Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1108
9 août 1995


Original: FRANCAIS
Compte rendu analytique de la 1108ème seance : El Salvador. 09/08/95.
CERD/C/SR.1108. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-septième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1108ème SEANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,
le vendredi 4 août 1995, à 15 heures


Président : M. LECHUGA HEVIA


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention

Huitième rapport périodique d'El Salvador


La séance est ouverte à 15 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour) (suite)

- Huitième rapport périodique d'El Salvador (CERD/C/258/Add.1)

1. Sur l'invitation du Président, la délégation salvadorienne prend place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT dit que le Comité se réjouit d'accueillir la délégation salvadorienne qui renoue un dialogue interrompu depuis 1984.

3. M. MENDOZA (El Salvador) déplore en effet que les problèmes intérieurs auxquels El Salvador a été confronté au cours des douze dernières années aient empêché son pays de présenter les rapports demandés au titre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le Gouvernement salvadorien et le président Armando Calderón Sol attachent une grande importance au respect par El Salvador de ses engagements en matière de droits de l'homme. M. Mendoza signale à cet égard qu'El Salvador est désormais membre de la Commission des droits de l'homme. En cette période de renforcement de la paix et de consolidation de la démocratie, la Convention a d'autant plus d'importance qu'elle vise à assurer le respect de l'égalité de tous devant la loi et l'élimination de toute discrimination. M. Mendoza assure le Comité que le Gouvernement salvadorien fera tout son possible pour maintenir le dialogue avec le Comité.

4. M. GUERRERO (El Salvador) dit que le Gouvernement salvadorien reconnaît la qualité du travail que réalise le Comité pour tenter d'éliminer la discrimination raciale dans le monde et attache une grande valeur à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale ainsi qu'à tous les autres instruments internationaux auxquels il a adhéré. Comme l'a rappelé M. Mendoza, El Salvador a traversé pendant plus de 12 ans la période la plus difficile de son histoire en tant que nation indépendante et de ce fait n'a pu présenter ses rapports. La présence de la délégation salvadorienne devant le Comité témoigne de la volonté du pays de renouer un dialogue constructif avec le Comité et de s'acquitter de ses obligations au titre de la Convention.

5. La Constitution de 1983 qui régit la vie institutionnelle de la République consacre désormais le principe selon lequel les instruments internationaux, une fois ratifiés par l'Assemblée législative, acquièrent force de loi dans le droit interne. En effet, l'El Salvador d'aujourd'hui est un El Salvador nouveau. Les accords de paix de Chaputelpec, conclus en 1992, après un long processus de négociations, sont respectés malgré divers problèmes logistiques et financiers. Ces accords prévoient des mesures, programmes et réformes d'ordre constitutionnel, juridique et institutionnel qui devraient permettre de résoudre l'ensemble des problèmes économiques, sociaux et culturels à l'origine du conflit d'El Salvador. Le processus de paix est irréversible et vise au renforcement de l'état de droit et à la mise en oeuvre d'un développement durable.

6. Dans le cadre des réformes entreprises, la Constitution a été modifiée et une police nationale civile a été instituée. M. Guerrero rappelle à cet égard que la sécurité publique salvadorienne relève de la compétence des forces armées. La police nationale civile est bien perçue par la population salvadorienne qui constate une amélioration de la sécurité depuis sa création et accorde sa confiance aux autorités de police. Il convient également de noter le renforcement de la fonction de conseiller juridique pour la défense des droits de l'homme du peuple salvadorien (Procuraduría para la Defensa de los Derechos humanos) qui vise à protéger et à promouvoir les droits de l'homme en El Salvador. De profonds changements ont aussi été opérés dans le système d'administration de la justice, garant de la stabilité. Les membres de la Cour suprême sont élus par l'Assemblée législative à partir d'une liste de candidats dressée par le Conseil national de la magistrature. Le Tribunal suprême électoral a les attributions et les compétences d'un tribunal. Le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) exerce désormais ses activités dans le cadre de l'Assemblée législative. Tous ces changements reflètent le renouveau d'El Salvador. Des réformes juridiques et institutionnelles sont également en cours pour mettre en pratique les dispositions de la Constitution. Le Gouvernement salvadorien a la volonté politique d'instaurer une nouvelle société et de la doter des moyens de prévenir les conflits. A cette fin, il élabore aussi des programmes pour l'établissement d'une culture de paix et la promotion du dialogue et de la concertation.

