COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME
Soixante-dixième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1883ème SÉANCE
tenue au Palais Wilson, à Genève,
le mercredi 25 octobre 2000, à 15 heures
Présidente : Mme MEDINA QUIROGA
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE
Troisième rapport périodique de l'Argentine
La séance est ouverte à 15 h 10.
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)
Troisième rapport périodique de l'Argentine [(CCPR/C/ARG/88/3; CCPR/C/70/L/ARG (liste des points à traiter); HRI/CORE/1/74 (document de base)]
1. Sur l'invitation de la Présidente, M. Despouy, M. Zaffaroni, Mme Nascimbene de Dumont, M. Cerda, Mme Laferrière et M. Villalpando (Argentine) prennent place à la table du Comité.
2. La PRÉSIDENTE, souhaite la bienvenue à la délégation argentine et l'invite à présenter le troisième rapport périodique de l'Argentine (CCPR/C/ARG/98/3).
3. M. DESPOUY (Argentine) dit que depuis l'établissement du troisième rapport périodique, l'État partie s'est doté d'un nouveau Gouvernement, mais que ce gouvernement s'inscrit dans une continuité, le processus de démocratisation ayant débuté en 1993. Ce processus a été engagé dans des circonstances difficiles, alors que le pays subissait les séquelles d'une dictature tristement célèbre, notamment pour les cas de disparitions forcées. Dans ce cadre, l'État partie a ratifié, dans un délai très court, un grand nombre d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et démantelé l'appareil juridique répressif hérité de la dictature. Il a en outre, à l'initiative du pouvoir exécutif, créé une Commission chargée d'élucider le sort des disparus (la CONADEP), laquelle a publié un rapport qui a servi de base lors du procès des militaires responsables. Il a par ailleurs cessé d'appliquer les lois d'amnistie, de sorte que - fait sans précédent en Amérique latine -, des anciens commandants de la junte militaire ont été condamnés à des peines de prison, dont, pour certains d'entre eux, à la réclusion à perpétuité. Malgré des soulèvements militaires et l'octroi de grâces sous la présidence de Carlos Mennem, les progrès se sont poursuivis. Ainsi, certains militaires qui avaient été graciés ont à nouveau été jugés après que l'on ait découvert qu'ils avaient pris part à un plan criminel d'enlèvement d'enfants. Par ailleurs, concernant le droit à l'identité, des enquêtes ont été menées sur le "plan Condor" et aujourd'hui encore des militaires peuvent être convoqués par la justice pour s'expliquer sur le sort des disparus. L'Argentine a en outre conclu un accord avec la Commission interaméricaine des droits de l'homme par lequel elle s'est engagée à maintenir des tribunaux fédéraux pour la poursuite des procès visant à faire la lumière sur les faits. Près de 500 millions de pesos d'indemnisation ont déjà été versés aux victimes et les indemnisations versées aux familles des victimes devraient, compte tenu des demandes en cours d'examen, atteindre à l'avenir 1 milliard de pesos.
4. Comme M. Despouy l'a déjà signalé, la première initiative prise par l'Argentine pour rétablir la démocratie a consisté à ratifier les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. La délégation reviendra ultérieurement sur l'incorporation du Pacte dans la Constitution argentine et sur l'application de cet instrument. En ce qui concerne l'établissement du troisième rapport périodique de l'Argentine, M. Despouy regrette que les ONG n'aient pas apporté leur contribution et espère qu'elles le feront à l'avenir. L'Argentine fait preuve d'une grande volonté d'ouverture, comme le montre sa jurisprudence, qui se fonde très largement sur les dispositions de la Convention interaméricaine des droits de l'homme, ainsi que, dans une certaine mesure, sur les dispositions du Pacte. Elle espère être parmi les pays qui ratifieront rapidement le Statut de la Cour pénale internationale, qui, après avoir été approuvé par la Chambre basse, est actuellement examiné par la Chambre haute. Compte tenu de son expérience, l'État partie encourage également la constitution d'un groupe de travail international contre les disparitions forcées.
5. La PRÉSIDENTE remercie M. Despouy de son introduction et invite la délégation argentine à répondre aux questions 1 à 18 de la Liste des points à traiter, qui se lisent comme suit :
"Autodétermination, droits des peuples autochtones et des personnes appartenant à des minorités (art. 1er et 27 du Pacte)
1. Quelle est la position de l'État partie au sujet du droit à l'autodétermination des peuples autochtones ?
2. Compte tenu de l'amendement de la Constitution nationale, qui reconnaît les spécificités ethniques et culturelles des peuples autochtones d'Argentine, donner des informations sur l'application pratique de cette disposition, en particulier sur les résultats du programme de l'Institut national des affaires autochtones, en ce qui concerne la restitution des terres et des biens ancestraux aux communautés autochtones et la régularisation des titres fonciers, et indiquer les efforts faits pour résoudre les conflits, mentionnés au paragraphe 291 du rapport, relatifs aux droits fonciers.
3. Quels ont été jusqu'à présent les résultats concrets du Plan national pour les communautés autochtones visé aux paragraphes 286 et 287 du rapport ?
4. Donner des précisions sur toutes mesures spéciales, législatives ou administratives, adoptées afin de protéger les minorités, conformément à l'article 27 du Pacte.
Cadre constitutionnel et juridique dans lequel le Pacte est appliqué (art. 2 du Pacte)
5. Présenter vos observations sur des cas spécifiques dans lesquels le Pacte aurait été directement invoqué devant les tribunaux depuis qu'il a été incorporé à la Constitution de 1994.
6. Donner des informations sur la situation des droits de l'homme à l'échelon provincial, du point de vue tant de la législation que de la pratique (voir par exemple le paragraphe 238 où il est question du conflit de compétences entre les provinces et les autorités nationales en ce qui concerne les enfants, et la référence aux 'différents services qui s'occupent des droits de l'homme dans les provinces' (document de base, par. 83), ainsi que les paragraphes 85, 91, 96, 138 et 139 et 156 du rapport où il est fait mention des deux niveaux de compétence). Indiquer si les autorités nationales peuvent obliger les provinces à adopter une législation conforme aux dispositions du Pacte, ou si la législation fédérale est directement applicable dans les provinces.
Institutions dans le domaine des droits de l'homme (art. 2 du Pacte)
7. Donner des précisions complémentaires sur la compétence et les activités du Défenseur du peuple mentionné au paragraphe 11 du rapport. Y a-t-il en Argentine une commission des droits de l'homme indépendante ou un organe analogue ? Dans l'affirmative, décrire ses fonctions. Combien de plaintes le Sous-Secrétariat aux droits de l'homme (document de base, par. 50) a-t-il reçues au cours de l'année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles ?
Non-discrimination et égalité entre les sexes (art. 3 du Pacte)
8. Fournir des informations sur la participation des femmes à la vie publique, au Parlement, au gouvernement fédéral, au gouvernement des provinces et à l'administration locale, et dans l'emploi et l'éducation, ainsi que sur la proportion de femmes qui occupent des postes de responsabilité et de décision dans les secteurs public et privé.
Droit à la vie et interdiction de la torture, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions et des arrestations et détentions arbitraires (art. 3, 6, 7, 9 et 10 du Pacte)
9. Quelles dispositions législatives et réglementaires existe-t-il au sujet de l'accès des femmes aux services d'avortement et de stérilisation ? (par. 50 et 51 du rapport).
10. Quelles sont les mesures législatives et réglementaires qui ont été adoptées pour combattre la violence contre les femmes et quelle a été leur efficacité ? (par. 64 et 65 du rapport).
