Distr.

GENERALE

CERD/C/SR.1088
15 mars 1995

FRANCAIS
Original: ANGLAIS
Compte rendu analytique de la 1088ème seance : Croatia. 15/03/95.
CERD/C/SR.1088. (Summary Record)

Convention Abbreviation: CERD
COMITE POUR L'ELIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE


Quarante-sixième session


COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1088ème SEANCE


tenue au Palais des Nations, à Genève,
le 10 mars 1995, à 10 heures


Président : M. GARVALOV


SOMMAIRE

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les Etats parties conformément à l'article 9 de la Convention

Renseignements complémentaires présentés par la Croatie (suite)

Questions d'organisation et questions diverses


La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRESENTES PAR LES ETATS PARTIES CONFORMEMENT A L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l'ordre du jour)

Renseignements complémentaires présentés par la Croatie (CERD/C/249/Add.1) (suite)

1. A l'invitation du Président, la délégation croate reprend place à la table du Comité.

2. Le PRESIDENT invite la délégation croate à répondre aux questions posées à la séance précédente par les membres du Comité.

3. Mme SIMONOVIC (Croatie) déclare que sa délégation s'attachera à répondre le plus complètement possible aux questions des membres du Comité au cours de la session en cours, ou sinon dans son prochain rapport. Elle remercie le rapporteur pour la Croatie, M. Yutzis, qui s'est rendu dans ce pays, ainsi que les autres membres du Comité qui ont examiné et évalué attentivement le rapport initial ainsi que le rapport complémentaire de la Croatie. En préliminaire, elle rappelle la situation particulièrement difficile de la Croatie, sur laquelle le Président du Comité a justement insisté. Comme d'autres pays d'Europe centrale, la Croatie est confrontée à trois types de problèmes : les changements politiques, la transition économique et les tâches de développement incombant à un jeune Etat qui a hérité de nombreux problèmes du passé. Le plus urgent est celui qui résulte de la guerre et de l'occupation de 23 % de son territoire, et du nettoyage ethnique dont sont victimes les populations non serbes des territoires croates occupés. En dépit de ces difficultés considérables, la Croatie a manifesté clairement la volonté et la capacité de réaliser des réformes radicales, notamment celles d'effectuer la transition du monopartisme au multipartisme, de la propriété socialiste à la propriété privée, et d'instaurer l'économie de marché.

4. La Croatie compte adopter les principes de la démocratie parlementaire, du respect de l'Etat de droit, des libertés fondamentales et des droits de tous les citoyens, sans aucune distinction fondée sur le sexe, la race ou la religion. Toutefois, les mécanismes prévus pour la protection des droits de l'homme ne sont pas suffisamment utilisés par les citoyens croates pour qui la démocratie est encore une réalité nouvelle.

5. En réponse à une première question posée par M. Yutzis, M. de Gouttes et M. Ferrero Costa, qui concernait le tribunal provisoire pour les droits de l'homme et la résolution 93/6 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le contrôle et le respect des droits de l'homme dans les Etats d'Europe qui ne sont pas encore devenus membres du Conseil de l'Europe, Mme Simonovic explique que le Tribunal provisoire des droits de l'homme est fondé sur l'article 60 de la loi constitutionnelle sur les droits de l'homme et la liberté et les droits des communautés nationales et ethniques ou des minorités. Ce tribunal est composé de cinq membres, dont le président et deux autres membres doivent être citoyens d'Etats membres de l'Union européenne.

6. La Croatie a pris des mesures pour instituer un tribunal provisoire des droits de l'homme et cette question sera débattue par des juristes de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. De plus, en novembre 1993, le Gouvernement croate a informé le Conseil de l'Europe qu'il envisageait d'adhérer au mécanisme de protection pour les pays non membres du Conseil de l'Europe envisagé dans la résolution 93/6 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Depuis, la Croatie a demandé son adhésion au Conseil. Cela fait, elle adhérera à la Convention européenne des droits de l'homme et acceptera la juridiction de la Commission européenne des droits de l'homme et de la Cour européenne des droits de l'homme.