7. La situation des droits de l'homme en El Salvador est plutôt encourageante. Le pays est reconnu à la fois au niveau régional et au niveau international. Il faut espérer que les engagements pris dans le cadre des accords de paix seront tous respectés. M. Guerrero rappelle que son pays a bénéficié de l'appui des Nations Unies au titre des opérations de maintien de la paix. Après sa reconnaissance par la Commission des droits de l'homme en janvier 1995, il a accueilli une mission du Centre pour les droits de l'homme chargée de lui apporter une assistance dans le domaine des droits de l'homme. La coopération internationale est particulièrement nécessaire pour renforcer les institutions récemment créées aux fins de protéger les droits de l'homme. Il est regrettable à cet égard que la coopération offerte à El Salvador soit si limitée. C'est pourquoi l'ancien président, Alfredo Cristiani, a déploré lors de son intervention devant l'Assemblée générale des Nations Unies qu'il soit plus facile d'obtenir une coopération à des fins belliqueuses que pacifiques.

8. Dans le cadre de l'application des accords de paix, le gouvernement a entrepris également des réformes fiscales (augmentation de l'impôt sur le revenu et hausse de la TVA) pour pouvoir faire face à ses engagements financiers. Par ailleurs, afin d'instaurer une réelle participation de tous les partis et de tous les secteurs de la société au gouvernement du pays, il a conclu un accord très important avec le principal parti de gauche qui s'est séparé du FMLN. Dans le même esprit, El Salvador est en train d'élaborer un plan social très ambitieux et une stratégie de développement : "l'alliance pour le développement durable" (alianzia para el desarrollo sostenible) qui vise à intégrer le pays dans le processus de développement régional et de mondialisation économique.

9. Dans l'optique de la promotion des droits de l'homme et en particulier du droit au travail, El Salvador a ratifié en 1994 14 conventions de l'OIT et notamment la Convention No 111 concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession. Il est également partie depuis 1958 à la Convention No 107 de l'OIT relative aux populations aborigènes ou tribales. El Salvador a toujours condamné les pays qui commettent des violations des droits de l'homme pour des motifs ethniques et a participé à l'application de sanctions contre ces pays, notamment l'Afrique du Sud. El Salvador a aussi récemment ratifié divers instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l'homme pour fournir à la population toutes les garanties de protection en matière de droits de l'homme. C'est ainsi qu'il a ratifié la Convention interaméricaine des droits de l'homme et a reconnu la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme instituée en vertu de cet instrument. Il a aussi ratifié le Protocole à cette Convention appelé "Protocole de San Salvador" adopté en 1988 pendant l'Assemblée générale de l'OEA. Par ailleurs, El Salvador a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ainsi que la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. Après tant d'événements douloureux, le gouvernement est soucieux de préserver la sécurité de ses citoyens; il est bien conscient que la tâche est difficile et qu'elle devra être poursuivie sans relâche afin que tous puissent jouir de leurs droits civils, politiques, sociaux et culturels, mais il a le sentiment d'être engagé dans la bonne voie.

10. S'agissant de la Convention contre la discrimination raciale, la situation est plus aisée, car le phénomène n'existe pas en El Salvador. De par la Constitution, les pouvoirs publics ont l'obligation de promouvoir le patrimoine culturel et artistique national. Il existe des programmes destinés à préserver, favoriser et diffuser la langue autochtone. En vertu de l'article 3 de la Constitution, tous sont égaux en droit en El Salvador, y compris les autochtones, au demeurant peu nombreux et vivant très dispersés en petits groupes dont on s'efforce de préserver les caractéristiques et que l'on essaie de faire connaître. On ne dispose d'aucune donnée démographique précise à leur sujet, mais les autorités sont résolues à leur prêter la plus grande attention, à préserver leurs coutumes, leurs usages et traditions comme un précieux patrimoine dont les générations à venir seront fières.

11. Pour conclure, M. Guerrero souligne que dans la période récente, son pays a été amené à rédiger de multiples rapports à l'intention de différents organismes internationaux, ce qui a posé beaucoup de problèmes aux services nationaux compétents. Le gouvernement espère que le dialogue franc et ouvert qui a été engagé se poursuivra et permettra à ces services d'améliorer la qualité des rapports présentés. M. Guerrero espère que le Centre pour les droits de l'homme leur fournira un soutien technique accru, de manière à aider son pays à s'acquitter de mieux en mieux des obligations de plus en plus nombreuses qui lui incombent en vertu des instruments internationaux.