11. Suite à la demande formulée par le Comité dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l'Argentine (CCPR/C/79/Add.46), donner des informations sur le résultat des enquêtes que l'État partie continue de mener pour élucider le sort des personnes disparues et les identifier ainsi que sur les mécanismes mis en place pour indemniser les victimes de violations passées des droits de l'homme (par. 79 et 80 et 216 du rapport).
12. Il est fait mention dans le rapport de décès signalés 'dans une série d'affaires concernant des violations présumées du droit à la vie' (par. 23), en particulier de décès de journalistes et de personnes qui enquêtaient sur des violations des droits de l'homme. Donner des précisions sur les conclusions des enquêtes menées au sujet de ces décès et indiquer si les responsables ont été déférés à la justice.
13. Quelle est la situation en ce qui concerne la peine de mort ? Indiquer s'il est envisagé d'adhérer au deuxième Protocole facultatif.
14. Donner des informations sur les dispositions réglementant l'emploi des armes par les membres de la police, de l'armée et des forces de sécurité. Des infractions à ces règlements se sont-elles produites au cours de la période à l'examen et, dans l'affirmative, quelles mesures ont été prises contre les personnes reconnues coupables de tels actes et qu'a-t-il été fait pour empêcher que ceux-ci se reproduisent ?
15. Des cas de torture ou de mauvais traitements de la part de responsables de l'application de la loi ont-ils été signalés au cours de la période à l'examen ? Dans l'affirmative, donner des informations détaillées au sujet des procédures suivies pour enquêter sur ces abus et pour déférer leurs auteurs présumés à la justice, ainsi que sur le nombre d'affaires ayant effectivement donné lieu à une enquête et sur les résultats.
Détention provisoire (art. 9 du Pacte)
16. Eu égard aux préoccupations exprimées par le Comité lors de l'examen du précédent rapport de l'État partie au sujet des dispositions concernant la détention provisoire (voir CCPR/C/79/Add.46), indiquer si des modifications ont été apportées au Code de procédure pénale. Dans l'affirmative, donner des informations détaillées concernant l'incidence de ces modifications sur la proportion de la population carcérale se trouvant en détention provisoire et sur la durée moyenne de cette détention ainsi que sur les critères d'admission au bénéfice de la liberté sous caution.
Conditions de détention (art. 10 et 24 du Pacte)
17. Il est fait état, au paragraphe 92 du rapport, de l'interdiction de dépasser le nombre de places disponibles dans les prisons. Expliquer, à ce propos, ce que signifie l'observation faite ensuite que 'le règlement ne prévoit pas les mesures qui devront être adoptées au cas où le nombre de places disponibles serait dépassé', d'autant que, selon des informations, les prisons argentines sont surpeuplées.
18. Indiquer si des locaux séparés ont été prévus pour les délinquants mineurs."
6. M. CERDA (Argentine), répondant à la question posée au point 1 de la Liste, dit que l'État partie envisage la question de l'autodétermination des peuples autochtones sur la base d'une interprétation harmonieuse de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale des Nations Unies, du paragraphe 3 de l'article premier, de la Convention No 169 de l'OIT et de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne de 1993. Le paragraphe 17 de l'article 75 de la Constitution argentine reconnaît la préexistence ethnique et culturelle des peuples autochtones. En vertu de cette disposition, non seulement ceux-ci doivent pouvoir conserver leur mode de vie, mais l'État a même l'obligation de promouvoir leur culture. Les peuples autochtones ont donc un droit constitutionnel au respect de leur identité, à l'éducation bilingue, à la possession de leurs terres et à la participation à la gestion de leurs ressources naturelles. Un projet de loi a par ailleurs été récemment soumis au Congrès en vue de donner à la Convention No 169 de l'OIT le statut constitutionnel. Le Président actuel de l'Argentine est un fidèle défenseur des droits des autochtones, comme en atteste le fait que, lorsqu'il était législateur, il a été à l'origine de l'adoption du premier instrument normatif sur l'identité culturelle et linguistique des communautés autochtones et sur leur participation à la gestion de leurs affaires, à savoir la loi sur les communautés autochtones. L'Institut national des affaires autochtones (INAI) a en outre lancé un programme de participation dans le cadre duquel des rencontres avec des autochtones ont eu lieu aux niveaux local, régional et national, et qui ont donné lieu à des conclusions qui ont été portées à la connaissance du Gouvernement. En 1995 a été créé le Registre national des communautés autochtones, qui a permis la reconnaissance de la personnalité juridique de ces communautés. Cent communautés sur les 200 existant dans le pays ont déjà demandé leur inscription dans ce registre, laquelle donne droit à des exemptions fiscales, notamment concernant les impôts fonciers. Parallèlement, l'INAI a lancé un programme de régularisation des documents d'identité, grâce auquel les autochtones peuvent désormais faire usage de noms dans la langue vernaculaire. L'INAI intervient également auprès des gouvernements des provinces en faveur de la restitution des terres aux peuples autochtones. Des accords de régularisation pour les terres habitées par des communautés autochtones ont ainsi été signés avec les gouvernements des provinces de Jujuy, Chubut, Rio Negro, Misiones, Formosa, Salta, Chaco, Tierra del Fuego, Tucumán et Neuquén. L'Institut a en outre instauré un système de médiation pour la résolution des conflits sur la répartition équitable des terres. (Un document contenant des statistiques sur le nombre d'hectares de terres et le nombre d'habitants concernés par les régularisations a été distribué aux membres du Comité.) Des progrès ont également été faits sur le plan de l'éducation. Ainsi, en 1997 et 1998 a été lancé le programme d'appui à l'éducation interculturelle, reposant essentiellement sur un système de bourses visant la scolarisation des enfants autochtones dans les établissements d'enseignement secondaire. La loi fédérale sur l'éducation reconnaît en outre, en son article 41, le droit des communautés autochtones de préserver leurs normes culturelles et de recevoir un enseignement dans leur langue, avec la participation des anciens de leur communauté dans le processus éducatif.
7. M. ZAFFARONI (Argentine) dit que l'État partie, au vu de son expérience, considère que ce ne sont pas les lois fédérales, mais bien les lois locales, qui sont les plus efficaces pour protéger les minorités, entendues au sens large. Ainsi, parallèlement à des mesures législatives fédérales significatives - on a par exemple récemment adopté des lois proclamant jours fériés les dates des fêtes religieuses juives et islamiques -, il existe tout un arsenal juridique local. L'entité autonome fédérée de Buenos Aires a en outre adopté sa propre Constitution en 1996 et y a incorporé une série de dispositions visant à protéger les minorités, notamment les dispositions prévoyant l'obligation de scolariser, jusqu'à l'âge de 18 ans, les enfants des étrangers en situation irrégulière. En 1998, elle s'est aussi dotée d'un Code des contraventions afin de lutter contre les abus dont les minorités sont victimes de la part des forces de police. En effet, historiquement, et dans la mesure où les contraventions ne faisaient pas l'objet d'un barème fixe pour les infractions mineures, on constatait des excès de la part des policiers, qui imposaient des contraventions arbitraires à certaines catégories de la population. Le même Code des contraventions prévoit en outre que les alcooliques et les toxicomanes recueillis sur la voie publique soient conduits dans un établissement de santé plutôt que, comme auparavant, au commissariat de police.
8. Au sujet des mesures administratives, (point 4 de la Liste des points à traiter), M. Zaffaroni dit que l'Institut national de lutte contre la discrimination, la xénophobie et le racisme, qui a été créé en 1995, non seulement exerce des fonctions de sensibilisation, de formation et d'information mais également reçoit et examine des plaintes, qu'il peut transmettre, le cas échéant, aux autorités compétentes. Dans ce cadre, il a obtenu que des mesures soient prises en faveur des droits des homosexuels (en matière de protection sociale et de santé), des personnes âgées (accès au crédit) et des handicapés (moyens de locomotion). Entre autres activités, il appuie actuellement les démarches de familles qui veulent donner des prénoms autochtones à leurs enfants.