7. En réponse à une deuxième question posée par MM. Ferrero Costa, van Boven et de Gouttes, qui concernait le Tribunal international sur les crimes de guerre commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie à partir de 1991, la représentante de la Croatie déclare que son pays a appuyé la création du Tribunal international. Par ailleurs, la Croatie a adhéré aux quatre conventions de Genève et aux premier et deuxième protocoles additionnels. De plus, la Croatie a recueilli systématiquement des témoignages sur les crimes de guerre et créé une Commission sur les crimes de guerre qui coopère avec le Procureur du Tribunal international. La Croatie est déterminée à poursuivre et punir toutes les personnes qui ont violé le droit international humanitaire et ses autorités mettront tout en oeuvre pour identifier les coupables sur son territoire, quelle que soit leur origine nationale. Mme Simonovic précise que 145 personnes ont été arrêtées et condamnées pour crimes de guerre et que 800 autres, qui sont poursuivies devant les tribunaux, ne se trouvent malheureusement pas sur le territoire croate. La Croatie coopère activement avec le Conseil de sécurité des Nations Unies, la Commission d'experts créée en vertu de la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité et le Tribunal international sur les crimes de guerre.

8. La République de Croatie se félicite des progrès accomplis par le Procureur du Tribunal international et coopère activement avec ce dernier en lui fournissant des informations et des preuves aux fins de ses enquêtes. Elle envisage, en outre, d'ouvrir sur son territoire un bureau destiné au Procureur du Tribunal international.

9. A une autre question qui concernait la portée des activités entreprises par la Commission parlementaire croate sur les droits de l'homme et le droit des minorités et des communautés nationales et ethniques, la représentante de la Croatie indique que cette commission a été mise en place pour vérifier et suivre la mise en oeuvre d'une politique relative aux droits de l'homme en mettant l'accent sur les droits des minorités. La Commission parlementaire et sa sous-commission sur les droits des minorités examinent la mise en oeuvre du droit international et surveillent l'adoption des projets de loi. Elle fait des recommandations sur la mise en oeuvre des lois promulguées dans le domaine des droits de l'homme en Croatie. De même, outre leurs activités de rédaction et d'adoption de textes de lois, les deux organes du Parlement surveillent la mise en oeuvre des droits des minorités garantis par la loi constitutionnelle relative aux droits de l'homme.

10. En ce qui concerne la question des expulsions, il est utile de savoir que la Commission parlementaire sur les droits de l'homme et les droits des minorités ethniques et nationales a organisé des discussions avec les autorités compétentes, les ONG et les personnes concernées pour examiner librement et utilement tous les problèmes se rapportant à la question des expulsions forcées.

11. Pour ce qui est de l'éducation des Roms, Mme Simonovic indique que la Sous-Commission a commencé d'intégrer les enfants roms dans le système d'éducation croate et mis en place des écoles d'été à leur intention.

12. S'agissant de la question des personnes déplacées et des réfugiés, l'intervenante indique qu'il est utile d'établir une distinction entre les personnes déplacées, qui ont été chassées de leur foyer mais demeurent dans leur pays, et les réfugiés, qui ont été chassés de leur pays. Au début de l'agression serbe, qui a causé le plus important mouvement de réfugiés en Europe depuis la deuxième guerre mondiale, plus de 360 000 Croates ont dû fuir leurs foyers. La Croatie doit s'occuper de quelque 196 000 personnes déplacées auxquelles s'ajoutent 190 000 réfugiés provenant de la Bosnie-Herzégovine, auxquels elle fournit logements, soins, éducation et aliments. Les chiffres exacts et détaillés figurent dans le document sur la situation des droits de l'homme en Croatie présenté au Comité à titre d'information complémentaire (CERD/C/249/Add.1).

13. Mme Simonovic déclare que la République de Croatie n'a jamais envisagé isolément d'abroger le statut de réfugié dont bénéficient les ressortissants de la République de Bosnie-Herzégovine; la décision de ne pas accorder le statut de réfugié à ces ressortissants après le 9 septembre 1994 a été décidée conjointement avec les autorités de la Bosnie-Herzégovine. Elle souligne que la Croatie respecte pleinement les dispositions prévues dans les instruments internationaux ainsi que les recommandations du Haut Commissariat pour les réfugiés.

14. Mme Simonovic, répondant à la question de M. Yutzis concernant les expulsions en Croatie, dit que ces mesures sont régies par la loi sur le logement de 1985 qui définit la procédure administrative applicable ainsi que les voies de recours possibles. Elle explique que le service administratif responsable doit prendre sa décision dans un délai de 15 jours après la réception d'une plainte et qu'un appel n'a pas d'effet suspensif. Elle ajoute que, la Cour constitutionnelle de la République de Croatie est en train d'examiner tous les aspects juridiques, éthiques et sociaux des expulsions et a commencé une procédure d'évaluation de la constitutionnalité de l'article 94 de la loi de 1985 qui régit les expulsions forcées. A la fin de 1995, la Cour constitutionnelle avait ordonné un sursis à l'exécution de 51 décisions d'expulsion.