12. M. WOLFRUM (Rapporteur pour le pays) se félicite de la reprise du dialogue avec un pays qui est maintenant bien différent de celui pour lequel lui-même avait été désigné comme rapporteur quatre ans auparavant.

13. Le présent rapport contient les troisième à huitième rapports et couvre une période de 11 années. Pour une grande part, il reprend pratiquement mot pour mot le document de base sur El Salvador (HRI/CORE/1/Add.34), si bien que seuls les paragraphes 1 à 5 et 50 à 60 constituent véritablement le rapport périodique : cela est évidemment très insuffisant au regard des obligations de l'Etat partie, et l'on notera que la même critique avait déjà été faite lors de l'examen du deuxième rapport d'El Salvador, en 1983.

14. Quoique la Convention traite d'un aspect très spécifique des droits de l'homme, il est difficile d'évaluer sa mise en oeuvre sans prendre en considération la situation des droits de l'homme dans son ensemble, surtout s'agissant d'un pays qui sort d'une guerre civile meurtrière qui a duré plus de dix ans. La fin de cette guerre a été marquée par la signature d'un "accord sur les droits de l'homme" à San José de Costa Rica le 26 juillet 1990. Il s'agit d'un document remarquable, une sorte d'énoncé d'orientations politiques qui jette les bases du respect des droits et libertés dans le pays, et dont l'application sera contrôlée par une "mission de vérification des droits de l'homme". Cet accord est venu compléter les engagements déjà pris par El Salvador lorsqu'il a ratifié différents instruments relatifs aux droits de l'homme sous l'égide des Nations Unies et de l'Organisation des Etats américains; il consacre les droits reconnus dans ces instruments ainsi que dans la Constitution salvadorienne, et met en place une procédure de vérification sous les auspices de l'ONU. On sait bien que dans la pratique, l'application des grands principes juridiques n'est jamais parfaite; mais la réalité ne doit pas être trop éloignée des textes, et il ne fait pas de doute qu'à cet égard, la situation en El Salvador doit être améliorée. Qu'en est-il donc concrètement de l'application de la Convention ?

15. Au paragraphe 2 du rapport à l'examen, il est dit que la population salvadorienne "n'est pas composée de groupes présentant des caractéristiques raciales différentes". Le paragraphe 50, qui parle de "groupes de quelque importance", est moins catégorique, de même que le représentant d'El Salvador qui, dans son intervention, a indiqué dans des termes un peu plus nuancés qu'il n'existait pas de groupes ethniques importants dans son pays. Le Comité est également avisé qu'il n'existe pas de données statistiques à cet égard, ce qui jette un doute supplémentaire sur l'affirmation contenue au paragraphe 2 du rapport. On voit aux paragraphes 11 et suivants de ce document qu'El Salvador comptait jadis de nombreux groupes autochtones; d'après le recensement de 1930, il subsistait encore quelque 8 000 Indiens à cette époque - soit 5 à 6 % de la population. Après le soulèvement des Indiens de 1932, durement réprimé, il en restait 5 000, dont beaucoup se sont alors assimilés. Toutefois, de petits groupes ayant préservé leur mode de vie, leurs traditions et leurs coutumes existent toujours. Ce sont ces autochtones qui constituent la couche la plus démunie de la population et, partant, celle qui a le plus souffert de la guerre civile. Leur situation socio-économique doit faire l'objet d'une attention particulière. D'après une étude effectuée en 1994 par le médiateur chargé des droits de l'homme, 90 % de ces personnes vivent dans une extrême pauvreté (soit avec moins de la moitié du revenu minimum légal) et souffrent tout particulièrement du chômage et de l'analphabétisme; les femmes en particulier connaissent une situation difficile. Quant au problème foncier, il est de plus en plus aigu pour ces groupes voués à une agriculture traditionnelle et entretenant une relation particulière à la terre : juridiquement, leur accès aux terres et au crédit présente de grandes difficultés.