9. Enfin, pour ce qui touche la répression, l'adoption du Code des infractions, qui réglemente désormais le traitement des infractions mineures au niveau local, a permis d'éliminer l'une des principales causes d'arbitraire à l'encontre des minorités. Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés, mais des progrès considérables ont été réalisés, notamment dans la ville de Buenos Aires, afin non seulement d'élargir les espaces d'autonomie de la population, mais aussi de lutter efficacement contre la corruption de la police.
10. M. DESPOUY (Argentine), répondant sur les points 5 et 6 de la Liste, dit que, dans le processus de démocratisation de l'Argentine, un grand pas a été franchi avec la réforme constitutionnelle de 1994 qui prévoit que toute une série d'instruments internationaux, dont la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ont valeur constitutionnelle, complètent les droits et garanties énoncés dans la Constitution et ne peuvent être dénoncés qu'à l'issue d'une procédure spéciale qui doit être approuvée par une majorité des deux tiers de chaque chambre du Parlement.
11. Pour ce qui est de la pratique, bien avant la réforme constitutionnelle, la jurisprudence établissait déjà la primauté des instruments internationaux ratifiés par l'Argentine sur la législation nationale. La Cour constitutionnelle et la Cour de cassation ont rendu à plusieurs reprises des arrêts reconnaissant l'application directe des traités internationaux et leur valeur constitutionnelle. En outre, si la responsabilité de l'État est engagée au niveau national dans ce domaine, les provinces sont également tenues d'adapter leur législation, dans leurs domaines de compétence respectifs. Par ailleurs, la nouvelle Constitution consacre une série de droits nouveaux, concernant l'environnement et les consommateurs notamment. Les droits de recours en amparo et en habeas corpus sont reconnus, non seulement en cas de violation des dispositions constitutionnelles mais aussi lorsque les dispositions des traités internationaux sont invoquées. Leur exercice permet notamment aux juges d'intervenir pour examiner des conditions de détention, même en période d'état de siège. À cet égard, l'Argentine respecte pleinement les dispositions de l'article 4 du Pacte.
12. En ce qui concerne le point 7, M. Despouy indique qu'il n'existe pas en Argentine de commission nationale des droits de l'homme, mais que plusieurs mécanismes ont cependant été mis en place pour défendre ces droits, comme le défenseur du peuple et les médiateurs (ombudsman) pour les droits de l'homme dans les provinces. Dans l'administration de la justice, le ministère public est désormais chargé de fonctions de protection des droits de l'homme. En outre, des départements ont été créés au sein de plusieurs ministères en vue d'établir un système de collaboration avec les organisations non gouvernementales, dont le Conseil fédéral des droits de l'homme.
13. Mme NASCIMBENE de DUMONT (Argentine), répondant sur les points 8, 9 et 10 de la Liste, dit que la Constitution nationale consacre l'égalité de tous devant la loi, sans discrimination aucune. Toutefois, en ce qui concerne les femmes, ce principe tarde à se concrétiser dans les faits. Aussi des mesures ont-elles été adoptées afin de promouvoir la condition de la femme : la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes a désormais valeur constitutionnelle et le Protocole facultatif à la Convention, signé en février 2000, devrait être prochainement ratifié. Par ailleurs, les dispositions du Code pénal relatives au viol et aux violences sexuelles ont été modifiées, afin d'éliminer de la loi la notion de pudeur de la femme et de la remplacer par celle d'intégrité sexuelle. Plusieurs plans d'action sont en outre appliqués, notamment avec la participation du Conseil national de la femme et des autorités provinciales, pour apporter une aide concrète aux femmes chefs de famille, compte tenu en particulier du phénomène de féminisation croissante de la pauvreté. Les organisations non gouvernementales jouent également un rôle fondamental en s'efforçant de sensibiliser les femmes à la nécessité de participer activement à la vie de la société. La promotion de la femme et l'égalité entre les sexes figurent aujourd'hui parmi les objectifs prioritaires du Gouvernement.
14. En ce qui concerne l'accès des femmes aux postes de responsabilité et de décision, la loi sur les quotas de femmes inscrites sur les listes des partis politiques n'a pas encore été appliquée avec succès. Toutefois, on compte au Congrès national 78 femmes (28 %) sur un total de 257 députés et, dans les assemblées provinciales, 238 femmes (24,54 %) sur un total de 970 députés. En 2001, les sénateurs seront élus pour la première fois au suffrage universel et les femmes appartenant aux différents partis politiques mettent actuellement tout en œuvre pour assurer la pleine application de la loi sur les quotas. Par ailleurs, les femmes sont relativement bien représentées dans les tribunaux de première instance (34,5 % des juges des tribunaux civils et 21,1 % des tribunaux pénaux) et leur nombre augmente dans les cours d'appel, non seulement au niveau fédéral mais aussi dans les provinces. Dans le secteur privé, elles représentent 41,6 % de la main-d'œuvre active, mais n'occupent que 3,6 % des postes de direction. De plus, à conditions égales, leurs salaires restent inférieurs à ceux des hommes. Les femmes ne sont pourtant pas moins instruites : elles étaient plus nombreuses que les hommes (54 %) dans les établissements d'enseignement supérieur en 1999.
15. Pour ce qui est de la santé génésique, l'Argentine fonde sa position sur les principes de la sauvegarde et de la défense de la vie humaine depuis la conception jusqu'à sa fin naturelle, de la protection de la famille en tant que noyau social fondamental, de la reconnaissance des droits et obligations des parents en matière d'éducation des enfants et de la planification de la famille en tant que droit des parents de décider du nombre et de l'espacement des naissances. Le Code civil de 1971 reconnaissait déjà l'existence et les droits de la personne depuis la conception et la réforme constitutionnelle a confirmé ce principe. L'avortement constitue un délit pénal, sauf quand la vie ou la santé de la mère est en danger ou lorsque la grossesse résulte d'un viol. Le Gouvernement est conscient du nombre élevé de décès consécutifs aux avortements clandestins et de l'accès insuffisant des femmes à l'information et aux services de santé génésique. C'est pourquoi il a lancé en juin 2000 un plan national de réduction de la mortalité maternelle et infantile, par le biais de programmes de procréation responsable et de prévention de la violence sexuelle, notamment.
16. Pour terminer, Mme Nascimbene de Dumont indique que l'Argentine a ratifié la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme et adopté la loi sur la prévention de la violence dans la famille. Des centres d'information et de conseils sur les violences physiques et psychologiques ont été également ouverts dans différents établissements publics, ainsi qu'au Conseil national de la femme et au Conseil national des mineurs et de la famille. En outre, tout un dispositif d'assistance juridique et d'appui technique a été mis en place, notamment au sein du Ministère de la justice, pour venir en aide aux victimes. Enfin, il existe des permanences téléphoniques gratuites et une vaste campagne de sensibilisation a été organisée à la télévision.