15. En ce qui concerne les personnes disparues en République de Croatie, Mme Simonovic appelle l'attention du Comité sur le rapport présenté à la Commission des droits de l'homme, à sa cinquante et unième session, par M. Nowak, membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires (E/CN.4/1995/37), qui décrit la situation actuelle en ex-Yougoslavie. Aujourd'hui, on ne connaît pas le sort de 2 820 personnes portées disparues. Des mères de famille de Vukovar sont encore à la recherche de membres de leur famille et d'autres proches portés disparus. La République de Croatie s'efforce de retrouver les personnes disparues en employant les mécanismes prévus par la communauté internationale. Toutefois, sa tâche n'est pas facilitée par l'attitude négative de l'autre partie, qui refuse de coopérer. A cet égard, la Croatie compte beaucoup sur l'aide de la communauté internationale pour trouver une solution au problème des personnes portées disparues.

16. En ce qui concerne l'application de l'article 14 de la Convention à la Croatie, Mme Simonovic informe le Comité que la Croatie envisage de ratifier les premier et deuxième protocoles au Pacte relatif aux droits civils et politiques, de faire la déclaration concernant l'acceptation de l'article 14 de la Convention et d'adhérer à d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, en vue de s'assurer que les droits de l'homme sont effectivement protégés en Croatie.

17. Mme KOS (Croatie), répondant à une question de l'un des membres du Comité concernant la situation de la minorité italienne et des Roms et les possibilités d'éducation offertes aux groupes minoritaires, explique tout d'abord que la citoyenneté croate est régie par la loi sur la citoyenneté croate, qui stipule que la citoyenneté est acquise par plusieurs moyens : l'origine (personnes nées de parents croates), la naissance sur le territoire croate, la naturalisation et la réalisation de conditions définies dans des instruments internationaux.

18. Les conditions concernant les deux derniers cas sont définies à l'article 8 de la loi sur la citoyenneté, qui prévoit que le demandeur doit être âgé de 18 ans au moins, posséder la capacité juridique, avoir renoncé à sa citoyenneté étrangère antérieure ou s'être engagé à le faire, avoir résidé au moins cinq ans en Croatie de façon continue, parler la langue croate, avoir manifesté son attachement au système juridique et aux coutumes en vigueur en Croatie et accepter la culture croate.

19. Mme Kos déclare que c'est le Ministère de l'intérieur qui est l'organe compétent pour examiner les demandes de naturalisation. En 1994, il en a reçu 650 363 et en a rejeté 39 435, dont 17 568 qui ne remplissaient pas les conditions de résidence. Elle souligne que les refus n'ont pas tenu compte de l'origine nationale des demandeurs. A cet égard, il peut-être utile de savoir que, en février 1994, 63 194 demandes de naturalisation avaient été déposées par des Serbes et que 54 149 avaient été acceptées par le Ministère de l'intérieur. Par ailleurs, les personnes dont la demande a été rejetée peuvent faire appel devant le Tribunal administratif de la République de Croatie. En 1994, 30 299 décisions ont été contestées et le Tribunal administratif a tranché sur 11 040 cas, décidant que 2 670 demandes étaient acceptables. Entre-temps, 3 966 demandes avaient été acceptées par le Ministère de l'intérieur; 4 243 décisions négatives seulement ont été formellement maintenues.

20. Mme Kos souligne que la Croatie est en train de modifier la loi sur la citoyenneté sur la base de la décision rendue par la Cour constitutionnelle et en se référant aux avis du Conseil de l'Europe. Désormais, le Ministre de l'intérieur doit expliquer ses décisions. En réponse à une autre question, Mme Kos explique que la lenteur de la procédure de naturalisation était due, tout au moins au début, au nombre élevé des demandes à traiter, mais que ce problème est en voie de règlement, comme cela est d'ailleurs indiqué dans le rapport de M. Maziowiecki. En réponse à une question de M. Yutzis qui concernait la méthode que la Croatie utilise pour déterminer les personnes ayant la citoyenneté croate, Mme Kos indique que c'est l'article 13 de la loi sur la citoyenneté croate qui définit le statut de citoyen.