16. Dès lors, le contenu du paragraphe 60 du rapport est inacceptable. Aucun pays au monde ne peut prétendre n'avoir aucun problème ethnique et une telle affirmation découle d'une interprétation extrêmement étroite de l'article premier de la Convention. M. Wolfrum estime que ne pas reconnaître l'existence de ces groupes et leur marginalisation constitue l'une des formes de la discrimination que la Convention tente précisément d'éliminer. La Constitution salvadorienne ne comporte aucune disposition spécifique de protection des droits des peuples autochtones et, à la différence de la Constitution mexicaine par exemple, il n'y est guère prévu de les associer aux décisions à prendre concernant leurs terres, leur culture, leurs traditions ou la gestion des ressources naturelles. Cette lacune ne saurait être comblée par des déclarations telles que celle que vient de faire le représentant d'El Salvador sur le respect de l'héritage culturel des Indiens : il s'agit ici du sort de populations vivantes, de la protection de leurs droits de l'homme et de ce qui reste de leur identité.

17. Le deuxième rapport d'El Salvador citait l'article 201 de la Constitution, qui disposait qu'aucun établissement scolaire ne pouvait accepter ou refuser des élèves en raison de la nature de l'union de leurs parents ou gardiens ou de différences d'ordre social, racial ou politique. M. Wolfrum souhaiterait savoir si cette disposition est toujours en vigueur, pourquoi il n'en est plus question dans le présent rapport, ce qu'elle signifie en pratique, si elle peut être invoquée devant les tribunaux et s'il y a eu des décisions de justice à ce sujet.

18. Les paragraphes 51 à 53 du rapport citent trois articles de la Constitution salvadorienne qui consacrent la protection de la personne humaine et l'égalité de tous devant la loi. Or ces textes, qui reprennent des principes depuis longtemps énoncés dans toutes les constitutions du monde, ne sont pas suffisants pour répondre aux exigences de la Convention et notamment à celles du paragraphe 4 de l'article premier, de l'article 2 et de l'article 5. En particulier, les articles premier et 2 de la Constitution ne garantissent nullement l'application de l'article 5 de la Convention. Quant à l'article 3 de la Constitution, il se contente de proclamer l'égalité de tous devant la loi, alors que la Convention réclame une approche dynamique de cette égalité et appelle une action concrète en faveur des groupes marginalisés.

19. S'agissant de l'application de l'article 5 de la Convention, la situation des droits de l'homme a incontestablement progressé en El Salvador sur le plan du droit, mais il reste beaucoup à faire dans la pratique. Selon des informations récentes, l'appareil judiciaire a été réorganisé et l'Assemblée législative a élu de nouveaux juges à la Cour suprême, ce qui constitue un progrès appréciable. Il faut savoir que les membres de la Cour suprême précédemment en place avaient refusé de démissionner, ainsi qu'ils y avaient été invités parce qu'ils avaient été convaincus de complicité de dissimulation d'atteintes aux droits de l'homme, et qu'ils sont restés en place jusqu'à la fin de leur mandat.

20. Le paragraphe 57 du document de base (HRI/CORE/1/Add.34) apporte quelques précisions sur les institutions chargées de la protection des droits de l'homme en El Salvador. Mais il serait utile au Comité d'en savoir davantage sur les fonctions du Délégué présidentiel aux droits de l'homme et du Procureur adjoint aux droits de l'homme; notamment sur leur mandat précis, leurs activités, leurs relations entre eux et avec le pouvoir judiciaire et le Parlement. Le document de base apporte aussi quelques précisions sur l'appareil judiciaire, lequel comporte quatre degrés. Il est intéressant de noter à cet égard que les tribunaux civils ont compétence pour juger le personnel des forces armées ayant commis des infractions de droit commun. Il peut être fait appel des condamnations devant la Cour suprême et toute personne victime d'une erreur judiciaire peut prétendre à une indemnisation. Une réforme judiciaire a été entamée en 1994. Au paragraphe 55 du rapport, il est dit qu'en théorie, la Convention peut être invoquée devant les tribunaux, mais qu'il en va différemment dans la pratique : voilà qui appelle certainement une explication. Par ailleurs, il semble que l'article 406 du Code pénal, évoqué au paragraphe 56, réponde aux exigences du paragraphe 1, mais non à celles du paragraphe 2 de l'article 4 de la Convention. Il serait intéressant de savoir si cet article du Code pénal a déjà été invoqué dans la pratique.

21. Les communautés d'anciens réfugiés rentrés en El Salvador, notamment depuis le Honduras, semblent se heurter à de graves problèmes. Les autorités militaires leur créent apparemment des difficultés, les coupant de leurs sources d'approvisionnement, leur interdisant de se déplacer et de recevoir des visites. M. Wolfrum aimerait savoir si cette situation s'est améliorée.