17. M. VILLALPANDO (Argentine), répondant sur le point 11, indique que la Commission pour le droit à l'identité a été créée en 1992, à la demande de l'Association des grands-mères de la Place de mai, afin de favoriser la recherche d'enfants disparus et qu'elle est composée de représentants de cette association, du ministère public et du Sous-Secrétariat aux droits de l'homme et aux affaires sociales. La Commission est notamment chargée de rechercher et de localiser les enfants disparus pendant la dictature, ainsi que les enfants enlevés ou victimes de la traite des mineurs. Elle collabore avec la banque nationale de données génétiques pour pratiquer des tests d'ADN et assure en outre des services consultatifs, afin d'aider les adultes qui ont des doutes sur leur véritable identité à accomplir les formalités nécessaires pour éclaircir leurs cas. Elle mène ses enquêtes aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, notamment pour élucider le sort des femmes enceintes disparues et des enfants nés en captivité entre 1976 et 1983. M. Villalpando indique également que les mesures d'amnistie prises après cette période ne s'appliquent pas aux délits d'enlèvement de mineurs. La Commission est actuellement saisie de 354 affaires, la banque nationale de données génétiques a réalisé 152 études de filiation, 954 demandes de documentation sont en cours d'examen et environ 5 000 demandes d'enquête venant de l'extérieur ont été déposées.
18. En ce qui concerne la réunification des familles, le Sous-Secrétariat aux droits de l'homme et aux affaires sociales est chargé de réunir les renseignements nécessaires pour reconstituer les liens familiaux. Les cas examinés sont très variés et vont de la recherche de parents disparus aux retrouvailles de frères et sœurs séparés depuis l'enfance, en passant par la découverte d'enfants nés hors mariage. Des activités de médiation proprement dites sont réalisées pour aider les familles à résoudre les conflits qui peuvent surgir au sujet, notamment, des mesures de réparation accordées au titre de la nouvelle législation et des partages d'héritage. Dans l'immense majorité des cas examinés, l'objectif de réunification aussi harmonieuse que possible et d'élucidation du sort des personnes disparues a été atteint. Les enquêtes menées pour élucider le sort des personnes disparues et les identifier posent toutefois la question du droit à la vérité. Cette question a fait l'objet d'un vaste débat en Argentine et, en juillet 1996, la Cour d'appel fédérale a estimé qu'il devait être fait droit d'office à toutes les demandes ayant pour objet la restitution et l'identification des corps des personnes disparues. En avril 1998, la Cour d'appel fédérale de la Plata, la plus grande province du pays, a décidé de reconnaître aux familles des victimes d'abus commis par l'État durant le gouvernement de facto, entre 1976 et 1983, le droit de connaître les circonstances des disparitions et, lorsque les personnes disparues sont décédées (ce qui est le cas le plus fréquent), de savoir où se trouvent leurs corps. Cette décision a été appliquée également dans d'autres provinces.
19. M. Villalpando évoque ensuite l'affaire Lapacó, du nom d'une personne portée disparue, Alejandra Lapacó, dont la mère a demandé, en 1999, que des mesures soient prises pour élucider son sort. La Cour suprême a débouté la mère mais par la suite, répondant à une demande du procureur, elle a déclaré qu'elle ne contestait pas le droit de Mme Lapacó d'obtenir des informations sur ce qui était arrivé à sa fille, et que Mme Lapacó pouvait former un recours administratif ou judiciaire à cette fin. Toutefois, la Cour suprême a refusé l'application de mesures destinées à rouvrir des dossiers définitivement classés. Ce que la Cour suprême contestait n'était pas le droit de chercher à connaître le sort d'Alejandra Lapacó - les autorités s'efforcent, au contraire, de faciliter la recherche de la vérité pour les familles - mais la réouverture du dossier de personnes qui ont fait l'objet d'une mesure d'amnistie. La mère d'Alejandra Lapacó a saisi la Cour interaméricaine des droits de l'homme avant même que la justice argentine se soit définitivement prononcée dans une affaire. Un accord a toutefois pu être trouvé, en vertu duquel le Gouvernement argentin s'est engagé à garantir le droit à la vérité, lequel droit implique l'épuisement de tous les moyens permettant d'élucider les circonstances d'une disparition. Les autorités reconnaissent ainsi une obligation de moyens, mais non de résultat.
20. Un autre aspect doit être pris en considération, à savoir que le délit d'enlèvement de mineurs n'a pas été retenu dans les condamnations qui ont été prononcées à l'égard des membres des forces armées qui ont été reconnus coupables d'abus sous le gouvernement militaire. M. Villalpando précise encore que, dans le cadre des procédures engagées contre la junte militaire en 1985, seules six plaintes (sur 200) ont fait l'objet d'une enquête, et que la loi dite du point final et la loi concernant le devoir d'obéissance ne contiennent pas de dispositions réprimant l'enlèvement ou le changement d'identité d'un mineur. À l'heure actuelle, neuf personnes sont poursuivies pour enlèvement de mineurs entre 1976 et 1983. Les procédures ainsi engagées visent à identifier les responsables politiques de ces actes, qui les ont ordonnés et ont mis en place les structures permettant les enlèvements d'enfants. Les neuf personnes poursuivies sont Jorge Videla (premier Président du gouvernement de facto), Emilio Massera (premier chef des Forces navales sous le gouvernement de facto), Rubén Franco (dernier chef des forces navales sous la dictature), Jorge "Tigre" Acosta (chef des services secrets de l'École de mécanique des forces armées (ESMA)), Antonio Vañek (responsable des opérations navales et président de la Commission de conseil en matière législative qui avait remplacé le Congrès de la nation), Héctor Febres (préfet), José Suppicich (contre-amiral, ancien directeur de l'ESMA), Cristino Nicolaides (dernier commandant de l'armée sous la dictature) et Reynaldo B. Bignone (dernier Président de facto). Tous ont été arrêtés entre décembre 1998 et fin janvier 1999. Par ailleurs, le 9 décembre 1998, le Congrès a approuvé une loi prévoyant l'octroi d'une subvention annuelle de 25 000 dollars à l'Association des grands-mères de la Place de mai, pour les aider à mener à bien leurs activités.
21. En ce qui concerne les mécanismes d'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme, M. Villalpando indique qu'il en existe plusieurs. Un des deux principaux textes est la loi No 24043, qui consacre le droit à l'indemnisation pour toutes les personnes victimes d'une détention arbitraire. Le montant de l'indemnisation est fonction de la durée de la détention et des conditions propres à chaque cas. La loi est restée en vigueur jusqu'en 1998 et a permis d'indemniser environ 7 500 personnes, pour un montant total de 570 millions de dollars. L'autre texte important à cet égard est la loi No 24411, qui prévoit des mesures de réparation pour les membres de la famille des victimes de la répression du gouvernement de facto, que celles-ci soient décédées ou portées disparues. À ce jour, 7 578 demandes ont été présentées à ce titre, et le montant des prestations versées s'élève à plus de 300 millions de dollars. Il importe de souligner que, dans le calcul des indemnisations, l'État prend en compte le préjudice moral causé par la violation des droits de l'homme. Les indemnisations prévues au titre de deux lois susmentionnées ont été octroyées sous la forme de bons, dont la valeur réelle était généralement supérieure à leur valeur sur le marché. Cependant, en raison de la crise, leur valeur sur le marché est aujourd'hui supérieure à leur valeur réelle. Le montant total des indemnisations versées à ce jour s'élève à 872 millions de dollars. La mise en œuvre de la procédure incombe au Sous-Secrétariat aux droits de l'homme, qui dépend aujourd'hui du Ministère de la justice et des droits de l'homme. En 1999, cet organisme a délivré 900 attestations d'"absence pour disparition forcée", qui donnent droit aux prestations prévues par la loi. M. Villalpando précise enfin que le Sénat argentin a approuvé le statut de Rome de la Cour pénale internationale, et la Chambre des députés en est maintenant saisie.