21. S'agissant de la question des Roms, Mme Kos informe le Comité que la communauté rom, qui est l'une des 16 minorités croates, jouit de l'égalité de tous les droits qui est garantie par la loi aux membres de toutes les minorités. La minorité rom est organisée par la communauté des Roms qui a été créée pour promouvoir l'éducation et la culture roms et la diffusion d'informations en langue rom. La République de Croatie s'efforce de réduire l'analphabétisme parmi les Roms dans le cadre de la lutte contre l'analphabétisme. A cette fin, elle essaie d'intégrer le plus grand nombre possible d'enfants roms dans les établissements scolaires en leur offrant des cours adaptés (langue et culture) à leurs réalités. Le principal obstacle auquel les autorités se heurtent est la pénurie d'enseignants en langue rom; elles s'efforcent d'encourager les parents roms à adopter une attitude favorable à l'égard de l'éducation.

22. De son côté, la minorité italienne constitue l'une des minorités les plus nombreuses et les mieux organisées de Croatie. Son statut est régi par la Loi constitutionnelle et des accords internationaux. Un accord bilatéral la concernant est en cours d'examen. Les membres de la minorité italienne ont mis en place un système diversifié pour répondre à leurs besoins politiques, sociaux et culturels. L'Union italienne assure la promotion culturelle de la communauté italienne et ses activités couvrent plusieurs régions. Elle dispose d'une maison de la presse qui diffuse des journaux en langue italienne et d'un centre d'études historiques très actif. Les enfants issus de cette minorité peuvent recevoir une formation scolaire spécifique aux niveaux préprimaire (jardins d'enfants), primaire, secondaire et universitaire. Les possibilités d'éducation offertes aux nombreuses minorités sont présentées dans le rapport complémentaire de la Croatie. Elles sont régies par les lois générales relatives au système d'éducation définissant les programmes généraux d'enseignement, par la Loi constitutionnelle sur les droits de l'homme et par des lois spéciales sur le fonctionnement des établissements scolaires.

23. Mme Kos déclare qu'il faut établir une distinction entre les minorités qui s'étaient établies en Croatie avant 1990 et les nouvelles minorités qui s'y sont installées après l'indépendance de la Croatie. Les premières bénéficient d'un niveau d'éducation élevé. En effet, les programmes d'enseignement offrent plusieurs types d'enseignement couvrant plusieurs niveaux, que les minorités peuvent choisir en concertation avec les autorités locales. Les programmes d'études sont élaborés par des experts appartenant aux différentes minorités et approuvés par les autorités compétentes.

24. De leur côté, les nouvelles minorités, excepté les minorités serbe et albanaise qui sont très importantes, n'ont pas encore indiqué qu'elles voulaient suivre un enseignement dans leur langue. Mme Kos rappelle cependant que ces nouvelles minorités ne bénéficiaient pas de programmes spéciaux avant l'indépendance de la Croatie, et indique que les enfants qui en sont issus peuvent recevoir un enseignement scolaire dans les mêmes conditions que les autres enfants croates. Les chiffres exacts sur la fréquentation des établissements scolaires et des renseignements sur les différents avantages offerts aux minorités dans l'éducation sont fournis dans le rapport complémentaire de la Croatie.

25. En ce qui concerne les activités du Service gouvernemental pour les relations interethniques, Mme Kos déclare que cet organisme a été créé en 1991 afin de faciliter les activités de recherche et l'élaboration des politiques gouvernementales et de favoriser des relations harmonieuses entre les différentes communautés ethniques de Croatie. Le Service propose des mesures destinées à assurer l'exercice des droits des minorités ethniques et surveille le respect des obligations assumées en vertu des instruments internationaux. L'un de ses rôles principaux est de réunir des informations sur la situation des droits des minorités ethniques et de proposer l'application de modèles en vue de la mise en oeuvre de ces droits. Il fait également des propositions en ce qui concerne la collecte de ressources financières pour l'application des droits constitutionnels des communautés ou minorités ethniques, et sensibilise celles-ci à l'exercice de leurs droits civils.

26. M. SMERDEL (Croatie), répondant à une objection de M. Yutzis, qui a déclaré que les inculpations pour incitation à la haine raciale n'étaient pas "marginales", dit que ces cas sont certainement symptomatiques de la situation précaire que connaît actuellement la Croatie, qui a tendance à favoriser les extrémismes. Mais en les qualifiant de "marginaux", il voulait simplement dire qu'ils étaient loin de prédominer, ainsi que l'ont montré les résultats des élections d'août 1992 où les partis extrémistes ont recueilli ensemble moins de 5 % des voix.

27. A propos des 25 à 30 000 Musulmans qui n'ont pu être logés à Karlovac où ils s'étaient réfugiés, le représentant de la Croatie fait observer que la région compte déjà un très grand nombre de réfugiés et ne peut tout simplement pas matériellement en accueillir 30 000 de plus. Il faut préciser en outre que ces réfugiés musulmans, qui venaient de la province autoproclamée de Bosnie occidentale, fuyaient les forces gouvernementales musulmanes. Le Gouvernement bosniaque les avait invités à retourner chez eux en promettant d'assurer leur sécurité. Il s'agit donc d'un problème interne entre Musulmans.

