'occasion l'objet de jugements hâtifs dont on peut mettre la valeur en doute. Des organisations sérieuses comme Amnesty International publient des rapports le plus souvent fondés sur des enquêtes qui sont objectifs. Certaines autres organisations en revanche diffusent des rapports émanant d'Etats, comme ceux du Département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique, sur la situation des droits de l'homme dans les différents pays du monde et l'un de ceux-ci, datant de février 1994, qui concerne la Jamahiriya arabe libyenne, n'est qu'un tissu de contre-vérités et d'erreurs. Il y est question notamment de l'absence de liberté dont souffrirait la femme libyenne, des restrictions, vexations et harcèlements dont elle ferait l'objet. Il lui serait interdit de sortir sans être accompagnée par un homme, de voyager, d'avoir un passeport. Mme El Hajjaji, membre de la délégation libyenne présente devant le Comité, est la preuve vivante de la fausseté de ces allégations. Le même rapport évoque aussi l'inégalité qui règnerait entre les hommes et les femmes, alors que la femme libyenne peut, à l'égard d'un homme, être ministre, député, ambassadeur, juge, médecin, professeur d'université, chercheur, membre de la police, et qu'elle peut même piloter un avion. Parmi les pratiques dont les femmes seraient victimes en Jamahiriya arabe libyenne, le même rapport mentionne l'excision, et c'est encore une allégation mensongère. La délégation libyenne a été surprise de s'entendre poser des questions sur de telles allégations, mais elle a néanmoins tenu à y répondre.

10. Les personnes emprisonnées dont il est question dans le même rapport du Département d'Etat des Etats-Unis relèvent de deux catégories. Dans la première figurent les militaires qui ont organisé en 1993 un coup d'Etat en Jamahiriya arabe libyenne. Leur procès a commencé il y a quelques jours. Comme il s'agit de militaires, ils sont jugés par les tribunaux militaires - lesquels ne sont pas des tribunaux d'exception - conformément au Code de procédure pénale militaire.

11. Dans la seconde catégorie de personnes emprisonnées figurent des membres de groupes islamistes. M. Hafyana, par déontologie personnelle et par conscience professionnelle, ne veut emprisonner personne. Mais ces groupes sont constitués d'individus qui nient la religion, qui considèrent que toutes les sociétés arabes musulmanes de Jamahiriya arabe libyenne, d'Egypte, d'Algérie, de Tunisie, sont des sociétés de mécréants, qu'il est licite de s'emparer de leurs biens, de les priver de la vie, d'attenter à leur vertu; le viol même devient licite puisqu'il est commis sur des femmes mécréantes. Toujours selon ces islamistes, les contrats existants n'étaient plus ni la paternité, ni la maternité, ni le droit à l'héritage. Pour ces groupes, la violence armée est le moyen d'imposer leurs convictions à la société à laquelle ils appartiennent. Cette situation n'est pas particulière à la Jamahiriya arabe libyenne : elle se retrouve dans de nombreux pays et crée un grave problème d'équilibre entre l'intérêt de l'Etat et celui de groupes qui se situent désormais à l'extérieur de l'Etat. Le rapport cité mentionne les mesures préventives prises à l'encontre des membres des groupes visés. Il est exact que les intéressés sont toujours en détention, mais il existe, à l'intérieur de la Jamahiriya arabe libyenne, un mouvement favorable à un règlement définitif de la question, lequel passe par l'enquête, le procès et le jugement des personnes en cause.

12. Répondant à une question posée par de M. Burns sur le pouvoir discrétionnaire des juges, qui est évoqué à l'alinéa c) du paragraphe 9 du rapport, M. Hafyana dit que ce passage a peut-être été mal compris. Comme dans tous les pays du monde, le juge jouit en Libye d'une marge d'appréciation pour la fixation des peines à l'intérieur de la fourchette prévue par la loi. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire n'est soumis au contrôle des plus hautes autorités judiciaires qu'en cas d'abus. Quoi qu'il en soit, l'application des dispositions de la Convention contre la torture et de celles d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme n'est pas soumise au pouvoir discrétionnaire du juge comme peut le donner à penser la version française de ce passage du rapport.

13. Les délits économiques sont sanctionnés par une loi de 1972. Est passible de la peine de mort toute personne qui endommage ou détruit les installations ou dépôts de produits de consommation ou de produits alimentaires. Ce crime, qui n'a rien à voir avec le vol simple, est considéré comme une atteinte à un élément fondamental de la vie de la société libyenne.

14. Il existe une prison pour femmes ainsi qu'un centre de réadaptation pour les femmes. Les adolescents de moins de 18 ans ne sont pas incarcérés, mais détenus dans des centres de réadaptation pour jeunes, qui dépendent du Ministère des affaires sociales. Les renseignements demandés par le Comité sur le nombre de prisons et le nombre de détenus lui seront communiqués par écrit.