22. M. ZAFFARONI (Argentine), répondant sur le point 12 de la Liste, indique que l'une des affaires (l'homicide en Patagonie d'un journaliste qui enquêtait sur une affaire de corruption) fait actuellement l'objet d'une enquête. La délégation argentine n'est pas en mesure de fournir de plus amples renseignements sur cette affaire, qui relève de la justice d'une province du sud. Toutefois, elle communiquera ultérieurement des renseignements si le Comité le souhaite. En ce qui concerne l'affaire José Luis Cabezas, bien connue en Argentine mais aussi à l'étranger, elle a été jugée, des condamnations ont été prononcées, assorties de peines particulièrement lourdes. Toutefois, la décision de justice fait actuellement l'objet d'un recours devant la Cour suprême de Buenos Aires.
23. En ce qui concerne la peine capitale (point 13 de la Liste), il convient de souligner que la législation pénale ordinaire ne prévoit pas la peine capitale, qui n'est prévue que dans le Code de justice militaire. En outre, la dernière condamnation à mort en vertu du Code de justice militaire remonte à 1936. Par ailleurs, l'Argentine a ratifié et incorporé dans sa Constitution la Convention interaméricaine relative aux droits de l'homme. Ainsi, pour rétablir la peine de mort dans la législation pénale, il faudrait une réforme constitutionnelle, suivie d'une dénonciation de la Convention interaméricaine, ce qui conduirait l'Argentine à s'exclure du régime interaméricain de protection des droits de l'homme, et tout cela est pratiquement impensable. Certes, des initiatives demandant le rétablissement de la peine capitale sont régulièrement lancées, mais elles ne sont que l'expression d'une démagogie et d'un esprit revanchard. M. Zaffaroni précise encore que le Gouvernement a soumis au Congrès un projet visant à abolir, dans le Code de justice militaire, la peine capitale pour les délits commis en temps de paix.
24. Pour ce qui est des dispositions réglementant l'emploi des armes par les membres de la police, de l'armée et des forces de sécurité, les textes régissant cette question sont multiples mais, en cas de conflit avec les dispositions de l'article 34 du Code pénal relatives à l'état de nécessité et à la légitime défense, celles-ci priment en toute circonstance. Certes, certains agents de l'État ont fait des déclarations irresponsables concernant l'usage des armes par les forces de l'ordre, mais ces propos ont donné lieu à un rectificatif de la part des autorités fédérales visant à rassurer la population sur les conditions de l'emploi des armes. Cela étant, des infractions aux règlements pertinents ont effectivement été commises ces dernières années, mais le Code pénal prévoit des sanctions pour les coupables de telles infractions. Il convient de préciser par ailleurs que les forces de police, qu'elles soient fédérales ou provinciales, sont soumises à la justice ordinaire et ne bénéficient d'aucun privilège dans le cadre de l'exercice de la justice pénale.
25. Répondant à propos du point 15 de la Liste, M. Zaffaroni indique qu'un certain nombre d'agents des forces de l'ordre et de fonctionnaires ont effectivement infligé des tortures ou des mauvais traitements. La délégation argentine tient d'ailleurs à la disposition du Comité des chiffres à ce sujet. Toutefois, plusieurs enquêtes sont en cours et des jugements ont déjà été rendus.
26. En ce qui concerne la durée de la détention provisoire (point 16 de la Liste), l'Argentine se situe dans la moyenne des pays de l'Amérique latine. Certes, il n'y pas de quoi s'enorgueillir, mais les autorités s'efforcent de l'abréger. Dans 20 % des cas, la détention provisoire excède trois ans, ce qui appelle des explications. Ainsi, il y a quelques années, les autorités argentines ont décidé que dans tous les cas où la durée de la détention provisoire excédait deux ans, le temps passé en détention provisoire serait déduit de la peine d'emprisonnement prononcée, chaque jour passé en détention provisoire comptant pour deux jours de détention après jugement. Cette disposition a été intégrée dans le Code pénal de façon à être applicable dans toutes les provinces. Elle visait à faire pression sur les juridictions provinciales pour qu'elles réduisent la durée de la détention provisoire. Cette mesure positive a eu toutefois un effet pervers. Ainsi, un avocat qui est convaincu que son client sera condamné à une peine relativement lourde essaye généralement de prolonger la détention provisoire afin que la durée de cette détention puisse être ensuite décomptée de la durée de la peine. Cette pratique est tolérée par les tribunaux, ce qui explique que la durée de la détention provisoire soit supérieure à trois ans dans une proportion non négligeable de cas, situation qui ne devrait théoriquement pas exister. Dans la province de Buenos Aires, la situation est particulièrement grave, puisque la Cour suprême est submergée de demandes de recours en révision, qu'elle ne parvient pas à traiter dans des délais raisonnables. Ainsi, le nombre de condamnations confirmées en deuxième instance est très élevé. Il y a un peu moins d'un an, une Cour de cassation a été mise en place à Buenos Aires, qui devrait alléger la tâche de la Cour suprême et permettre d'accélérer le traitement des dossiers. Il est cependant encore un peu tôt pour juger du résultat.
27. Mme LAFERRIERE (Argentine), répondant sur le point 17 de la Liste, indique que les prisons argentines sont effectivement surpeuplées, comme d'ailleurs les prisons d'un grand nombre de pays de l'Amérique latine. Les conditions pénitentiaires laissent beaucoup à désirer, sur le plan du respect des droits de l'homme, de l'alimentation, de la situation sanitaire, des services de santé, des bâtiments, mais aussi des possibilités d'éducation et de travail pour les détenus. D'autres aspects sont également préoccupants, en particulier l'application des châtiments et des sanctions, les transferts fréquents et l'éloignement des détenus du lieu de résidence de leur famille, ainsi que la pénurie de services psychosociaux. À cet égard aussi, les prisons argentines ne se distinguent guère des prisons des autres pays de la région. Par ailleurs, des problèmes graves se posent en ce qui concerne le personnel pénitentiaire, que les autorités devront régler par des mesures énergiques et résolues. À cette fin, le Ministère de la justice a élaboré des stratégies visant à surmonter les difficultés. Il s'efforce en particulier d'assurer une utilisation rationnelle des ressources publiques, de mettre en place une véritable politique carcérale et de constituer des équipes interministérielles œuvrant avec les représentants de la société civile à l'amélioration de la situation pénitentiaire. Dans ce cadre, une réunion a été organisée en mai 2000, à laquelle ont participé 70 organisations non gouvernementales. Elle a débouché sur la mise en place de plusieurs sous-commissions, chargées d'articuler des politiques, sur la base des principes établis par le Ministère de la justice, dans différents domaines : assistance postpénitentiaire, santé, culture, sport, éducation, droits de l'homme, coordination interinstitutions, travail et prévention des violences.
28. Le Ministère de la justice travaille en coopération avec d'autres ministères, en particulier le Ministère du travail, qui a établi plusieurs projets destinés à permettre aux détenus de travailler au sein des établissements pénitentiaires (ateliers de mécanique, d'imprimerie, etc.). Pour ce qui est de l'assistance postpénitentiaire, des équipes ont été mises en place, dans le cadre d'une coordination entre les autorités ministérielles et l'administration pénitentiaire, pour faciliter la réinsertion des détenus à leur sortie de prison. Ces derniers ont souvent beaucoup de difficultés pour trouver un emploi, compte tenu du taux de chômage élevé, et il est par conséquent très important de les accompagner dans le processus de réadaptation à la vie civile.