28. Quant aux 4 000 Croates de Bosnie centrale qui ont été admis en tant que réfugiés par la Croatie en juillet 1993, ils avaient fui leur ville tombée aux mains des forces gouvernementales bosniaques pendant la guerre entre Croates et Musulmans bosniaques. Malgré la signature de l'Accord de Washington et la mise en place de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, ces 4 000 réfugiés croates, ainsi que d'autres d'ailleurs, hésitent encore à rentrer chez eux.

29. A propos de la question de savoir pourquoi les citoyens croates doivent indiquer, dans les formulaires administratifs, le nom de jeune fille de leur mère en plus du nom de leurs parents, M. Smerdel fait observer que cette pratique remonte au régime socialiste précédent et est considérée comme l'expression de l'égalité entre les sexes. A sa connaissance, elle n'a jamais été remise en cause.

30. Répondant ensuite à une question de M. Chigovera sur les violations des droits de l'homme concernant la communauté serbe de Croatie, M. Smerdel rappelle tout d'abord qu'à la veille de la guerre, au début de l'année 1991, l'armée yougoslave était composée à 80 % par des Serbes. Ce n'était déjà donc plus une armée fédérale, et les Croates ont eu beaucoup de mal à faire comprendre cela à la communauté internationale à l'époque. Les Serbes qui faisaient partie du Ministère de la défense de la République fédérale de Croatie, et qui étaient forcément liés aux services secrets, ont dû être expulsés de ce ministère. De même, beaucoup de Serbes qui travaillaient dans la police, seule force à avoir opposé une résistance lorsque l'armée yougoslave a commencé à attaquer des villes croates, ont quitté ce service, certains pour rejoindre les forces serbes. C'est une simplification que de dire que les Serbes ont été chassés de leurs fonctions parce qu'ils étaient communistes. Dès sa victoire aux premières élections démocratiques, en 1990, le parti croate actuellement au pouvoir a déclaré qu'il ne pratiquerait pas de chasse aux sorcières. Seuls ceux qui avaient commis des crimes, notamment des crimes imprescriptibles, devaient être traduits en justice. La collaboration avec les services de sécurité de l'ancien régime, qui était légale alors, n'a pas été sanctionnée. Bien entendu, les Serbes qui occupaient des postes importants dans le régime précédent ont dû quitter ces postes, mais ils n'ont pas été poursuivis pour cela. Quant aux cas d'actes individuels de harcèlement contre des Serbes dont a fait état Amnesty International, leurs auteurs sont traduits en justice, et M. Mazowiecki a confirmé dans son rapport à la Commission des droits de l'homme que de tels actes ne se produisent pratiquement plus.

31. M. Valencia Rodriguez a posé une question au sujet du Conseil présidentiel de sécurité et de défense nationales. Il s'agit d'un organe consultatif nommé par le Président qui rassemble des personnes occupant des fonctions importantes au sein de l'Etat (président du Parlement, directeur de la télévision d'Etat, etc.) et qui joue un rôle très important dans la prise des décisions mais qui n'a pas de responsabilité particulière en ce qui concerne les relations internationales ou la protection des minorités.

32. S'agissant de la formation des responsables de l'application des lois, M. Smerdel dit que la Croatie a une longue tradition en la matière. Tout policier a passé quatre ans dans l'école de la police et y a suivi des cours de droit. La Croatie s'efforce, mais pour l'instant sans succès en raison sans doute de la situation de guerre, d'établir à Zagreb un institut spécial pour les droits de l'homme. Enfin M. Smerdel précise que la nouvelle édition du Manuel de droit constitutionnel dont il est l'un des coauteurs comprend un long chapitre sur la protection internationale des droits de l'homme.