22. Il ne faut pas oublier toutefois qu'EL Salvador sort de 12 années de guerre civile. Des progrès significatifs ont néanmoins été réalisés dans ce pays dans le domaine des droits de l'homme et il convient de se féliciter de cette évolution positive dont le Secrétaire général de l'ONU a d'ailleurs pris acte en 1994. Il faut espérer que le processus engagé se poursuivra et que le dialogue qui s'est instauré entre El Salvador et le Comité se développera sur la base d'une meilleure information. A cet égard, M. Wolfrum recommande au Gouvernement salvadorien de continuer d'utiliser les services techniques du Centre pour les droits de l'homme qui pourront l'aider à établir un rapport plus complet et objectif sur la situation en El Salvador. Il serait bon que ledit rapport soit transmis au Comité le plus tôt possible en 1996. Les rapports sont utiles pour le Comité mais plus encore pour les Etats parties dans la mesure où leur établissement les oblige en quelque sorte à analyser et à évaluer leur situation dans le domaine des droits de l'homme. Cela est important, car, en définitive, l'application de la Convention repose entièrement sur les Etats, le rôle du Comité étant simplement d'assurer une fonction de surveillance.

23. M. FERRERO COSTA remercie la délégation salvadorienne pour les informations complémentaires qu'elle a présentées oralement au Comité et M. Wolfrum pour son analyse approfondie du rapport d'El Salvador. D'une façon générale, il pense que le Comité doit, en examinant celui-ci, tenir compte de la situation politique et sociale complexe dans laquelle se trouve ce pays après une longue guerre civile, situation qui a certainement contribué à la présentation très tardive de son rapport. Il est indispensable qu'en formulant leurs critiques et leurs observations, les membres du Comité prennent en considération la réalité concrète en El Salvador. Il est clair, néanmoins, qu'El Salvador s'est engagé dans un processus d'application des accords de paix de 1992 et que des mesures importantes et positives ont été prises ces dernières années en vue d'assurer l'exercice des droits de l'homme. A titre d'exemple, un corps de police nationale civile a été créé et le système d'administration de la justice amélioré.

24. De l'avis de M. Ferrero Costa, le rapport d'El Salvador reflète les efforts que fait ce pays pour renouer le dialogue avec le Comité, efforts dont témoignent le document de base et la présence d'un fonctionnaire venu spécialement d'El Salvador. Il faut bien constater, toutefois, que le huitième rapport périodique d'El Salvador est fort incomplet et n'est pas conforme aux règles du Comité relatives à l'établissement des rapports par les Etats parties. Il serait donc souhaitable que le prochain rapport d'El Salvador soit plus détaillé et présente davantage de renseignements sur l'application des articles 2 à 7 de la Convention et sur la mise en oeuvre des dispositions des Accords de paix qui touchent directement les droits de l'homme et la lutte contre la discrimination raciale. A cet égard, il est souhaitable également qu'El Salvador continue d'avoir recours aux services techniques du Centre pour les droits de l'homme.

25. Se référant aux paragraphes 2, 50 et 60 du rapport, M. Ferrero Costa dit qu'il n'est guère convaincu, eu égard aux informations qu'il tient de sources non gouvernementales, par les affirmations répétées de l'Etat partie selon lesquelles il n'existerait pas en El Salvador de groupes ethniques ayant des caractéristiques distinctes de la majorité de la population. Il lui est en outre difficile de croire que la discrimination raciale n'existe pas en El Salvador, compte tenu notamment de la définition très vaste de ce phénomène qui figure à l'article premier de la Convention. La discrimination raciale existe de façon plus ou moins aiguë dans tous les pays d'Amérique latine où elle vise généralement des groupes autochtones. De plus, l'affirmation d'El Salvador est contraire aux informations qui parviennent au Comité de sources sûres. Au lieu de nier les faits, il vaudrait mieux que l'Etat partie les reconnaisse et s'efforce d'éliminer les problèmes liés à la discrimination raciale même si la population autochtone est peu importante numériquement.