29. Sur le plan de la santé, le Ministère de la santé a élaboré, en collaboration avec l'OMS, un programme national de salubrité, qui prévoit des mesures de vaccination contre la grippe, de prévention du cancer et du sida, de lutte contre la toxicomanie, de prévention des violences dans la famille et de promotion de la santé génésique. En ce qui concerne l'éducation, plusieurs accords ont été conclus avec le Ministère de l'éducation, et un projet pilote a été réalisé après le rétablissement de la démocratie en Argentine. L'idée était de faire entrer l'université dans la prison. On considérait notamment que la présence d'enseignants au sein de l'établissement pouvait exercer une influence bénéfique sur les détenus. Ce projet prévoyait que l'Université de Buenos Aires dispense aux détenus, entre 9 heures et 19 heures, un enseignement dans différents domaines (sociologie, droit, psychologie, sciences économiques, sciences exactes, etc.), dans des locaux spécialement conçus ou aménagés à cet effet. À ce jour, des milliers de personnes ont bénéficié de ce projet pilote, qui a mis en lumière l'importance des mesures d'éducation pour la réinsertion des détenus. En conséquence, le Ministère de la justice a décidé de développer encore davantage les mesures d'éducation dans les prisons, et a notamment mis au point un programme spécifique d'enseignement secondaire pour adultes, en coopération avec le Ministère de l'éducation. Les autorités s'efforcent ainsi de faciliter la poursuite d'études après la sortie de prison. D'autres améliorations ont également été apportées en ce qui concerne l'éducation physique et la pratique des sports, qui favorisent le développement de la personne et sont donc encouragées dans les établissements pénitentiaires.
30. Le deuxième recensement national des établissements de détention a été lancé dans le courant de l'année 2000. Le premier date de 1906 et, depuis lors, rien n'avait été fait pour dresser un état général de la situation carcérale en Argentine qui permettrait d'y apporter des améliorations. La délégation argentine a fait distribuer aux membres du Comité des statistiques actualisées concernant les différentes catégories de détenus. Il convient de noter à ce propos que les étrangers représentent 20 % de la population carcérale. Les autorités veillent à ce que leur qualité d'étranger ne soit pas une source d'exclusion supplémentaire. Par ailleurs, les membres du Comité constateront, à la lecture des chiffres fournis, une légère baisse des effectifs des services pénitentiaires par rapport à la période couverte par le rapport (1,08 agent par détenu contre 1,17 en 1997). Ces fonctionnaires sont associés dans toute la mesure possible aux dispositions prises par le Ministère de la justice pour améliorer la condition carcérale. En outre, les autorités ont constaté que, du point de vue culturel et social, les agents des services pénitentiaires ne se distinguaient guère des détenus eux-mêmes et elles s'attachent en conséquence à élever le niveau d'éducation de ces fonctionnaires.
31. D'une façon générale, la collaboration du Ministère de la justice avec les autres ministères et les organisations non gouvernementales a pour objectif un changement de culture. C'est une entreprise de longue haleine, qui vise à ouvrir les prisons sur le monde extérieur. Il faut toujours garder à l'esprit que le détenu, s'il ne jouit pas de la liberté d'aller et venir, n'en est pas pour autant privé de différents autres droits, et l'État a l'obligation de veiller à ce qu'ils soient respectés. À cet égard, il a fallu évidemment faire un diagnostic d'où est ressortie la nécessité d'adopter une nouvelle loi organique du service pénitentiaire qui privilégierait le traitement et permettrait d'exercer des contrôles et de garantir la transparence de la gestion afin d'améliorer l'efficacité. Par ailleurs, pour les agents pénitentiaires, de nouveaux modèles de formation ont été appliqués, en coopération avec diverses organisations et établissements nationaux afin que cette formation débouche sur un objectif précis et la délivrance de diplômes dans le domaine de la sécurité, de l'administration et de la gestion éducative. Il convient de souligner que cet effort vise à organiser un enseignement dispensé dans la prison elle-même car les autorités considèrent que l'acte pédagogique et la présence de l'enseignant sont une garantie de reclassement du sujet. Pour ce qui est de la surpopulation carcérale, la délégation argentine convient que les places manquent dans certains établissements pénitentiaires et annonce que deux nouveaux complexes ont été créés, que l'Argentine procède à une relocalisation des prisons et à l'ouverture de nouvelles unités pénitentiaires : quatre sont prévues pour le début de l'an 2001.
32. La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à poser leurs questions supplémentaires sur les réponses apportées par l'Argentine au sujet des points 1 à 18 de la Liste.
33. Mme GAITAN de POMBO salue la qualité du troisième rapport périodique de l'Argentine et des réponses apportées par la délégation aux questions posées par le Comité dans la Liste des points à traiter, réponses franches, réfléchies, précises dans l'information fournie et sans rhétorique, qui ont permis au Comité de comprendre les problèmes rencontrés par l'État partie dans ce processus de consolidation démocratique que vit l'Argentine, processus difficile dans le contexte actuel de l'hémisphère sud-américain.
34. Nombre de questions et de préoccupations de Mme Gaitan de Pombo ont déjà trouvé une réponse. Elle voudrait néanmoins évoquer un point particulièrement important sur le plan politique et dans le contexte du renforcement de la démocratie en Argentine, qui a d'importants prolongements juridiques et humanitaires, à savoir l'impunité et le problème des enfants disparus, enlevés ou nés en prison et dont le sort n'est toujours pas élucidé, la nécessité d'établir la vérité et surtout, les responsabilités pénales. Il ressort des réponses apportées par la délégation argentine que ce processus n'est pas achevé et qu'il n'apportera peut-être pas satisfaction à toutes les personnes lésées. À propos du chiffre de 284 plaintes examinées par la Commission nationale du droit à l'identité que la délégation argentine a cité, Mme Gaitan de Pombo voudrait savoir quel pourcentage représente ce chiffre dans le nombre total des enfants disparus et s'il s'agit seulement des plaintes ayant une chance d'aboutir. Elle voudrait savoir également quelles sont les principales difficultés rencontrées par les autorités argentines pour retrouver la trace des personnes recherchées et surtout pour établir la responsabilité pénale des auteurs des faits en question. Il est certes encourageant de noter les mesures prises sous forme de médiation afin de favoriser la réunification des familles, mais Mme Gaitan de Pombo voudrait savoir si l'on s'est borné jusqu'à présent à "judicialiser" les faits, si l'on est en train d'identifier les principaux responsables et s'il y a encore des affaires en suspens. Pour ce qui est de l'indemnisation des victimes, les réponses apportées par la délégation sont satisfaisantes; là encore, il s'agit d'un processus qui est en cours et, si la délégation a des éléments supplémentaires à fournir, ils seront les bienvenus.
35. Deuxièmement, l'Argentine a procédé à une réforme constitutionnelle qui a accordé le rang de norme constitutionnelle à divers instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, dont la Convention relative aux droits de l'enfant. La préoccupation de Mme Gaitan de Pombo dans ce domaine est la suivante : face au trafic d'enfants à des fins de prostitution, phénomène qui s'est développé de façon notoire, tant à destination des pays voisins dans la région qu'en dehors de la région, quelles mesures préventives et punitives l'Argentine a-t-elle prises, mis à part l'établissement dans le Code pénal d'une peine de prison allant de quatre à dix ans ? La délégation peut-elle indiquer les politiques et programmes concrets mis en place pour lutter contre la traite des femmes, qui se développe elle aussi à des fins de commerce sexuel en direction des pays américains, européens et asiatiques, ainsi que les responsabilités qui ont pu être établies dans ce domaine ? Mme Gaitan de Pombo constate à cet égard que l'Argentine a, dans le cadre de la réforme du Code pénal de 1999, modifié le titre du chapitre pertinent, à savoir "Délits contre la pudeur" en "Délits contre l'intégrité sexuelle", ce qui permet de traiter ce phénomène dans une perspective beaucoup plus vaste et adéquate. Au sujet du programme "femmes, santé et développement", décrit par la délégation, elle voudrait savoir ce que font les autorités pour lutter contre l'avortement illégal, qui atteindrait des chiffres tout à fait inquiétants, allant de 335 000 à 500 000 avortements illégaux par an, chiffres d'autant plus alarmants qu'ils seraient responsables de 43 % de la mortalité maternelle. Que fait-on pour lutter contre la sous-déclaration de la mortalité maternelle et la faible fiabilité des statistiques recueillies dans ce domaine ?