33. En ce qui concerne la liberté des médias, le rapport de M. Mazowiecki sur la question est très bien informé (E/CN.4/1995/54). Il est vrai qu'il y a en Croatie une lutte pour la liberté de la presse, mais cette lutte n'a pas lieu entre le gouvernement et la société mais au sein des institutions étatiques et entre diverses composantes de la société. Un Conseil pour la protection de la liberté de l'information a été créé en vertu de la loi sur les médias. La mission de ce Conseil, dont le Président est nommé par le Parlement, est d'examiner les réclamations des citoyens contre les médias et les objections formulées par les journalistes, les éditeurs et leurs syndicats. Le plus gros problème au niveau de la presse écrite est la cherté des journaux. En ce qui concerne la télévision, dont la principale chaîne est toujours contrôlée par l'Etat, M. Smerdel fait observer que la loi sur l'information permet la création de stations télévisées privées. Le problème à cet égard est principalement financier, mais aussi technique, avec la question de l'attribution des fréquences. Il existe une station de télévision privée, la "Télévision des jeunes", qui est très active mais dont la portée ne dépasse pas une trentaine de kilomètres autour de Zagreb. La plupart des habitants de Croatie regardent également les informations diffusées par les télévisions bosniaque et serbe, qui peuvent être captées librement en Croatie. Des chaînes comme Sky Channel et CNN peuvent aussi être reçues par satellite.

34. En ce qui concerne la presse, dans le très chauvin journal "Hrvatski Viesnik", il y a lieu de préciser que les articles publiés sont écrits par une seule personne, qui bénéficie, il est vrai, de certains soutiens. Le gouvernement lui a imposé une taxe qui était jusqu'alors imposée uniquement aux publications pornographiques, mais n'a à ce jour pris aucune autre mesure à son encontre. Le "Feral Tribune" s'est lui aussi vu imposer une telle taxe. Il s'agit d'un journal qui donne dans la satire politique violente, à laquelle le public n'est pas habitué. Il a notamment publié une caricature où l'on peut voir les présidents Tudjman et Milosevic allongés dans le même lit. Mais ce journal publie également des articles sérieux qui sont écrits par des journalistes très connus, qui étaient très actifs sous le régime précédent et se montrent généralement très critiques à l'égard du gouvernement. Un certain nombre de personnes, notamment les négociateurs du Conseil de l'Europe et le Vice-Président du Parlement, ont demandé que la mesure frappant ce journal soit levée. Le gouvernement n'a pas encore donné suite à cette demande.

35. Les dispositions de la Convention peuvent être invoquées devant les tribunaux. En effet, la Constitution confère aux instruments internationaux ratifiés par la Croatie une autorité supérieure à celle des lois internes, à l'exception de la Constitution. En outre, la Cour constitutionnelle a estimé à plusieurs reprises que ses décisions doivent être conformes aux règles énoncées dans les instruments internationaux qui sont mentionnés dans la Constitution ou dans la loi relative aux droits des minorités, même si ces instruments n'ont pas été ratifiés par la Croatie. Il convient d'ajouter que les instruments internationaux sont, pour l'heure, très rarement invoqués devant les tribunaux. Toutefois, cette situation devrait changer, car les avocats sont de plus en plus nombreux à savoir qu'ils peuvent faire valoir les droits énoncés dans ces instruments.

36. S'agissant de la Cour constitutionnelle, M. Smerdel dit qu'un recours constitutionnel peut être formé auprès d'elle par toute personne qui estime que l'une de ses libertés ou l'un de ses droits garantis par la Constitution a été violé par une décision d'un tribunal, d'une administration ou d'une autre autorité de l'Etat, mais qu'un tel recours ne peut être présenté qu'après épuisement de toutes les autres voies de recours (voir par. 8 du document CERD/C/249/Add.1) et qu'il doit être présenté dans un délai d'un mois à compter du prononcé de la décision de la juridiction d'appel. La Cour constitutionnelle peut annuler la décision attaquée et désigne alors la juridiction administrative ou judiciaire appelée à connaître de nouveau de l'affaire. Pendant les premiers mois qui ont suivi son entrée en fonctions, la Cour constitutionnelle a été saisie de plusieurs centaines de recours, dont la plupart ont été déclarés irrecevables au motif que les autres voies de recours n'avaient pas été épuisées. En 1994 elle a rendu d'importantes décisions, qui portaient notamment sur les droits de l'homme.

37. S'agissant de la FORPRONU, M. Smerdel dit qu'elle avait pour mandat de veiller au respect du cessez-le-feu conclu le 3 janvier 1992. Elle était également censée faire appliquer le plan de paix élaboré par M. Vance (résolution 743 (1992) du Conseil de sécurité), qui prévoyait notamment le retour de toutes les personnes déplacées ou expulsées, la démilitarisation de la Krajina et le désarmement des groupes paramilitaires. De son côté, la police civile de l'ONU devait restaurer immédiatement l'ordre dans les zones protégées en attendant qu'une solution politique soit trouvée. Or malgré tous ses efforts, la FORPRONU n'a rien pu faire et a dû à plusieurs reprises assister impuissante au massacre de civils par les séparatistes serbes, parce que ses moyens et son mandat étaient insuffisants. Face à cette situation, le Président a décidé, conformément aux voeux exprimés par l'opinion publique et par le Parlement, de s'opposer au renouvellement du mandat de la FORPRONU. Toutefois, le gouvernement a demandé à plusieurs reprises qu'en cas de retrait de la FORPRONU l'aide internationale se poursuive sous une autre forme, afin de surveiller la ligne de cessez-le-feu et l'application de l'"accord économique" conclu avec les rebelles serbes.