26. M. Ferrero Costa note avec intérêt que différentes institutions ont été créées ces dernières années en El Salvador en vertu des Accords de paix, en vue d'assurer la protection des droits de l'homme. L'existence d'un grand nombre d'institutions et d'organismes de défense des droits de l'homme traduit la volonté du Gouvernement salvadorien de faire respecter les droits en question. M. Ferrero Costa aimerait savoir comment ces organismes fonctionnent et quels résultats ils ont permis d'obtenir. Constatant d'autre part que l'article 406 du Code pénal, qui prévoit une peine de six mois à un an de prison pour quiconque incite publiquement à la haine et à la violence contre des groupes déterminés est proche de l'obligation énoncée dans l'article 4 de la Convention, il demande dans quelle mesure cet article est effectivement appliqué.

27. M. Ferrero Costa croit comprendre que la population attache beaucoup de prix à l'assistance fournie par l'ONUSAL sur le plan de la protection des droits de l'homme. Etant donné que la présence de l'ONUSAL en El Salvador touche à sa fin, il souhaiterait savoir quels organes ou moyens permettront d'assurer la protection des droits de l'homme en application des accords de paix. M. Ferrero Costa croit savoir également qu'El Salvador a engagé un processus de ratification de divers instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Envisage-t-il aussi de faire la déclaration facultative prévue à l'article 14 ?

28. Pour conclure, M. Ferrero Costa insiste sur l'importance de la reprise du dialogue entre El Salvador et le Comité. Il remercie de nouveau la délégation salvadorienne pour sa présentation orale et recommande au Gouvernement salvadorien de soumettre en temps utile au Comité, par exemple à la fin de 1996, un rapport écrit aussi complet que possible pour l'établissement duquel, il l'engage à nouveau à utiliser les services techniques du Centre pour les droits de l'homme.

29. M. VALENCIA RODRIGUEZ dit que, pour bien comprendre la situation en El Salvador, il ne faut pas oublier que ce pays a traversé une période très agitée qui a nécessité l'intervention de l'ONU et laissé de profondes cicatrices qui ne guériront que très lentement.

30. Sans vouloir insister sur ces questions qui relèvent plutôt du Comité des droits de l'homme, M. Valencia Rodriguez rappelle que la "Commission de la vérité" a recommandé entre autres des réformes du système judiciaire, l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme, ainsi que l'adhésion aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Il aimerait savoir quelles mesures le Gouvernement salvadorien a prises pour appliquer ces recommandations. Il constate avec satisfaction que le Gouvernement salvadorien a adhéré récemment à plusieurs instruments régionaux ou internationaux, mesures qui ne peuvent qu'améliorer la protection des droits de l'homme en El Salvador. Il note en revanche que l'ONUSAL a critiqué de façon répétée l'absence d'enquêtes officielles sur des assassinats politiques et d'autres violations des droits de l'homme. Quelles mesures ont été prises à cet égard par les autorités salvadoriennes ?

31. En ce qui concerne l'affirmation de l'Etat partie selon laquelle la population salvadorienne n'est pas composée de personnes présentant des caractéristiques raciales différentes, il faut sans doute entendre par là que la population est métissée et il est donc vraisemblable qu'elle ne soit pas constituée de groupes définis ayant des caractéristiques raciales fortement différenciées. Cela éclaire l'affirmation du Gouvernement salvadorien selon laquelle il n'y a pas en El Salvador de discrimination raciale institutionnalisée. La délégation salvadorienne a reconnu cependant l'existence de petits groupes d'autochtones dont le gouvernement prévoit d'assurer la protection. De plus, il est permis de supposer qu'il existe, en El Salvador, comme dans d'autres pays d'Amérique latine, des courants d'immigration qui donnent lieu à des problèmes qui relèvent, bien entendu, de la Convention.

32. M. Valencia Rodriguez se félicite par ailleurs que l'article premier de la Constitution stipule que le respect de la dignité est un principe fondamental du droit interne et qu'il prévoit les garanties connexes nécessaires à l'épanouissement de la personne humaine. Selon le rapport, l'article 2 de la Constitution garantit les droits fondamentaux dont les droits à la vie, à l'intégrité physique et morale, à la sécurité individuelle, au travail, à la propriété, à l'honneur, et à l'intimité de la vie privée et familiale. Il aimerait savoir comment ces droits sont mis en oeuvre dans la pratique et comment sont appliqués les principes de l'égalité et de non-discrimination consacrés dans l'article 3 de la Constitution.