36. Enfin, la dernière question de Mme Gaitan de Pombo concerne les résidents des Maldives : quelle est leur situation au regard du Pacte et des droits reconnus par ce dernier ? En conclusion, elle tient à rendre hommage aux Grand-Mères ainsi qu'aux Mères de la Place de Mai auxquelles l'Argentine doit un grand nombre des progrès dont la délégation vient de faire état devant le Comité.
37. M. ZAKHIA félicite la délégation argentine pour la qualité du rapport présenté et des réponses aux questions de la Liste. Il souhaiterait avoir des renseignements détaillés sur un problème fondamental qui n'a pas été traité dans le rapport, à savoir la condition de la femme dans la vie privée, c'est-à-dire le statut personnel, tout ce qui concerne le mariage, le divorce, la succession, la garde des enfants, etc. Il voudrait savoir s'il y a des dérogations au principe de l'égalité entre les sexes, soit dans le statut personnel soit dans le Code pénal et, dans la mesure où il y en a, il voudrait les connaître et savoir s'il existe un programme pour les faire disparaître.
38. M. SCHEININ félicite l'Argentine de la contribution qu'elle apporte à la compréhension des difficultés associées au processus de transition d'une dictature à la démocratie et au plein respect des droits de l'homme. Les questions qu'il posera concernent tout d'abord les états d'exception qui ont été abordées par le chef de la délégation, M. Despouy, bien qu'ils ne fassent l'objet d'aucune question dans la Liste. La question qui intéresse M. Scheinin est celle du lien entre l'article 23 de la Constitution argentine (cité au paragraphe 19 du rapport) concernant l'état de siège et l'article 4 du Pacte, compte tenu de l'article 75 de la Constitution, en vertu duquel l'Argentine a conféré valeur constitutionnelle à plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme (par. 59 du rapport). Est-ce que l'article 75 de la Constitution signifie que l'article 4 du Pacte est intégré à la structure constitutionnelle argentine ? Les difficultés qui se posent habituellement lorsqu'il s'agit de réglementer les états d'exception est celle de la définition qui en est donnée dans les constitutions, qui est généralement trop large; ce n'est pas le cas de la Constitution argentine qui en donne une définition étroite. En revanche, l'article 23 de cette Constitution dit que "en cas de troubles intérieurs ... l'état de siège sera déclaré dans la province ou le territoire où l'ordre public est troublé, et les garanties constitutionnelles y seront suspendues", clause qui ne satisfait pas au critère de proportionnalité prévu dans l'article 4 du Pacte, au paragraphe 1 (dans la stricte mesure où la situation l'exige). La clause de l'article 23 de la Constitution argentine semble dire que, une fois suspendues, les garanties constitutionnelles ne produisent plus aucun effet juridique. Or, la dérogation prévue à l'article 4 du Pacte ne signifie pas que les droits énoncés dans le Pacte restent sans effet. Comme le Pacte spécifie les droits ne souffrant aucune dérogation, M. Scheinin voudrait savoir ce qu'il en est des droits auxquels il ne peut pas être dérogé, en vertu du Pacte, en régime d'état de siège, compte tenu de la clause de l'article 23 de la Constitution argentine. Cet article contient certes une disposition disant que "durant cette suspension, le Président de la République ne pourra ... prononcer aucune condamnation ni appliquer aucune peine", ce qui renvoie à l'article 15 du Pacte, qui serait apparemment exclu des dérogations. Mais qu'en est-il des autres droits énoncés dans le Pacte et spécifiés comme étant non dérogeables ? Jouissent-ils d'une protection spéciale dans le régime constitutionnel argentin ?
39. À propos du point 2 de la Liste, M. Scheinin s'intéresse au problème des litiges fonciers entre les communautés autochtones et les autres utilisateurs du sol et à la manière dont ces litiges sont réglés. La jurisprudence élaborée par le Comité tant dans le cadre de l'examen des communications que dans celui de l'examen des rapports, montre que ce dernier a mis en relief, entre autres principes, celui de l'autodétermination qui, dans le cas des peuples autochtones, implique l'interdiction de les priver de leurs moyens de subsistance (par. 2 de l'article 1er du Pacte). Dans ses décisions concernant l'article 27 du Pacte, le Comité a souligné l'importance de la participation des groupes en question et du critère de durabilité de l'économie traditionnelle des groupes autochtones comme principes à appliquer dans la résolution des conflits liés à l'utilisation des terres. À ce sujet, M. Scheinin mentionne un litige foncier précis concernant une communauté mby-guarani qui utilise des terres à des fins partiellement religieuses et se trouve en concurrence avec une société d'exploitation forestière. Il voudrait savoir si ce litige a été réglé dans le sens des intérêts du groupe autochtone, compte tenu de ce qui est dit au paragraphe 291 du rapport.
40. Au sujet de l'avortement (question du point 9), M. Scheinin souhaiterait que la délégation évoque le problème des grossesses précoces chez les adolescentes. Il croit comprendre qu'en Argentine, l'avortement est autorisé s'il y a danger pour la santé ou la vie de la femme enceinte, ce qui est raisonnable. Toutefois, les membres du Comité disposent d'informations selon lesquelles les critères appliqués pour délivrer de telles autorisations le seraient de manière restrictive : par exemple, certains juges font une interprétation antiavortement (provie) de ces critères et une adolescente de 15 ans, enceinte à la suite d'un viol et présentant un risque de suicide, s'est vu refuser l'autorisation d'avorter par le juge. S'agit-il d'un cas fréquent ? Il est paradoxal, de surcroît, qu'en matière d'avortement illégal, le fait que la personne soit jeune constitue une circonstance aggravante entraînant une peine plus lourde. Cela pourrait se comprendre si l'État partie assurait un accès sans restriction à l'avortement légal, mais sans cette possibilité, on peut dire que la situation est grave.
41. Mme EVATT évoque tout d'abord la question de l'indemnisation des victimes des abus commis par le passé en matière de droits de l'homme. Elle demande s'il s'agit d'une indemnisation monétaire ou autre et si un plafond a été fixé au montant en question, car elle croit savoir que des limites sont imposées. Par ailleurs, selon certaines sources d'information, les défenseurs des droits de l'homme seraient la cible d'attaques; il s'agit en particulier des Grands-Mères de la Place de Mai ainsi que des Mères de la Place de Mai et du juge chargé d'enquêter sur les enfants disparus pendant le régime militaire. Quelles mesures ont été prises pour enquêter sur les attaques en question et poursuivre les responsables ?
42. La participation des femmes à la vie politique a été traitée par la délégation argentine, qui a fourni des chiffres. Ceux qui concernent la présence des femmes au Sénat et dans les ministères sont assez faibles, de même que les chiffres concernant la vie publique dans les provinces, où la loi sur les quotas n'est pas appliquée. Mme Evatt voudrait savoir ce qui est fait pour encourager les provinces à appliquer cette loi et si elle le sera pour les prochaines élections sénatoriales. Que fait-on en Argentine pour augmenter la présence des femmes dans les syndicats et les organismes professionnels et pour leur faciliter la tâche ? En effet, une plus grande participation des femmes à la vie politique est la meilleure manière pour elles d'obtenir le respect de leurs droits à tous les niveaux.