38. Il convient d'indiquer qu'en vertu de cet accord le Gouvernement croate fournit du pétrole et de l'électricité aux rebelles serbes, qui de leur côté acceptent d'ouvrir au trafic les 20 kilomètres de l'autoroute E.24 qu'ils occupent. Les Serbes empruntent ce tronçon d'autoroute pour venir chercher en Croatie l'essence qui leur fait défaut parce que les séparatistes serbes utilisent à des fins militaires le carburant dont ils disposent. Il importe également d'indiquer que récemment trois Serbes ont demandé aux autorités croates de leur délivrer un certificat de nationalité, lequel leur a été accordé. Ce fait atteste la volonté de la Croatie de restaurer la confiance entre tous les citoyens croates, quelle que soit leur "nationalité" (narodno). Il convient de préciser à ce propos que la citoyenneté est le lien juridique et politique unissant un individu à l'Etat tandis que la "nationalité" exprime le rattachement librement choisi de cet individu à une communauté ethnique donnée.

39. Pour conclure, M. Smerdel assure le Comité que le Gouvernement croate répondra ultérieurement à toutes les questions qui sont restées sans réponse et qu'il souhaite poursuivre le dialogue avec le Comité.

40. Le PRESIDENT remercie la délégation croate pour les informations détaillées qu'elle a données au Comité et invite M. Yutzis, rapporteur chargé d'analyser le rapport de la Croatie, à présenter ses conclusions.

41. M. YUTZIS, rapporteur de pays, remercie la délégation croate d'avoir brossé un tableau concret de la situation, permettant ainsi au Comité de mieux comprendre les problèmes qui se posent. Il s'inquiète des conséquences que pourrait avoir un retrait de la FORPRONU sur l'application de la Convention et sur la situation déjà difficile des personnes déplacées et des réfugiés qui se trouvent dans la zone protégée par les Nations Unies. Il semble en effet que le nombre des violations du cessez-le-feu ait augmenté dès l'annonce d'un éventuel retrait de la FORPRONU. Si l'intention manifestée par le Gouvernement croate de demander ce retrait ne signifie pas la reprise des hostilités, on peut alors s'étonner que des troupes soient déployées près de Knin par les Croates et, dans une moindre mesure, par les Bosniaques en Bosnie-Herzégovine.

42. Le risque d'une sorte de "chypriotisation" a été évoqué dans la région, notamment en Croatie. M. Yutzis doute quant à lui que la situation évoluera dans ce sens étant donné les relations que Zagreb a établies avec les autorités de Knin et qui ont permis d'accroître la confiance entre les deux parties, comme en témoigne l'accord économique mentionné par la délégation croate.

43. Pour conclure, M. Yutzis rappelle que la Croatie a demandé au Comité d'envoyer un de ses membres sur place afin d'y évaluer la situation, et a fourni les informations que le Comité lui avait demandées. Si le Comité souhaite, indépendamment de toute considération géopolitique, que la FORPRONU ne se retire pas, c'est pour éviter que les tensions interethniques ne s'aggravent et pour favoriser un règlement du problème.

44. M. WOLFRUM regrette que la délégation croate n'ait pas répondu à l'une des principales questions qu'il a posées. Il aurait en effet aimé savoir quelles mesures a prises le gouvernement, comme lui en fait obligation l'article 4 de la Convention, pour mettre un terme aux activités d'un journal croate qui invite la population à persécuter, voire à assassiner, les Serbes.