33. Enfin, il est dit au paragraphe 55 du rapport que les instruments internationaux auxquels El Salvador est partie peuvent être invoqués directement devant les tribunaux. Il serait intéressant de savoir quelle procédure est prévue pour déposer plainte, en cas de violation motivée par l'origine raciale ou ethnique, étant donné qu'il n'existe dans la législation salvadorienne aucune disposition relative à la discrimination raciale.

34. Pour conclure, M. Valencia Rodriguez engage le Gouvernement salvadorien à étudier de façon plus approfondie les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention, notamment de ses articles 2, 4, 5, 6 et 7. Il se félicite néanmoins de la reprise d'un dialogue constructif entre El Salvador et le Comité.

35. M. de GOUTTES se réjouit, lui aussi, de voir qu'El Salvador cherche à renouer le dialogue après 11 ans d'un silence dû à la guerre civile. Cependant il s'associe à M. Wolfrum pour regretter qu'il ne soit question dans le rapport de ce pays que du texte de la Constitution, certes tout à fait conforme à la Convention dans son esprit et dans sa lettre, mais que l'on n'y apprenne rien sur son application pratique. Aux paragraphes 2 à 4 et 60 de son rapport, El Salvador explique les raisons de son silence par l'absence de "groupes présentant des caractéristiques raciales différentes". Cette explication est surprenante dans la mesure où, justement, il existe des minorités autochtones en El Salvador, surtout à l'ouest du pays, et il est très probable que, comme partout, il existe en El Salvador une discrimination raciale. En outre, même un pays où règne l'état de droit doit adopter des lois pour lutter contre la discrimination raciale, ne serait-ce qu'à titre préventif et pour éduquer la population. La loi a en effet une fonction d'identification des valeurs à protéger, et cette fonction est particulièrement importante dans la lutte contre le racisme, phénomène dans lequel les symboles et stéréotypes jouent un grand rôle.

36. La préoccupation de M. Valencia Rodriguez concernant la poursuite de certaines violations des droits de l'homme est d'autant plus justifiée que plusieurs organisations non gouvernementales, comme Amnesty International, rapportent que d'anciens militaires et policiers soupçonnés de violations des droits de l'homme au temps de la guerre civile sont recrutés dans la nouvelle police du pays. Il est inquiétant également que, malgré les recommandations de la Commission de la vérité et du Groupe mixte chargé d'enquêter sur les groupes armés irréguliers, créé sous l'égide de l'ONU, aucune mesure visant à éviter que les crimes passés restent impunis n'ait été prise. Du moins le rapport n'en signale-t-il aucune.

37. Le rapport est également muet sur les réformes judiciaires, que la compromission de beaucoup de magistrats lors de la guerre civile a rendues nécessaires, et sur l'indemnisation des victimes préconisée par la Commission de la vérité. Un élément important du bon fonctionnement de la justice est la fonction du Procureur chargé de la défense des droits de l'homme, qui est doté de pouvoirs constitutionnels. Il serait intéressant de savoir combien de plaintes ont été déposées. Il est en effet difficile d'imaginer que même les autochtones n'en aient déposé aucune. Si tel est vraiment le cas, on peut se demander si la population connaît bien ses droits ou si l'administration de la justice ne souffre pas de dysfonctionnement.

38. Enfin, le rapport dit que les traités internationaux prévalent sur les lois ordinaires et peuvent être invoqués directement. Cependant, on peut lire au paragraphe 55 qu'"il n'est pas entré dans la culture juridique salvadorienne d'invoquer les dispositions" de ces instruments. Il y a lieu de remédier à cet état de choses, notamment en poursuivant avec vigueur l'action mentionnée au même paragraphe pour former les fonctionnaires des services judiciaires et faire entrer le recours aux instruments internationaux dans les moeurs. Le prochain rapport d'El Salvador devrait donc présenter un état détaillé de la situation, et être rédigé conformément aux principes directeurs établis par le Comité.

39. M. van BOVEN rappelle que le Comité n'avait pas été satisfait du précédent rapport d'El Salvador, qui date de 1984; il est heureux cependant que le dialogue soit renoué. Pendant toute la guerre civile, la situation dans ce pays a été suivie de près par la communauté internationale, par l'intermédiaire d'un rapporteur spécial. Ce type de surveillance n'est plus de mise; c'est au pays lui-même qu'il appartient dorénavant d'être vigilant. Les rapports qu'il établit pour le Comité sont utiles non seulement parce qu'ils lui permettent de faire le point, mais aussi parce qu'ils contribuent à informer la population s'ils sont largement diffusés.