43. En ce qui concerne l'avortement, Mme Evatt remercie la délégation des informations qu'elle a fournies. Elle croit comprendre toutefois que la mortalité maternelle est, dans certaines régions, beaucoup plus élevée que le chiffre indiqué puisqu'elle atteint 126 décès pour 100 000 et que le nombre des avortements se situe entre 300 et 500 000 par an. Ces avortements illégaux seraient à l'origine de 43 % de la mortalité maternelle et frapperaient surtout les jeunes femmes pauvres. Cela signifie que beaucoup d'entre elles risquent leur vie en subissant un avortement illégal pratiqué sans précaution d'hygiène. Dans certaines régions du nord, de l'est et de l'ouest du pays, plus de 85 % des décès de jeunes femmes sont imputables à un avortement illégal. À cet égard, Mme Evatt se joint à M. Scheinin pour demander à la délégation argentine pourquoi il est nécessaire d'obtenir une autorisation judiciaire pour subir un avortement et quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour corriger cette situation.
44. Tout en saluant l'engagement pris par le Gouvernement d'améliorer les services offerts aux femmes en matière de santé génésique, Mme Evatt note que la stérilisation est un délit et qu'il est nécessaire d'avoir une ordonnance judiciaire pour pouvoir la pratiquer. Le Gouvernement fait-il quelque chose pour réviser la loi interdisant l'accès à la stérilisation chirurgicale volontaire en tant que méthode de planification familiale et les recommandations faites par le défenseur du peuple (Médiateur) à cet égard ont-elles été suivies d'effets ? Cela pourrait être un moyen de limiter la nécessité pour les femmes de recourir à l'avortement.
45. En ce qui concerne la violence familiale, Mme Evatt remercie la délégation des informations qu'elle a données mais croit comprendre que la législation en vigueur dans ce domaine ne s'applique pas dans les provinces. Est-ce que des mesures seront prises pour qu'elles le soient ? En outre, Mme Evatt voudrait savoir si le Gouvernement s'occupe du problème posé par la disparité entre le nombre des plaintes déposées pour délit sexuel et le nombre des condamnations prononcées. Comme Mme Gaitan de Pombo, elle souligne l'augmentation du trafic d'enfants et de l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes femmes dans l'État partie et s'associe aux préoccupations exprimées par cette dernière.
46. M. YALDEN reconnaît que la délégation a fourni de nombreux chiffres en réponse aux questions posées dans la Liste, mais souligne que ces chiffres seraient beaucoup plus utiles s'ils étaient ventilés de manière à permettre au Comité de se faire une idée exacte de la situation et des progrès réalisés. En ce qui concerne les femmes, il relève que le rapport n'est pas très détaillé pour ce qui est de l'application de l'article 3 et de l'élimination de la discrimination à leur égard. Il en va de même pour l'article 26, traité en deux lignes au paragraphe 276. Or, le Comité a besoin de ce type d'information pour savoir ce qui se passe dans la réalité, et pas seulement dans la Constitution. Il serait bon que la délégation complète le rapport en envoyant des renseignements complémentaires.
47. Deuxièmement, pour ce qui est des réponses de la délégation aux questions posées dans la Liste des points, M. Yalden revient sur la question 7 concernant le paragraphe 11 du rapport et les activités du défenseur du peuple. Ce que le Comité voudrait connaître, c'est le nombre des plaintes reçues, les griefs qui y étaient exprimés, la manière dont elles ont été réglées si elles ont pu l'être et, dans la négative, les recommandations formulées par le défenseur du peuple et la suite qui a pu leur être donnée. Ce type d'institution nationale est en effet considéré comme un mécanisme essentiel au progrès des droits de l'homme, aussi le Comité souhaiterait-il avoir ce type d'information à l'avance pour évaluer la situation.
48. Troisièmement, en ce qui concerne la violence et les allégations de brutalités policières, notamment à l'égard des personnes en détention, M. Yalden rappelle que le Comité a besoin d'en savoir davantage sur le mécanisme existant pour enquêter sur les abus de la police. L'absence d'un tel mécanisme avait été soulignée dans les observations finales après l'examen du rapport précédent. Certes, on trouve dans le rapport des chiffres concernant les allégations de mauvais traitement reçues par le procureur pénitentiaire (par. 86 et 87), mais seul le nombre des plaintes est indiqué, rien n'étant dit concernant la suite qui leur a été donnée.
49. Enfin, au sujet de la question 6 sur la situation des droits de l'homme à l'échelon provincial, M. Yalden dit que, pour avoir une vue complète de respect du Pacte dans un pays à structure fédérale, le Comité doit savoir de quelle manière il est appliqué au niveau national et au niveau des États provinciaux. En l'occurrence, il a besoin d'informations complémentaires sur la situation au niveau provincial car le rapport reste discret à ce sujet.
50. M. KLEIN évoque tout d'abord la question de la surpopulation dans les prisons, évoquée au point 17 de la liste et au paragraphe 92 du rapport, pour souligner un problème qui se pose dans d'autres domaines également, à savoir l'existence de règlements ou d'interdictions, mais l'absence de suivi dans la pratique. Par exemple, on lit au paragraphe 92 qu'un nouveau règlement interdit de dépasser le nombre de places disponibles dans les établissements pénitentiaires, mais que rien n'est prévu sur les mesures à prendre pour loger les prévenus en surnombre. De même, au paragraphe 59, il est dit que la Constitution argentine prévoit que les tortures et la peine du fouet sont abolies à jamais sur tout le territoire de la République, mais les sources d'information dont disposent les membres du Comité font état d'une sorte de violence institutionnelle de la part des forces de sécurité, qui ne respectent pas toujours la dignité humaine. Pour quelles raisons les procédures de contrôle dans ce domaine ne fonctionnent-elles pas vraiment dans le pays ? Comment peut-il y avoir de tels comportements face à des proclamations aussi énergiques dans la Constitution ? Enfin, on lit au paragraphe 65 du rapport qu'il est prévu que les agents publics qui commettent des actes de torture ne doivent pas rester impunis, "qu'ils agissent dans les limites ou en dehors des limites de leur compétence" : une telle déclaration est stupéfiante car un acte de torture ne peut être qu'un abus de pouvoir.
51. Pour ce qui est de l'interprétation du Pacte et des instruments relatifs aux droits de l'homme qui ont rang de normes constitutionnelles, M. Klein voudrait savoir comment il faut entendre l'affirmation faite dans le document de base (HRI/CORE/1/Add.74) selon laquelle les dispositions de ces instruments sont interprétées comme étant complémentaires des droits énoncés dans la Constitution argentine. Pour ce qui est des états d'exception, visés dans l'article 23 de la Constitution, M. Klein constate que les dispositions de cette dernière ne sont pas identiques à celles de l'article 4 du Pacte puisque les garanties constitutionnelles peuvent être suspendues. Que faut-il entendre par cette suspension potentielle des droits énoncés dans le Pacte, qui ont rang de normes constitutionnelles, et cette disposition n'est-elle pas contraire à l'article 4 du Pacte ?
52. En ce qui concerne l'article 27 et les minorités, M. Klein reconnaît qu'en général, le problème qui se pose est celui des minorités qui sont poussées à l'assimilation et subissent des pressions tendant à leur faire perdre leur identité. La question qu'il pose quant à lui est la suivante : si un membre du groupe minoritaire en Argentine souhaite s'assimiler et s'intégrer dans la majorité de la population, quels sont les moyens à sa disposition pour faciliter cette intégration ? Même si l'article 27 du Pacte ne met pas l'accent sur cette problématique des minorités, M. Klein pense qu'il recouvre aussi le droit à s'assimiler.
53. La PRÉSIDENTE dit que la délégation argentine sera invitée à répondre aux questions supplémentaires des membres du Comité à une séance ultérieure.
La séance est levée à 18 h 5.