45. M. SHAHI dit qu'il a écouté avec grand intérêt les renseignements et éclaircissements transmis par le professeur Smerdel et ses collègues. Il s'interroge toutefois, comme M. Wolfrum, sur les mesures prises par le Gouvernement croate pour lutter contre la propagation de la haine, et l'incitation à la violence à l'encontre d'autres groupes ethniques de Croatie. A cet égard, il rappelle que la Commission des droits de l'homme s'est déclarée "alarmée par la constatation du Rapporteur spécial que les discours nationalistes et les attaques et insultes généralisées à l'égard des autres groupes nationaux occupent une place majeure dans les bulletins diffusés par certains médias en Croatie et en Bosnie-Herzégovine mais surtout, et de manière systématique, dans ceux émis par la plupart des médias de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et, en particulier, par les médias que contrôlent les autorités serbes autoproclamées de Bosnie et les autorités serbes autoproclamées de certaines parties de la République de Croatie, et que ce phénomène est directement à l'origine de la perpétration d'horribles atrocités sur les champs de bataille et dans l'ensemble du territoire"; la Commission a souligné à cet égard "qu'il importe d'assurer l'existence de médias indépendants" et elle a demandé "à chaque gouvernement de prendre immédiatement des mesures pour donner effet aux recommandations du Rapporteur spécial à ce sujet" (E/CN.4/1995, par. 14). M. Shahi exhorte la Croatie à tenir compte de ces recommandations pour contribuer à mettre un terme aux atrocités perpétrées sur son territoire.

46. M. ABOUL-NASR dit que la Croatie traverse une période très difficile et que le Comité ne devrait pas insister sur une application trop stricte de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale par ce pays. Il tient ensuite à se dissocier des membres du Comité qui ont exprimé leur préoccupation face à un retrait éventuel de la FORPRONU, estimant, sans vouloir prononcer de jugement, que cette question relève du droit souverain de l'Etat partie.

47. M. SMERDEL (Croatie) remercie les membres du Comité des propositions qu'ils ont avancées sur le contenu du prochain rapport que la Croatie doit présenter au Comité et les assure que le Gouvernement croate fera tout son possible pour répondre à l'ensemble des questions posées au cours de la session. La délégation croate est consciente du danger de la violence qui sévit dans le pays et elle espère que, dans son prochain rapport, la Croatie pourra affirmer qu'elle s'acquitte des obligations qui lui incombent au titre de la Convention.

48. Le PRESIDENT remercie la délégation croate de l'esprit de coopération dont elle a fait preuve par l'instauration d'un dialogue constructif avec le Comité et dit que les observations finales concernant la Croatie seront examinées à une séance ultérieure.

49. La délégation croate se retire.

QUESTIONS D'ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l'ordre du jour)

50. Le PRESIDENT lance un appel aux membres du Comité, les exhortant à faire preuve d'autodiscipline pour que le Comité puisse avoir le temps d'examiner tous les points inscrits dans son programme de travail pour la dernière semaine de session. A cet effet, il demande aux rapporteurs par pays de ne pas dépasser 30 minutes lors de leurs présentations, et aux membres du Comité de ne pas dépasser 5 minutes dans leurs observations. Par ailleurs, il signale aux membres du Comité que l'Ambassadeur de Bosnie-Herzégovine l'a contacté pour l'informer que la délégation de Bosnie-Herzégovine pourrait être à Genève le lundi 13 mars, mais qu'elle n'avait pu être présente la semaine dernière du fait des mauvaises liaisons aériennes avec Sarajevo. Il invite donc les membres du Comité à écouter les observations que la délégation de Bosnie-Herzégovine souhaitera présenter, en les invitant à un simple échange de vues sans pour autant rouvrir le débat sur la question.

51. M. ABOUL-NASR estime que le Comité devrait au contraire profiter de la présence de la délégation de la Bosnie-Herzégovine pour instaurer un dialogue avec l'Etat partie sur les différents points soulevés par les membres du Comité. A un autre propos, les divers projets de décisions entrant dans le cadre de la prévention de la discrimination raciale, de l'alerte rapide et de la procédure d'urgence, devraient faire l'objet d'un échange de vues plus approfondi et être remaniés sur le plan rédactionnel.

52. M. WOLFRUM se félicite de la présence prochaine de la délégation de la Bosnie-Herzégovine devant le Comité. Par ailleurs, il suggère de constituer un groupe de travail qui préparerait les divers textes de projets de décisions, ce qui faciliterait ultérieurement le travail du Comité. Il se permet de rappeler à M. Aboul-Nasr, en le déplorant, qu'il a refusé de participer à un tel groupe de travail.

53. M. RECHETOV souscrit pleinement à l'appel lancé par le Président pour que le Comité puisse s'acquitter de la charge de travail qui lui reste à accomplir au cours de la dernière semaine de la session.

54. M. van BOVEN s'associe aux remarques de M. Wolfrum. Il assure le Président de toute sa coopération pour que les travaux du Comité soient menés à bien dans les délais impartis.

55. Le PRESIDENT fait observer que le Comité se trouve face à une situation engendrée par la nature même de ses travaux.


La séance est levée à 13 h 5.


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