15. Si le deuxième rapport périodique soumis au Comité ne traite pas de l'application de l'article 10 de la Convention qui concerne l'enseignement et l'information relatifs à l'interdiction de la torture, c'est parce que le Gouvernement libyen s'est surtout attaché à rendre compte de la correspondance entre les articles de la Convention et les articles de la Constitution libyenne et du Code pénal, comme l'avaient demandé les membres du Comité en 1992. M. Hafyana assure le Comité que l'étude des instruments relatifs aux droits de l'homme, parmi lesquels la Convention contre la torture, est inscrite aux programmes des facultés de droit. Tous ceux qui accordent une grande importance aux droits de l'homme en Libye ont veillé à ce que ces instruments trouvent écho dans la loi relative à la promotion des libertés et dans le projet de constitution. M. Hafyana précise qu'il est lui-même intervenu auprès du Ministre de la justice pour recommander que les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme soient enseignés dans les écoles de police et de gendarmerie. Le nombre d'heures de cours sera précisé dans les réponses écrites aux questions du Comité.

16. Répondant à une question de Mme Iliopoulos-Strangas, M. Hafyana dit que la Convention contre la torture a force exécutoire à l'égard des trois pouvoirs de l'Etat, exécutif, législatif et judiciaire. Si un étranger est incarcéré, il est autorisé à avoir des contacts avec les représentants diplomatiques de son pays. Comme tous les autres traités internationaux, la Convention est applicable au même titre que la législation interne depuis sa publication au Journal officiel. En outre, l'Etat libyen adopte des textes de loi inspirés de la Convention pour assurer la mise en oeuvre de celle-ci sur son territoire. Le projet de constitution qui sera soumis aux congrès du peuple reflète l'esprit et la lettre de la Convention contre la torture. La question de M. Ben Ammar sur la déontologie de la police fera l'objet d'une réponse écrite. En ce qui concerne la question sur le viol posée par le rapporteur, M. Hafyana saurait gré à celui-ci de bien vouloir la préciser.

17. M. SORENSEN (Rapporteur) dit que, dans certains pays, le viol suivi de meurtre de la victime est pratiqué comme une forme de torture. Il note qu'en Libye, si un agent de l'Etat commet de tels actes dans l'exercice de ses fonctions, il pourrait être passible d'une peine de prison de trois à cinq ans pour torture; une personne privée coupable des mêmes actes serait passible d'une peine beaucoup plus sévère. Un agent de l'Etat ayant commis un viol suivi d'un homicide, et donc un acte de torture, est-il passible d'une peine maximale de cinq ans ou bien peut-il se voir infliger la peine prévue pour une personne privée ?

18. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) explique qu'un agent de l'Etat qui commettrait un viol puis tuerait la victime serait poursuivi du chef de crime avec violences et du crime d'homicide non intentionnel. La peine maximale pour un homicide consécutif à un viol serait à son avis de 20 ans d'emprisonnement. L'article 435 du Code pénal n'envisage que les cas de torture, à l'exclusion de ceux qui entraînent la mort. Par ailleurs, la famille d'une victime d'actes de torture a droit à réparation. Dans une affaire dont M. Hafyana a eu connaissance, le montant de l'indemnisation s'est établi à 600 000 dollars. Il sera donné des renseignements plus précis sur ces questions dans les réponses écrites.

19. M. SORENSEN (Rapporteur) demande que, dans ces réponses écrites, figurent aussi des renseignements sur la formation des médecins en Libye.

20. M. EL IBRASHI, revenant sur le sujet du viol ou d'un acte de torture entraînant la mort, dit que pour lui un tel acte est un acte de torture aggravé qui justifie donc une peine majorée. Il rappelle que, pratiquement toutes les législations pénales du monde distinguent quatre types d'homicide : l'homicide volontaire, l'homicide involontaire, l'homicide survenu de façon casuelle et l'homicide en tant que conséquence non voulue de violences volontaires. En cas de torture entraînant la mort, c'est la peine maximale correspondant à ce dernier type d'homicide qui doit s'appliquer.

21. M. BEN AMMAR note que M. Hafyana regrette que certaines organisations internationales reprennent à leur compte les accusations portées contre la Libye qui figurent dans des rapports sur la situation des droits de l'homme établis par des Etats, notamment les rapports du Département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique. M. Ben Ammar tient à faire savoir à la délégation libyenne que le Comité contre la torture a pour principe de ne pas fonder sa conviction et ses conclusions sur ces rapports-là.

22. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) apprécie le souci d'objectivité et d'impartialité du Comité contre la torture. Il rappelle que la Commission des droits de l'homme des Nations Unies est revenue sur certaines des observations qu'elle avait formulées sur la base de tels rapports grâce aux renseignements rétablissant la vérité que lui avait fournis le Gouvernement libyen.

23. Mme ILIOPOULOS-STRANGAS aimerait avoir des précisions sur le mode de désignation des juges en Libye.

24. M. HAFYANA (Jamahiriya arabe libyenne) dit que, dans son pays, le principe de la séparation des pouvoirs est respecté et que le pouvoir judiciaire est indépendant. Comme il est dit dans le projet de constitution et dans la loi relative à la promotion des libertés, les juges ne sont guidés dans leurs décisions que par la loi et leur conscience. Les juges et les membres du parquet sont nommés par décret du Comité populaire général, qui est en quelque sorte un conseil supérieur de la magistrature. Les membres du Comité qui voudraient plus de renseignements sur le statut des juges peuvent se référer au rapport présenté au Comité par la Jamahiriya arabe libyenne au mois de novembre 1992 (document CAT/C/9/Add.12/Rev.1).

25. Le PRESIDENT remercie la délégation libyenne de ses réponses et de sa coopération. Le Comité énoncera ses conclusions sur le rapport de la Jamahiriya arabe libyenne après en avoir délibéré en séance privée.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 30.

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