40. Le Comité s'intéresse de très près aux autochtones, à leurs droits, à leur sort, à leur existence, même dans les pays où, comme en El Salvador, ils ne constituent qu'une petite partie de la population. Le représentant d'El Salvador a déclaré que les droits de l'homme de ces populations étaient garantis par la Constitution. Cela ne fait aucun doute, mais il peut y avoir loin de la situation juridique à la situation réelle. D'après les informations données par M. Wolfrum, les autochtones mènent quotidiennement une dure lutte pour la vie, l'emploi, l'éducation, la santé, bref les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels énumérés dans l'article 5 de la Convention, car en fait, ils ne jouissent pas de ces droits sur un pied d'égalité avec les autres citoyens. Or il est du devoir de l'Etat de veiller à redresser cette situation, comme l'a fort bien montré M. Valencia Rodriguez.

41. Relevant, après M. de Gouttes, qu'il n'est pas dans la culture judiciaire du pays d'invoquer les instruments internationaux, M. van Boven engage vivement El Salvador à familiariser la population avec ces instruments et l'usage qu'elle peut en faire.

42. S'agissant plus précisément de l'article 4 de la Convention, M. van Boven note que l'article 406 du Code pénal présente un certain intérêt à cet égard. Il aimerait savoir si cet article est à l'origine d'une jurisprudence.

43. Sur la question de l'impunité, soulevée par M. de Gouttes, M. van Boven demande si des mesures ont été prises pour réparer les torts faits aux victimes. En effet, pour construire un ordre juridique basé sur la justice et la réconciliation, il faut non seulement que les auteurs de violations soient tenus responsables de leurs actes, mais aussi que, autant que faire se peut, les torts faits aux victimes soient réparés.

44. M. van Boven engage les autorités d'El Salvador à prendre connaissance du Manuel de l'ONU relatif à l'établissement des rapports sur les droits de l'homme et à demander au Comité de leur prêter l'assistance technique voulue afin établir, pour 1996, un rapport digne de ce nom.

45. M. DIACONU se félicite, comme les orateurs précédents, qu'El Salvador et le Comité soient de nouveau en contact et espère que la communauté internationale ne ménagera pas son appui à ce pays qui sort d'une rude épreuve.

46. Etant donné que le rapport traite de questions qui n'entrent pas dans le mandat du Comité, celui-ci a été amené à s'étendre sur des sujets qui ne pourront faire l'objet de ses observations et recommandations finales. Ce que le Comité doit demander à El Salvador, c'est de fournir, par exemple, des statistiques relatives à la structure de la population du pays et à la répartition selon la race, la couleur, l'ascendance et l'origine nationale ou ethnique de ses 5 millions d'habitants. Il doit aussi s'efforcer de savoir quel traitement est réservé non seulement aux groupes autochtones, mais aussi aux individus, qu'ils soient autochtones, étrangers ou réfugiés, car toutes ces questions relèvent bien de sa compétence.

47. A cet égard, M. Diaconu se déclare tout à fait favorable à l'idée de M. Aboul-Nasr d'organiser des sessions du Comité dans les divers continents, sessions au cours desquelles ne seraient étudiés que les rapports des pays de ces continents, qui ont leurs problèmes propres.

48. Mme SADIQ ALI appelle l'attention de la délégation salvadorienne sur l'utilité de la Recommandation générale XIII du Comité, qui concerne la formation des responsables de l'application des lois à la protection des droits de l'homme. Cette recommandation est particulièrement importante au regard de la violence qui caractérise le passé d'El Salvador et l'action de l'armée et de la police.

49. M. van BOVEN rappelle que l'Assemblée générale a recommandé aux Etats parties d'accepter que soit modifié le paragraphe 6 de l'article 8 de la Convention afin que les dépenses afférentes aux réunions et travaux du Comité ne soient plus à la charge des Etats parties mais imputées sur le budget ordinaire de l'ONU. Il engage El Salvador à accepter cet amendement afin qu'il recueille l'adhésion des deux tiers des Etats parties nécessaire à son entrée en vigueur.

50. M. MENDOZA (El Salvador) dit que son pays est disposé à maintenir le dialogue avec le Comité et à établir son prochain rapport dans le sens demandé par celui-ci.


La séance est levée à 17 h 45.


©1996-2001
Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights
Geneva, Switzerland